Chapitre 22

526 67 6
                                    

Vendredi 12 août, 13h00, Maison de mon père


Je glissai discrètement la tête par l'entrebâillement de la porte de ma chambre. Rien ne semblait avoir bougé. Le corps assoupi de Sara était toujours étendu en travers du lit, et Duchesse ronronnait doucement sur l'oreiller. La lumière qui avait transpercé le lieu durant les premières heures du jours s'était désormais déplacée, et plus aucun rayon ne risquait de réveiller la princesse assoupie en train de cuver son alcool entre les bras de Morphée. Je soupirai.

La réalisation que j'avais probablement passé la nuit dans le même lit que Sara m'avait plus ébranlée que ce que je ne voulais admettre. C'était un niveau de proximité que je n'aurai jamais imaginé avoir avec elle, encore moins depuis mon retour d'opération. Et pourtant... j'avais bu au point où je m'étais assoupie là, avec elle, sans même le réaliser, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde... je tentais de me justifier, mentalement. Je l'avais couchée dans ma chambre, dans le lit où je dormais à l'accoutumée, mon corps avait simplement agi par réflexe... peut être. Et l'alcool n'avait pas aidé, en me faisant croire que j'étais allée jusqu'à la chambre de ma sœur. J'étais sûrement déjà en train de rêver à ce moment là. Je grinçai des dents. J'espérai simplement que Sara ne s'était rendue compte de rien. Il ne nous restait qu'un peu plus de deux jours ensemble... je ne voulais pas que ma bêtise vienne tout foutre en l'air, si proche de la fin.

Je refermai avec précaution la porte, m'attirant le regard assoupi de Duchesse, et jetai, au passage, un coup d'œil rapide dans la chambre des garçons. Ils semblaient, eux aussi, encore out. Je ne pouvais pas vraiment leur en vouloir. J'avais prévu quelque chose aujourd'hui, mais la chaleur et la durée de notre soirée la veille devaient les avoir épuisés. Et puis, c'était les vacances, je ne pouvais, en toute bonne foi, pas les lever aux aurores tous les jours pour profiter de la relative fraîcheur de la mâtinée. Je descendais donc au rez-de-chaussée, finir de ranger et de laver ce que nous avions laissé en plan pour cause de fatigue excessive. Je remarquai même que j'avais oublié de fermer la piscine... dont le niveau d'eau avait dramatiquement chuté durant la semaine. Je l'aurai bien reremplie, mais ce n'était probablement pas sage au vu des restrictions d'usage de l'eau imposées par le retour de mère canicule.

Prendre mon petit déjeuner seule, et en silence, sur la terrasse où régnait déjà une chaleur étouffante, avait pourtant quelque chose de reposant. Cela faisait un moment que je n'avais pas pu vraiment profiter de la solitude, d'être vraiment seule, dans un endroit que je considérai comme chez moi. Les journées à l'appartement de Sara et Jelila ne pouvaient être comparé à la tranquillité de cet instant, et encore moins les heures interminables enfermées dans la chambre d'hôpital à Montpellier. L'idée de devoir y retourner dès la semaine suivante ne m'enchantait pas vraiment non plus... mais, lorsque je l'avais contactée, la docteure Fererra avait insisté sur le fait que ça ne la gênait pas, et sur la nécessité de corriger tout ce qui pouvait ne pas aller au plus vite, pour éviter tout risque de potentielle malformation ou infection.

Avec tout ce qu'il s'était passé, j'avais l'impression de ne pas avoir eu vraiment le temps de prendre pleine conscience des changements que cette opération avait apportés à mon corps. Enfin, je les comprenais, physiquement, mais mentalement, j'avais toujours peur de baisser les yeux, et de retrouver cet organe que j'avais toujours haï, pendant entre mes jambes. Il n'y était plus... et cela aurait dû me remplir de joie. Mais, à vrai dire, je trouvai surtout cela... déroutant. C'était une réaction normale, selon la docteure Fererra. Il fallait un temps d'adaptation. Et tout le monde avait son propre rythme. Mais ce n'était pas vraiment la seule raison qui causait cet étrange sentiment de malaise en moi.

J'avais toujours pensé que cette opération serait l'étape ultime de ma transition, la fin, ce qui marquerait enfin et définitivement la rupture avec celui que j'étais auparavant. Mais je n'avais pas vraiment senti cela. En réalité, pas grand chose n'avait changé. Ni Mathias, ni Thibault n'en avaient vraiment parlé... encore moins Sara, malgré le fait qu'elle était celle qui m'y avait poussée. A vrai dire, tout le monde me traitait comme si rien n'avait changé. Et c'était sûrement parce que, au fond, c'était le cas. Moi qui avait tant haï ce petit bout de chair suspendu entre mes jambes, je ne réalisai vraiment que maintenant à quel point il était insignifiant dans les relations que j'avais construites tout au long de ma vie. C'en était à se demander pourquoi tout le monde en faisait un tel drame...

Allo docteure?Where stories live. Discover now