Chapitre 4

3.1K 177 12
                                    

Flavie

Demain soir, les étudiants de ma promotion m'organisent une petite soirée d'intégration. Arrivée il y a quelques jours dans ma nouvelle fac, j'ai bénéficié du meilleur accueil qu'on puisse espérer. J'ai beau faire défiler les cintres de ma penderie dans un sens puis dans l'autre, je ne trouve décidément aucune tenue qui me convienne. Tout ce que j'ai, ce sont des vêtements qui me rappellent sans cesse Rémi. Et je n'en veux plus. Désespérée, j'envoie un message à Jane pour qu'elle me prête une tenue.

- J'ai mieux à te proposer : sortie shopping ? me propose-t-elle.

Peu motivée, mais décidément obligée d'y passer, j'accepte sa proposition et la rejoins au point de rendez-vous qu'elle m'a indiqué.

Me voyant errer sans conviction dans les rayons, Jane m'adresse un sourire compatissant et me propose d'aller nous installer à une terrasse pour boire un verre.

- Tu voudrais bien m'expliquer ? Romain m'a dit que ça avait été compliqué avec Rémi, mais il ne m'a rien dit de plus...

L'intelligence que Jane a eu de ne pas me pousser de gré ou de force dans une cabine d'essayage, me donne envie de lui faire confiance :

- Rémi est très vite passé de l'homme bienveillant au manipulateur. Il s'y est pris de façon insidieuse, de telle sorte que je ne l'ai pas vu venir. Et quand je m'en suis aperçue, il était trop tard. Ça a commencé avec de petits détails, que j'ai changés pour lui plaire. Puis il s'est carrément imposé dans tous mes choix, et je l'ai laissé faire malgré moi. Il m'a éloignée de mes amies, qui n'étaient plus là pour m'ouvrir les yeux. Mes parents ont bien essayé, mais je n'ai rien voulu entendre. Je me croyais amoureuse, et je le croyais inoffensif. Je n'étais jamais assez bien habillée, jamais assez mince, jamais assez belle. Sauf quand j'enfilais ce qu'il avait choisi, que je mangeais ce qu'il avait décidé, et ainsi de suite. J'en suis arrivée à ne plus être capable de choisir par moi-même, dans bien des domaines.

Jane se montre attentive et sans jugement, me donnant le courage de poursuivre :

- Il y a quelques semaines j'étais en visio avec Romain, et Rémi est arrivé dans la pièce à un moment où mon frère s'inquiétait des changements qu'il voyait s'opérer en moi. Même à distance il avait tout compris, alors que c'était là, juste sous mon nez. Après avoir raccroché, Rémi s'est énervé, au point de me demander de couper contact avec lui. Ça m'a fait un électrochoc. Et la suite, tu la connais... J'ai tout organisé avec Romain pour déménager et je l'ai quitté. Je pensais qu'en venant ici ce serait plus simple, mais il n'arrête pas de m'appeler et de m'écrire. Il finira bien par se lasser, j'imagine...

Jane semble avoir de gros doutes sur la question, mais elle n'en fait pas mention. Je décide de m'en remettre à elle pour mon shopping, mais là encore elle me surprend en m'aidant à choisir par moi-même, plutôt que de laisser quelqu'un décider pour moi. Cette séance de remise en confiance, tout en douceur, me guide vers mes retrouvailles avec mon libre arbitre.

En rentrant chez moi quelques heures plus tard, les bras chargés de sacs, je trouve un papier au sol qui a été glissé sous ma porte. Mon cœur fait un petit bond dans ma poitrine en découvrant son message :

« Envie de venir prendre la ville en photo avec moi ce soir ?

Ben »

Son message me rend autant joyeuse que perplexe. Je le sens sur la réserve depuis mon arrivée, me faisant douter sur le fait qu'il apprécie qu'on habite le même immeuble. Son numéro de téléphone inscrit sous son nom, me fait réaliser que je ne l'ai pas dans mon répertoire. Je l'enregistre et m'empresse de lui répondre que je suis disponible. Sans lâcher mon téléphone, des mains, je sors mes nouveaux vêtements de leurs sacs pour choisir ma tenue du soir. Mon téléphone tinte, me signalant un nouveau message sur lequel je focalise immédiatement mon attention.

Ben : Je passe te chercher vers dix-huit heures ?

Je lui confirme, et peine à réprimer un sourire défiant les limites de mes zygomatiques. Le téléphone tout juste reposé se met à sonner. Le nom de Rémi qui s'affiche à l'écran me fait immédiatement redescendre sur Terre. Prête à bloquer son numéro pour avoir enfin la paix, je me ravise, persuadée qu'il utilisera d'autres moyens pour me contacter si nécessaire. Je me range finalement à la stratégie de l'indifférence, pour laquelle j'ai opté ces derniers jours.

Moralement épuisée, je m'affale dans mon canapé et prends quelques minutes pour réfléchir. Mon esprit tente d'y voir plus clair. Je suis ici maintenant, loin de celui qui me manipulait. Tout devrait être plus simple à l'avenir. Quoique, ma nouvelle proximité géographique avec Ben me fait douter. Mes craintes se sont confirmées à la seconde où j'ai posé mon regard sur lui en arrivant à Londres. Lui découvrir une vie de couple m'a contrariée, bien plus que je ne l'aurais voulu. J'éprouve des sentiments auxquels je n'ai jamais laissé de place, pour ne pas mettre en péril l'amitié qui le lie à mon frère. Romain en faisait déjà des tonnes quand nous étions plus jeunes, à interdire à tous les garçons d'approcher sa petite protégée. De fait, je ne pense pas qu'il verrait d'un très bon œil une relation entre son meilleur ami et sa petite sœur.

***

Il est dix-huit heures tapantes lorsque je termine de me préparer. M'attendant à sillonner la ville à pied, j'ai opté pour une paire de baskets, un jean bleu foncé, et un haut noir légèrement décolleté. J'attache mes cheveux lissés en queue de cheval et vérifie une dernière fois mon maquillage qui, bien que discret, met en valeur la couleur de mes yeux. Sans le commander, je souris bêtement à mon miroir pour voir ce que cela rend, comme pour me donner confiance. Les quelques coups frappés à ma porte mettent fin à ce moment bizarre et c'est avec un sourire franc, cette fois, que je lui ouvre.

Ben apparaît dans l'encadrement de ma porte, plus beau que jamais. Je martèle mon esprit qu'il ne s'agit que d'une virée en ville avec le meilleur ami de mon frère, que je n'ai pas vu depuis cinq ans. Et ces années ont fait mûrir ses traits de la plus belle des façons. Sa mâchoire dessinée de manière plus anguleuse et parsemée d'une barbe de trois jours le rende plus viril que dans mon souvenir. Ses épaules se sont élargies, me donnant envie de me blottir contre son torse. Et son regard me semble plus expressif, plus mature aussi.

- C'est parti ? interrompt-il mes réflexions.

J'acquiesce et enfile mon blaser avant de fermer ma porte et de le suivre dans l'escalier.

À deux pas de chez toiWhere stories live. Discover now