Prologue

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Loona. P.F Hospital.

Lorsque la machine s'est mise à émettre un bruit long et strident, j'ai su.

— Apportez le chariot de réa ! Donnez lui, 1 milligramme d'adré ! Chargez à 150 ! Dégagez !
Je dicte, je dicte. Je dégage, je dégage et je dégage à nouveau. La machine ne s'arrête pas. C'est trop tard. Beaucoup trop tard. Je lève les yeux sur le mur face à moi.

— Heure du décès : trois heures trente-quatre. Apportez le bébé en salle de soin ! Il lui faut une aide respiratoire ! Bipez le docteur Wornen !

Quel gâchis. Naître dans de telles conditions. Il ne connaîtra donc jamais sa mère. Ni son père, sans aucun doute.
Je sors de cette salle qui tue plus qu'elle ne sauve et enlève mes gants, ma charlotte et ma blouse, puis je me déplace face à ce lavabo terne, actionne la vanne qui laisse l'eau s'échapper pour atterrir directement sur mes mains pleines de savon, que je frotte énergiquement.

Il y a des jours avec et des jours sans. C'est ce que ma mère me répète souvent. Eh bien, aujourd'hui, ce seront les deux. Avec et sans. Avec un enfant et sans une mère. Je ne connais que trop bien le sentiment qu'elle ressentira. Vivre sans un parent.

Mon père, vous dites ? Il n'est pas mort, si telle était votre question. Non, c'est bien pire que cela. Il est sur la voie. Il n'en est franchement pas loin. Il m'affirme le contraire, mais enchaîne chimio sur chimio.

Un cancer tue une vie. C'est un cancer. Mais il n'en tue finalement pas qu'une. C'est aussi ce que l'on appelle le cancer. Il enlève une vie, pour en enlever d'autres sans même s'en rendre compte.

Le cancer...

Je sors bien vite de ses pensées qui ne mèneront pas plus loin que la réalité et prends la porte afin de rejoindre ce couloir. La partie la plus compliquée de ce métier.

Annoncer aux parents de la victime, qu'ils ne reverront plus jamais leur enfant.


Loi. Deux semaines plus tard.

À peine arrivé, je coupe le contact, ouvre la portière coté conducteur de ma Bugatti Divo qui m'a coûté quelques millions – résultat de plusieurs années d'acharnement –, et descend.
Je passe le pas de cette maison faite en partie de bois d'une couleur foncée, si foncée qu'il peut parfois paraître noir. Elle se trouve en plein milieu d'une forêt. Plus précisément dans une des forêts de Kiawah Island en Caroline du Sud.

Quand j'étais gosse, je vivais en Amérique du Sud, la Virginie. Mon oncle y vivait. Aujourd'hui, je suis seul, il était donc évident pour moi de revenir dans ma ville natale. À vrai dire, je n'ai que très peu de souvenir de la Virginie. Je suis revenu à l'âge de seize ans seulement. Mon oncle est décédé et mes parents... Que dire de mes parents ? Je rigolerais presque à ce pronom, c'est d'ailleurs ce que je fais finalement, un rire s'échappe d'entre mes lèvres.

— Qu'est-ce qui te fais marrer, connard ?
J'étais si concentré dans mes pensées, qu'il m'a fallu beaucoup pour retenir un sursaut. Je le regarde, sans la moindre trace d'émotion dans mon regard, comme toujours. J'ai appris à contenir mes émotions en arrivant ici. C'est ce qu'il aurait voulu. Ce qu'il veut. Mais je crois bien qu'aujourd'hui, je ne fais même plus semblant.

— T'as failli me faire peur, enculé !
Ce connard s'esclaffe, pendant que je pousse ma chaussure du bout de mes doigts de pied sur mon talon droit, et réitère l'opération du second pied, refermant par la même occasion la porte d'entrée. Mes clés toujours en main, je les balance dans le petit panier à l'entrée et rejoins Jared, assis sur le canapé en cuir blanc, contrastant incroyablement bien avec le reste de la maison entièrement foncée.

— Bah alors Jed, ça se réchauffe le cul-cul près du poêle ! Je m'exclame, en sachant que le poêle est éteint, nous sommes en avril, mais c'est une habitude qu'il a et je ne peux m'empêcher de le charrier. Je ne l'ai jamais compris sur ce point là.

— Connard.

— Tafiole.

— Ça fait longtemps mec, reprend-il plusieurs instants plus tard avec enthousiasme.

J'ai toujours été surpris par ses changements brusques de discussion. Mais j'ai d'autant plus été surpris du temps qu'il m'a fallu pour m'y habituer.

— Deux mois. J'ai décollé en février, et apparemment, tu squattes toujours autant ma baraque.
Je m'affale sur le fauteuil, face à lui et dépose mes pieds sur la table basse, attendant, le regard fixé dans le sien, son excuse. Je me doute sur quel sujet cela ne tombera rien qu'avec ce regard. On ne change pas les habitudes, moi je vous le dis.

— Ella commence sérieusement à me les briser, mec !
Qu'est-ce que je disais ? Je lève les yeux au ciel plus par habitude que par envie. Je l'avais prévenu de ne pas se mettre en couple avec cette fille. C'est un putain de pot de colle doublée d'une vraie garce.

— Je te-

— Et ne dis pas « je te l'avais dit » parce que je t'en colle une, Loi.

Je manque de m'étouffer, puis je finis finalement par éclater de rire.

— Toi... m'éclater ? Putain... T'as jamais été... Aussi drôle, mec, je prononce difficilement, entre deux rires.

Il me fusille de son regard vert.

— Bon, je me reprend, qu'a t-elle encore fait ?

— Elle veut un chat ! Un putain de chat !

Je fronce les sourcils, causant probablement un barre en eux deux.

— Mais tu ne lui as pas dit que t'étais allergique ?

Il réfléchit, puis après quelques instants, se décide à enfin sortir une réponse.

— Bah... Je pensais. Et ne me regarde pas comme ça ! Ce n'est pas de ma faute, elle ne m'a même pas laissé en placer une !
Je me retiens de pouffer de rire face à cette situation. Un gamin. C'est un vrai gamin, putain.

— Putain, mec ! C'est une nana. Une. Nana, bordel. Tu te laisses marcher dessus !
Il arque un sourcil, me jugeant faussement de haut en bas, avec un air de « pour qui tu me prends, toi ? ». Je lui rends son regard, mais avec un air de « me prends-tu pour un con, toi ? ». Tout ça pour dire que je n'en tiens finalement qu'un simple soupir. Je lève les yeux au ciel, pour changer.

— Bon alors, ton tour du monde ? Ne me dis pas que t'as failli mourir ? Je te crois. De toute façon je t'avais prévenu ! Mon Dieu ! Est-ce que tu m'aurais légué toute ta tune ?
Je me lève sans répondre. Toutefois, le début de sa réflexion me démangeait.

— Ce n'était pas un tour du monde, pour la centième fois, trou du cul !
Je lui tourne le dos, et me dirige en direction des escaliers que je ne tarde pas à monter. Première porte à droite. Je me jetais sur mon lit, exténué.

— Putain, mec ! Tu ne vas pas me laisser dîner tout seul ?! Je l'entends crier d'en bas.
Je lève pour la énième fois – si bien que je me demande si ce n'est pas dangereux – les yeux en murmurant :

— Je vais me gêner.
Le sommeil commençait progressivement à m'emporter, lorsque mon téléphone émit le fameux son indiquant qu'on essayait de m'appeler. Je grognais tout en me relevant légèrement afin de récupérer mon téléphone présent dans la poche avant de mon jean, que j'avais d'ailleurs oublié de retirer. Je décrochais sans même vérifier le numéro.

— Allô ?

— Hum, B-bonjour, vous êtes bien Loi Johnson ?

CARNET SECRET: Le mystère de LoonaWhere stories live. Discover now