Chapitre 23

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Mercredi 21 Septembre, 9h30, Hôpital de Strasbourg

Je fixais les portes coulissantes du hall de l'hôpital avec une appréhension difficilement mesurable. Elles me semblaient aussi attirantes que terrifiantes. Comme promesses de douces caresses chaleureuses, autant que de douloureux déchirements. Ou peut être n'étaient-elle que la réflexion de mon état actuel, car mon cœur était tout sauf apaisé. Au contraire; il semblait s'affairer à tenter de s'extirper de ma cage thoracique par tous les moyens. 

J'expirai longuement. C'était ainsi que j'avais appris à me calmer, lorsque tout devenait... trop, pour moi. Même si mon petit coeur n'était plus aussi fragile qu'il avait pu l'être quelques mois plus tôt, ou, qu'en tout cas, il le cachait mieux, j'avais toujours conscience d'être moins endurante que la moyenne de la population, et je savais qu'il valait mieux rester prudente. Si même le père de Sara, un docteur réputé, n'avait pas pu échapper à la malformation de son muscle cardiaque, je n'avais pas particulièrement envie de tenter ma chance. Ah... oui.

Sara. 

Comme à chaque fois que mes pensées se retrouvaient à retrouver son souvenir, souvent malgré moi, je ressentais un terrible pincement au coeur. Purement émotionnel, le pincement. Car Sara, malgré son omniprésence dans mes rêves éveillés quotidiens, ne faisait plus partie de ma vie depuis plus d'un mois déjà. Elle était partie, avec Matthias et Thibault, dans sa voiture chérie, alors que le mois d'août allait sur sa deuxième moitié, et que j'allais redescendre à Montpellier pour me faire réparer. Et, tout comme elle me l'avait dit, elle ne m'avait jamais recontactée depuis. Plus de longs appels, en soirée, de discussions enflammées sur les sujets les plus insignifiants. Plus de petites piques amusées, plus de messages inquiets s'enquérant de ma santé, de mes efforts de la journée, ou du taux de sel de mon dernier repas. Silence radio. Et, de toute évidence, je n'avais pas non plus tenté de la contacter en retour. A quoi bon? Elle avait fait son choix, après tout. Son choix, plus que discutable de mon point de vue clairement peu objectif, d'écouter les recommandations de sa petite amie, et de couper tous les ponts. Elle avait pris sa décision sans même savoir les sentiments que je nourrissais à son égard, alors, à quoi bon la contacter maintenant que je les avais laisser s'échapper, que je les lui avais avoués dans un dernier acte désespéré de la tenir près de moi, ou du moins de ne pas complètement disparaître de sa mémoire? A quoi bon faire le premier pas vers elle, alors même que mes aveux lui avaient prouvé qu'elle avait eu raison? Que je ne m'étais pas contentée de sentiments amicaux à son égard? Qu'elle avait eu raison, au final, de me mettre à la porte de sa vie? 

Je passais une main irritée dans mes longs cheveux bouclés. Je n'aimais pas repenser à tout cela. A ce qui aurait pu être fait. Et à ce à quoi je ne pouvais de toute façon rien faire. J'étais impuissante dans les choix de vie de Sara, après tout. Je n'étais pas de sa famille. Je n'étais pas celle qu'elle aimait. Je n'étais même pas une ancienne amie comme l'était Jonathan. Je n'étais que "cette patiente" à laquelle elle s'était un peu trop attachée, pendant un été. Il n'y avait rien de plus. Et il n'y aurait jamais rien de plus. Enfin... c'est ce dont j'essayais désespérément de me convaincre. 

Car il restait une chose, tout de même. Un détail, une pièce du puzzle qui n'entrait pas dans ce tableau de dédain et d'oubli dans lequel je peignais notre relation. La même raison qui faisait que je me tenais, là, immobile telle le pieux d'une potence, face à la porte automatique de l'hôpital. 

Sara m'avait demandé elle même de venir la voir. De faire un "check up". Elle m'avait donné le rendez vous en main propre... et je ne savais que faire de ce rendez vous, de ce petit bout de papier froissé que je serrai dans une main comme si ma vie en dépendait, et sur laquelle son écriture rigide et typique d'une médecin avait fini par coulé, tant et si bien qu'on aurait pu le croire bien plus ancien qu'il ne l'était vraiment. Si Sara avait vraiment voulu tout couper, tout supprimer, me réduire à néant dans sa vie, et m'oublier à jamais, alors cette consultation n'avait aucun sens. Pourtant, je me doutais de ce qu'il en retournait vraiment. Que, malgré les mises en garde de Jelila, elle s'inquiétait quand même encore de mon état, de mon cœur. Ça n'avait probablement rien à voir avec un rendez vous amoureux secret, dans le dos de sa petite amie. Et pourtant, une part de mon cœur ne pouvait s'empêcher de l'espérer. De croire encore que quelque chose était possible, quoi que ce soit, à vrai dire. Que Sara m'avoue qu'elle avait rompu avec Jelila? Ou qu'elles étaient en train de faire une pause? Qu'elle ne supportait pas de ne plus me voir? Qu'elle voulait, malgré tout, rester mon amie tout de même? N'importe quoi m'irait, tout plutôt que cette silencieuse ignorance dont j'étais la cible. J'avais conscience que ce n'était que mon esprit qui ne parvenait pas, une nouvelle fois, à juste accepter le rejet. Mais en avoir conscience ne m'empêchait pas de continuer à espérer. 

Allo docteure?Where stories live. Discover now