28 - Phœbe : Afraid of myself

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Les yeux fermés, je savoure la sensation des doigts de Fallen glissant dans mes cheveux. Voilà une demie-heure que mon amie prend le temps de les peigner et de les tresser — et je la suspecte de faire durer la chose, puisqu'elle sait à quel point cela m'aide à me détendre. Je lâche un soupir de plénitude, appréciant le souffle du vent du soir contre mes joues. Un sourire étire mes lèvres tandis que je me rappelle notre danse, toute à l'heure. Éléonore me serrait les mains, elle avait l'air si heureuse. Mon rire s'est joint au sien, je n'ai pas pu le retenir. Je n'arrivais plus à m'arrêter — et cela ne m'était pas arrivé depuis très longtemps. Mes pieds frappaient contre le bois du bateau, et je me sentais si libre, et si légère. Les pensées obsessionnelles qui ne me quittaient plus depuis quatre jours se sont soudain éteintes : je n'entendais plus que la musique, cette musique d'une autre époque, celle que nos parents écoutaient quand ils avaient notre âge et que nous reprenions en espérant rattraper le temps.

À côté de moi, Noah et Kaia discutent gaiement. Je perçois les frottements des pages du carnet, le rire de Cora aux plaisanteries de Gabriel, et même Aspen et Éléonore chuchoter, dans leur coin. Seul Connor est silencieux. Pourtant, comme d'habitude, il est celui qui prend le plus place. Je pourrais être dans une salle noire de monde, bondée et bruyante, et ne voir que lui, n'entendre que lui. Lui, lui, lui. Voilà quatre jours, et ce qu'il m'a dit dans le couloir de cet hôpital ne quitte pas mes pensées : « Je t'ai confié mon cœur. Je te l'ai donné ce premier jour où tu as croisé mon regard. » ; « Je sais que j'ai été horrible, que ce garçon que tu as vu pendant deux ans t'a fait peur. Tu as besoin de temps, je comprends, et je serai là quand tu seras prête. La balle est dans ton camp. »

Peut-être arriverais-je à penser correctement si je parvenais à dormir la nuit. Mais depuis l'incendie, je dors très mal. Quand je ne rejoue pas en boucle le regard que Connor m'a lancé quand je lui ai tourné le dos, je le revois en train de se jeter dans les flemmes. Je me réveille une fois sur deux en sueur, tremblante, et il me faut une minute pour me souvenir qu'il en est ressorti, qu'il est vivant et qu'il dort dans la pièce d'à côté. La plupart du temps, je me blottis un peu plus contre Fallen, et me rendors. Parfois, je n'ai pas cette chance, et les premiers rayons du soleil apparaissent dans le hublot pour noyer la pièce de lumière ; à partir de là, impossible de me rendormir. Noah, le lève-tôt de la bande, m'a plusieurs fois surprise sur le pont à huit heures et lisant au soleil. Si, le premier jour, il a tenté d'engager une discussion, les jours suivants, il a compris que j'avais besoin d'être seule.

Mais ce soir, je me sens bien. Sereine. Peut-être aurai-je droit à une nuit calme, cette nuit. Le temps où j'angoissais pour mes examens paraît loin, tout d'un coup. Gribouiller quelques réponses sur une feuille de papier me semble si insignifiant, maintenant.

Je sursaute tandis qu'on me frôle la hanche. Mes yeux se rouvrent à toute vitesse, et je découvre que Connor m'a touchée en voulant ajuster sa position sur le coussin. En me voyant, il murmure un rapide « excuse-moi », mais je lis sur son visage qu'il n'en pense pas un mot. Sa lèvre frémit, et je devine un sourire. Mes joues rosissent. Il détourne la tête, comme si de rien n'était, et referme les yeux, les bras croisés derrière sa nuque. Sa chemise remonte légèrement sur son ventre, dévoilant les contours de ses abdominaux, et je dois résister à la tentation de le sentir sous mes doigts. Mes yeux remontent le long de son ventre, de ses bras, et arrivent sur son visage. Je profite qu'il somnole pour l'observer — et, s'il le sait, il n'en fait rien, me laissant l'examiner à ma guise. Je détaille les contours de sa mâchoire, bien plus marquée depuis deux ans ; il ressemble de plus en plus à son père, mais je sais que pour lui ce commentaire n'aurait rien d'un compliment. Sa peau est moins lisse que d'habitude, il ne s'est pas rasé. Je m'attarde sur les grains de beauté sur son visage — un dans le coin extérieur de son œil droit, et l'autre au-dessus de son arcade sourcilière gauche. Je les connais par cœur, mais je dois reconnaître que je les aime toujours autant. Fut un temps, c'est là que j'appréciais l'embrasser, quand nous étions jeunes et innocents, quand le geste n'avait pas autant de signification qu'il n'en aurait eu aujourd'hui. Mon regard suit la tracé en amande de ses yeux, ses épais sourcils noirs et froncés, la ligne droite de son nez, l'arc de ses lèvres pleines — et son air à la fois taquin et boudeur, même quand il est endormi.

Follow your fireWhere stories live. Discover now