Chapitre 19

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Ben

Assis dans le canapé, Flavie blottie contre moi, je trace des cercles lents dans son dos du bout de mes doigts. Tout me paraît si simple quand nous sommes ensemble. Le bruit de la voiture se garant devant la maison met fin à ce moment de quiétude, et Flavie se décale de l'autre côté du canapé. Jimmy, Jane et Romain entrent sans discrétion dans la maison, encore excités par leur journée sportive.

- Alors, c'était bien ? leur demande Flavie.

- C'était gé-nial ! s'exclame Jimmy visiblement encore dans l'ambiance.

Jane se masse douloureusement les membres :

- Tu vas t'en remettre ? la taquiné-je.

- Ces deux-là sont de vrais bourrins, constate-t-elle en envoyant un coup de coude à Jimmy qui se marre à côté d'elle.

- On a croisé les voisins, ils repartent aussi demain et ils ont proposé qu'on se fasse une dernière soirée sur la plage, ça vous tente ?

Tout le monde semble partant et nous nous organisons pour préparer de quoi apporter.

Alors que je récupère sur la terrasse mes vêtements recouverts de peinture que j'avais mis à sécher, Romain me suit.

- Ça va Ben ? me demande-t-il l'air soucieux.

- Euh, ouais, pourquoi ? tempéré-je.

Je m'attends à tout moment à ce que mon secret me pète à la gueule, et c'est presque l'œil plissé que j'attends sa réponse.

- Je sais pas, vous tirez une de ces têtes avec ma frangine, on dirait que vous vous êtes pris la tête.

Je ne peux réprimer le petit rire qui monte sans prévenir avant de regretter d'avance le mensonge que je m'apprête à lui servir :

- Tout va bien, t'inquiète, lui assuré-je avec une tape sur l'épaule avant de déguerpir le plus loin possible.

Mon ventre se tord aussitôt de culpabilité.

J'entends la porte de Flavie claquer depuis la salle de bain et me dépêche de me préparer pour tenter un baiser volé avant d'aller sur la plage. Je frappe tout doucement à sa porte, peut-être trop faiblement pour qu'elle l'entende car elle ne répond pas. J'entrouvre doucement la porte et me faufile à l'intérieur. La porte fenêtre donnant sur le balcon est ouverte, faisant flotter doucement les rideaux blancs. Je m'approche pour vérifier si elle y est et l'aperçois marcher sur la plage un peu plus loin. Trouvant étrange qu'elle soit partie ainsi toute seule, je décide de la rejoindre.

Je la retrouve assise sur un ponton accessible uniquement en escarpant quelques roches rouges caractéristiques de la région. Tournée face à la mer, avec le soleil déclinant pour seule compagnie, elle semble mélancolique. Je racle ma gorge en approchant pour qu'elle détecte ma présence et vient m'asseoir à côté d'elle, en appui sur mes mains.

Elle incline la tête vers moi sans me regarder, me signifiant qu'elle m'a vu.

- Romain a des doutes, lâche-t-elle finalement. Il sent que quelque chose ne tourne pas rond. Il est venu me parler, et j'ai quasiment vu tous ses radars s'allumer au-dessus de sa tête en alerte maximale. Il a toujours été là pour moi, je déteste lui mentir, et pourtant je n'ai pas réussi à lui dire pour nous deux. Et je viens de prendre conscience que je ne suis pas sûre d'y arriver un jour...

Sa déclaration me fait l'effet d'une bombe, je sens que la suite ne va pas me plaire.

Elle prend une inspiration puis enchaîne :

- Je crois qu'il vaut mieux.... qu'on s'éloigne un peu, pour y voir plus clair. Quand je suis avec toi je n'arrive plus à réfléchir, souffle-t-elle en m'accusant presque.

- Flavie, moi non plus je n'aime pas lui mentir. Alors allons lui parler. Je ne veux pas te perdre juste à cause d'un non-dit.

- C'est lui que tu vas perdre, assure-t-elle amèrement.

- Pas forcément, tenté-je de la rassurer.

Elle hausse les épaules, perdue et triste à l'idée de blesser son frère.

- Alors on devient quoi, nous deux ? demandé-je sans vraiment vouloir connaître la réponse.

Elle plonge enfin son regard dans le mien, et le flou que je lis dans ses yeux me brise le cœur. Elle me répond de sa voix tremblante :

- Je crois qu'il va me falloir un peu de temps pour arriver à répondre à cette question.

J'acquiesce, les lèvres pincées, tentant de masquer ma déception et mon amertume pour ne pas charger un peu plus la semi-remorque de doutes qu'elle tire péniblement derrière elle.

À la nuit tombée, Romain apporte sa touche musicale avec quelques chansons à la guitare. Nos voisins allument un petit feu de camp pour nous éclairer et faire fondre des chamallows. L'ambiance légère et festive peine à gagner la partie contre ma morosité, mais je tente de faire bonne figure. Flavie m'évite habilement, passant l'essentiel de la soirée avec Jane. Alors que j'hésite à rentrer, Romain m'interpelle :

- Celle-ci est pour toi mon pote !

Il gratte les cordes et entonne les paroles de la chanson « Count on me » de Bruno Mars.

« Tu peux compter sur moi, je serai là, parce que c'est ce que les amis sont censés faire », ne cesse de répéter le refrain de cette chanson qui prend tout son sens à mes yeux.

La culpabilité me gagne, suis-je vraiment l'ami qu'il mérite en lui mentant de la sorte, même si c'est pour respecter le souhait de la fille que j'aime.

Mon regard dérive vers Flavie, assise en face de moi. Les petites flammes du feu de camp éclairent son visage tandis que le vent désordonne ses cheveux lâchés. Elle ne quitte pas son frère des yeux, et je la sens gagnée par l'émotion. À la dernière note, tout le monde applaudit et je me lève pour faire une accolade à mon ami qui me sourit.

Le clin d'œil qu'il m'adresse juste avant de me laisser retourner à ma place me fait un drôle d'effet. Je croise le regard de Flavie, qui ne m'a jamais semblé aussi expressif. Elle resserre les pans de son gilet, et je lutte violemment contre l'envie de la prendre dans mes bras pour la réchauffer.

De retour dans ma chambre, je termine de boucler ma valise pour notre retour à Londres demain. En venant ici, je ne pensais pas repartir avec une valise émotionnelle plus lourde que ma valise de vêtements. J'entends Flavie marcher dans la chambre d'à côté et hésite à aller lui parler. Elle me manque déjà terriblement, et j'ai la désagréable sensation que le retour à Londres n'arrangera rien. Je repense à l'air perdu qu'elle avait tout à l'heure sur le ponton et décide finalement de la laisser tranquille, espérant que ses sentiments pour moi prennent le dessus sur ses craintes.

À deux pas de chez toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant