Fin août 1940

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Un samedi, vers midi, nous voyons arriver M. et Mme Landemard chez qui j'ai logé, à Omerville, du 10 novembre 1939 au 22 juin 1940 et surtout qui ont su me protéger lors de l'arrivée des troupes ennemies. Ils sont venus d'Omerville à Menucourt, environ 30 kilomètres, en partie à pied, pour m'apporter un courrier de l'Inspecteur primaire de Mantes ; pas de téléphone et les services postaux étaient encore très aléatoires.

Je devais me rendre, dès que possible, à Buhy, canton de Magny-en-Vexin, près de Saint-Claire-sur-Epte, pour rouvrir l'école. En effet, les instituteurs devraient reprendre le service le 1er septembre, sauf ceux qui étaient restés à leur poste lors de l'exode en juin ; ceux-là avaient droit, selon les cas, à deux ou trois semaines de « congé de détente ». Je pense d'abord à mes élèves d'Omerville, à l'examen du C.E.P. qui a été ajourné et j'espère les retrouver bientôt. J'abandonne mon droit à trois semaines de congé et je retourne à Omerville avec M. et Mme Landemard.

Le lendemain dimanche, en début d'après-midi, il faut se rendre à Buhy, distant d'environ 9 kilomètres. M. Landemard m'accompagne à pied à travers champs ; ce serait une agréable promenade si ce n'était la chaleur forte en cette fin d'été... Et l'angoisse de l'inconnu.

Je dois d'abord me présenter au maire du village ; il est à la tête d'une importante exploitation agricole ; M. Landemard y a travaillé quelques années auparavant. Mais le maire est absent, il fête le baptème d'un de ses petits-fils à La Chapelle-en-Véxin. M. Landemard m'abandonne à la personne de confiance qui garde la ferme ; mais les heures passent, le jour baisse. Personne ! L'institutrice elle-même est absente. Il faut pourtant me trouver un lit pour la nuit ; une estafette est envoyée à bicyclette au hameau de Buchet ; une dame âgée veut bien me prendre en pension pour ces deux semaines mais comment me nourrir ? Elle doit avoir environ soixante-dix ans car elle me racontera qu'un Prussien l'a tenue sur ses genoux lorsque Paris a été envahie en 1870. L'histoire serait-elle un perpétuel recommencement ?

Encore 2 kilomètres à pied à la nuit tombante et j'arrive chez une vieille dame charmante, bien qu'un peu bizarre. Ma chambre à l'étage est vieillotte et romantique : dessus de lit rideaux à fleurs, dallage rouge passé au siccatif. Mais que se passe-t-il donc la nuit ? Les carreaux de grès s'entrechoquent légèrement : c'est une cavalcade de souris ! Après dîner, un bien maigre repas, nous bavardons un peu dans la salle à manger, le soir descend paisiblement sur le hameau, bonheur du calme retrouvé. Un léger bruit dans le buffet : « Chut, dit mon hôtesse, c'est ma petite souris ! ». Le lendemain matin, au petit déjeuner, nous serons tout de même bien aises de croquer quelques biscottes déjà écornées, le boulanger de St Clair-sur-Epte n'assure plus les livraisons, lui reste-t-il d'ailleurs de la farine ?

Le matin et l'après-midi, les gamins du hameau me suivent jusqu'à l'école de Buhy : deux kilomètres d'une agréable promenade dans la campagne puis quelques révisions, conversation avec l'institutrice en titre, en congé de détente, une classe-promenade quelquefois. L'ambiance est familiale, paisible, à une cinquantaine de kilomètres de Paris : l'armistice n'a-t-il pas été signé le 22 juin ?

10 novembre 1939 - InstitutriceWhere stories live. Discover now