Chapitre 14

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Flavie

La sensation étonnante de légèreté que je ressens en me réveillant me paraît tout à fait inédite.

Le poids de mes problèmes avec Rémi semble s'être enfin envolé. J'ai cru lire sa prise de conscience dans son regard et je pense être enfin arrivée au bout de sa résistance. J'ai enfin réussi à me libérer de son emprise sournoise. Je vérifie mon téléphone et constate que pour la première fois depuis des mois, je n'ai ni message ni appel en absence de sa part. Mon historique d'appels me remémore l'étrange coup de fil de Laura quelques jours plus tôt, et je comprends enfin comment Rémi a su où j'étais.

En arrivant dans la pièce principale, je trouve la maison étrangement calme. Après un rapide tour des pièces, je réalise que je suis seule. J'écris à mon frère :

Flavie : Où êtes-vous ?

Romain : En balade pour la journée, je n'ai pas osé te réveiller, tu avais l'air bien...

Flavie : Tu as bien fait, profitez bien.

Je pose mon téléphone sur le plan de travail de la cuisine et contemple l'horizon. Une journée rien qu'à moi... Je cherche à déterminer ce dont j'ai envie. Mes réflexions sont interrompues par le bruit de la porte d'entrée qui s'ouvre. Je me retourne et Ben apparaît sur le pas de la porte. Il marque un temps d'arrêt, puis referme doucement la porte.

- Salut...

- Salut, tu n'es pas avec les autres ? m'étonné-je.

- Non j'avais un truc prévu ce matin, je n'ai pas voulu les retarder.

- Ah... D'accord.

Un silence plane avant qu'il enchaîne :

- Tu as prévu quelque chose aujourd'hui ? 

- J'étais en train d'y réfléchir quand tu es arrivé.

- Pardon, je ne voulais pas te couper dans ta réflexion.

- Tu n'as rien coupé, je n'avais pas l'ombre d'un début d'idée. L'ennui me guette, m'amusé-je soudain.

- Ça te dit qu'on s'ennuie à deux ? me lance-t-il avec un petit sourire en coin.

- Pourquoi pas, accepté-je avec envie.

- Allez, va te préparer on va aller faire un tour, ça nous changera les idées.

J'acquiesce et monte dans ma chambre, me demandant bien pourquoi il a besoin, lui aussi, de se changer les idées. Une fois prête, je rejoins Ben qui m'attend au milieu du séjour, les mains dans les poches de son short. Il me regarde descendre les escaliers, me rendant tout à coup un peu nerveuse.

Je m'installe sur le siège passager et l'observe me rejoindre en trottinant dans un mouvement svelte. Une fois en route, je passe les stations de radio qui ne sont pas préenregistrées et m'arrête sur la première chanson que je connais. Je chante à tue-tête et baisse la vitre pour savourer le contact du vent sur ma main que je tends vers l'extérieur. Ben conduit tranquillement, c'est agréable.

- Alors, tu nous emmènes où ?

- Je ne sais pas.

Je ris spontanément avant de reprendre mon sérieux quand je vois qu'il est sincère. Il s'amuse de voir ma tête stupéfaite.

- Et tu comptes rouler comme ça jusqu'où ?

- Jusqu'à ce qu'on trouve un endroit qui nous plaise, ça te convient ?

J'acquiesce joyeusement, m'apercevant que je n'ai jamais fait quelque chose d'aussi spontané. Le paysage défile et je profite de cette insouciance qui me fait un bien fou. Au détour d'un virage, je repère un port et des criques en contrebas. Ben doit remarquer que je regarde attentivement car il propose qu'on s'arrête. Il trouve une place et nous descendons de voiture pour suivre un petit sentier qui fait le lien entre la route et le bord de mer. Nous marchons en silence dans ce chemin un peu escarpé, bordé d'arbres et offrant un panorama magnifique.

Arrivés sur la plage, je retire mes nu-pieds et enfonce mes orteils dans le sable chaud. Ben m'imite.

- J'ai faim, déclaré-je sans préambule.

Il rit :

- C'est bon signe alors, conclue-t-il.

