Chapitre 8

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Flavie

La présence de Ben chez moi me semble assez irréelle. Quelques jours auparavant, il appartenait encore au passé, et le voilà dans mon salon. Plus mature physiquement, j'ai néanmoins l'impression qu'il est resté le même, avec son éternel sourire au coin des lèvres lui donnant un côté rêveur. Je n'avais pas pensé à une invitation chez moi lorsque j'ai inscrit le message sur son miroir, mais finalement je suis bien contente qu'il ait opté pour ce choix. Une sortie au restaurant aurait eu un côté bien plus formel que j'aurais sans doute eu plus de mal à assumer si ça se savait. J'en profite pour désamorcer un sujet qui me semble épineux :

- Tu ne crains pas que Lisa le prenne encore mal de nous trouver ensemble ? tenté-je directement, trop préoccupée pour y aller par quatre chemins.

Il plante son regard dans le mien le temps d'avaler sa gorgée de bière puis rétorque :

- Elle ne dira rien, on n'est plus ensemble.

Mon mouvement de surprise face à cette révélation le pousse à m'en dire davantage :

- On a eu une petite explication après le petit-déjeuner hier matin. Je lui ai dit que je commençais à être sérieusement agacé par sa jalousie soudaine, et elle m'a rétorqué de but en blanc qu'elle ne me faisait pas confiance. Alors à quoi bon continuer dans ces conditions ? 

Après une brève hésitation, il ajoute en regardant dans le vague :

- Si elle savait que ton frère m'a demandé de veiller sur toi comme si tu étais ma propre sœur.

Sa dernière réflexion fait grimacer mon moi intérieur. Quoi de pire que de s'entendre dire par l'homme qui nous fait vibrer qu'il nous considère comme sa propre sœur ?

Je n'ai pas le temps de m'attarder sur la question que mon téléphone vibre sur ma table basse. Rémi, encore et toujours. Il a le chic pour sans cesse tomber au mauvais moment. Quoiqu'il n'y ait pas de bon moment puisque je ne veux plus entendre parler de lui. Je fais glisser mon doigt sur le téléphone pour refuser l'appel, provoquant un haussement de sourcil chez Ben. Afin qu'on puisse enfin passer à autre chose que le sujet des ex, je lui explique rapidement :

- Un ex un peu trop envahissant...Lui répondre serait lui donner de l'importance, et changer de numéro serait lui donner raison. J'attends qu'il se lasse. Il a une personnalité très forte mais sa patience a des limites.

- Vous êtes restés ensemble combien de temps ?

- Presque trois ans...dis-je dans un soupir.

- Ah oui quand même...

Je conclue par un haussement d'épaules puis me lève pour changer d'ambiance :

- Allez, on ne va pas le laisser pourrir notre soirée. J'ai un dîner à préparer moi, Monsieur le photographe qui s'invite chez ses voisines.

- Chez une voisine, précise-t-il le doigt levé. Et de loin la plus sympathique, ajoute-t-il dans un sourire en coin dont lui seul a le secret.

Je passe dans ma cuisine ouverte sur le salon pour m'atteler à la préparation d'un risotto au poulet et courgettes, seul repas présentable que mon frigo et mes placards me permettaient de concocter. Ben me rejoint en cuisine, me demandant comment il peut m'aider.

Alors que je détaille les dés de poulet, il s'occupe de découper les courgettes. Côte à côte devant mon petit plan de travail, nos coudes se frôlent parfois. Il remonte les manches de son pull, laissant apparaître ses avant-bras plus poilus que dans mon souvenir.

Pendant que je termine de ranger un peu ma cuisine en attendant la fin de la cuisson, Ben déambule dans mon salon un verre à la main. L'observant du coin de l'œil, je constate qu'il marque une pause devant ma bibliothèque où sont rangés quelques livres et DVD, mais aussi mes albums photos sur lesquels il semble s'attarder.

- Tu peux les regarder si tu veux, tu es dans la plupart de ces albums, proposé-je.

- Vraiment ? Lequel me conseilles-tu ?

- Celui d'il y a cinq ans, proposé-je faussement au hasard.

C'est bien évidemment l'album dans lequel j'étais adolescente, et donc plus à mon avantage que si je lui avais indiqué l'album de mes cinq ans. Il ne m'a pas échappé que Lisa ne faisait plus partie du décor et que la place était libre. Malgré tout, je suis tiraillée entre l'attirance que je ressens pour Ben et toutes les craintes que cela m'inspire vis-à-vis de mon frère. Je m'en voudrais de mettre en péril la belle amitié qui existe entre ces deux-là.

Il suit mon conseil et fait glisser l'album hors de la bibliothèque avant de prendre place dans le canapé. Je le rejoins et nous nous plongeons ensemble dans le passé. L'album retrace une période de trois ans, jusqu'à mes quinze ans, quand lui en avait dix-neuf. Alors que j'étais encore au collège sur les premières photos, lui était déjà au lycée avec Romain. Il rigole en revoyant notre dégaine de l'époque et je sens graviter autour de lui une foule de souvenirs qui refont surface. Chacun y va de sa petite anecdote sur certaines photos, créant une bulle de rétrospective très apaisante. On se remémore les soirées pyjama et les sorties de pêche avec nos deux familles, tant de bons moments dans lesquels on aimerait pouvoir replonger.

La minuterie sonnant la fin de la cuisson, j'abandonne Ben sur le canapé pour arrêter la plaque de cuisson quand il m'interpelle :

- Oh, mais ce sont les photos du mariage de ton cousin ! Tu te souviens on avait dansé avec tout le monde sur cette chanson...Comment elle s'appelait déjà ? cherche-t-il au fond de sa mémoire.

- Dancing in the moonlight, retorqué-je depuis la cuisine, affairée à vérifier que tout soit bien cuit.

- Mais oui, c'est ça ! s'exclame-t-il derrière moi depuis le salon.

Je souris pour moi-même. S'il savait que je n'ai aucun mérite, le titre de cette chanson ayant été récemment rappelé à ma mémoire dans ce train qui m'emmenait tout droit vers lui.

Je me redresse instinctivement lorsque j'entends les premières notes de musique résonner dans la pièce. Je me retourne, ma cuillère en bois à la main, et l'observe s'approcher de moi au rythme de la musique. Tout d'abord dubitative, j'éclate de rire lorsqu'il me tend les mains :

- N'y pense même pas, je ne me souviens pas des pas, argumenté-je pour cacher ma gêne.

- Oh allez, on s'en fiche, moi non plus je ne m'en souviens plus. Allez viens, on est en pleine soirée flashback, on ne peut pas passer à côté de ce moment mémorable quand même, m'encourage-t-il.

Je me laisse finalement convaincre, portée par son allégresse soudaine. Il me tend la main, exagérant le mouvement de ses épaules pour se tourner volontairement en ridicule. J'imagine qu'il essaye de me détendre, et cela fonctionne plutôt bien. Ma cuillère en bois toujours en main, je me joins à lui. Je retrouve la chaleur de sa main, le pétillement de son regard, et la douceur de son rire. Je me détends tellement que je finis par me servir de la cuillère comme d'un micro pour chanter le refrain à tue-tête, sans me préoccuper d'avoir l'air bête. Avec lui je me sens moi-même, libre d'être qui je suis, et ça fait un bien fou.

À deux pas de chez toiWhere stories live. Discover now