Il regarde au loin et me propose d'aller en direction du port pour trouver un restaurant. Nous nous installons à une terrasse offrant un cadre très joli. Nous observons le port et nous amusons à lire les noms inscrits sur les coques des bateaux en attendant nos plats. C'est alors qu'un monsieur aux cheveux grisonnants nous approche, une guitare en bandoulière glissée sur l'épaule.

- Vous observez mon voilier. Il vous plaît ?

- C'est le vôtre ? Il est superbe ! lui dis-je avec enthousiasme.

C'est vrai qu'on dirait un vieux marin. Il a l'air très sympathique.

- Je l'emmène en mer tous les après-midis avec quelques personnes à bord, il reste encore de la place pour vous si vous voulez. On part dans une heure.

Je regarde Ben qui me sourit et m'interroge du regard.

- Ça te tente ? me propose-t-il.

- Oui et toi ?

Il se tourne vers le vieux monsieur pour lui confirmer que nous serons présents.

Le visage du marin s'illumine :

- Super ! Moi c'est Albert, si vous me cherchez tout le monde me connaît ici. Bon appétit les amoureux, à tout à l'heure !

Ben s'étrangle presque avec sa bière, me faisant pouffer de rire. Il essuie sa bouche du revers de la main et s'excuse lamentablement, l'air tout à coup très gêné.

Je décide de ne pas faire de réflexion, pour ne pas augmenter son malaise. Dans un timing parfait pour faire diversion, le serveur arrive avec nos plats.

Une heure plus tard, nous rejoignons la dizaine de personnes qui s'est attroupée sur le port devant le voilier. Je le trouve magnifique avec sa coque en bois clair, et il me tarde de voir les voiles se hisser. Tout le monde semble impatient de monter à bord. Quelques notes de guitare raisonnent, et le matelot apparaît en entonnant la chanson « Santiano », faisant honneur à son fameux trois mâts. Nous l'applaudissons, et il nous invite à retirer nos chaussures pour monter à bord.

- Ah ! Les amoureux ! Regardez comme ils sont beaux tous les deux ! clame-t-il pour lui-même.

- Euh, à vrai dire nous ne sommes pas en couple... se sent obligé de préciser Ben.

- Comment ça ? s'étonne le marin. T'inquiètes pas gamin, je vais t'arranger ça, lui souffle-t-il avec un gros clin d'œil.

Je ris discrètement et suis Ben en direction du pont avant du voilier.

Albert nous donne quelques consignes de sécurité, comme veiller à baisser la tête lorsqu'il annonce une manœuvre. Me connaissant, ça va mal finir... Nous sortons lentement du port puis le matelot effectue quelques manœuvres avec ses voiles. Le vent s'y engouffre et nous emporte vers le large dans une poussée extraordinaire. Ben semble aussi surpris que moi et nous nous sourions bêtement comme des gamins en nous tenant à ce qu'on peut. Nous finissons par nous décrisper un peu et nous allonger sur le pont. C'est une sensation incroyable, on a l'impression de survoler les vagues. Le vent chaud vient caresser nos visages, c'est extraordinaire, j'aurais presque envie de m'endormir là. J'entends que Ben me parle mais je ne comprends pas ce qu'il me dit. Je me redresse sur un coude et me tourne vers lui pour lui demander de répéter. C'est alors que le voilier braque d'un coup, je perds l'équilibre et m'écroule sur Ben. Il referme un bras sur moi et s'appuie contre le cordage du bateau pour nous empêcher de rouler complètement. Je me redresse, un peu confuse de lui avoir foncé dedans de la sorte.

- Ça va ? Tu ne t'es pas fait mal ? s'inquiète-t-il.

- Non ça va, heureusement que tu étais là pour amortir, lui dis-je en riant.

On entend Albert crier à l'arrière :

- Oh les amoureux ! Attendez qu'on soit revenus au port ! s'exclame-t-il en rigolant.

Nous rions de bon cœur de sa manœuvre.

Quelques heures plus tard, nous rejoignons le port. Ben me tend la main pour m'aider à descendre du voilier. Mes jambes me semblent en coton, je n'ai visiblement pas le pied marin. Albert, lui, descend d'un pas assuré.

- Merci à tous d'avoir participé à ma virée en mer !

C'est avec le sourire et des souvenirs plein la tête que nous rejoignons la voiture.

À deux pas de chez toiWhere stories live. Discover now