L'année scolaire 1943 - 1944

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La population officielle des Mureaux était alors de 3500 habitants environ mais dans la crainte des bombardements, certains avaient préféré s'éloigner momentanément. Les trois écoles (filles, garçons, maternelle), toutes les trois situées au centre-ville, continuaient à fonctionner tant bien que mal.

« Mémère Thuret » assumait sa tâche de femme de service à l'école maternelle, mais faisait en même temps office d'institutrice... Et même de directrice ; sans se soucier de l'Occupant, elle faisait chanter aux petits confiés à sa garde une Marseillaise aux notes discordantes et aux paroles plus ou moins déformées par les jeunes chanteurs.

Les classes des écoles Roux-Calmette (garçons) et Paul Bert (filles) avaient été dispersées dans la ville dans le but de limiter le nombre de victimes au cas où une bombe les atteindrait.

Mon cours préparatoire était installé chez des crémiers, M. et Mme Chudent, rue de Verdun, dans une ancienne cuisine, juste assez vaste pour que s'y entassent une douzaine de fillettes. Un petit poêle à charbon, dans un coin, essayait de nous faire oublier le froid humide des lieux. Un tableau branlant constituait le seul matériel pédagogique. Pas de place pour un bureau ; les registres officiels, les livres de lecture et quelques cahiers trouvaient place sur la vieille pierre-évier en grès, sans crainte d'être mouillés, puisque l'eau n'y arrivait pas ! Les livres, en ces temps de crise, étaient manipulés religieusement. On économisait les cahiers, on économisait une ligne ou deux en haut et en bas de chaque page car on avait, momentanément heureusement, institué un système de tickets (le rationnement !). Quelle affaire quand la petite Arlette, boulimique ou simplement affamée, avale une partie de ses tickets ! Dans la matinée, distribution de bonbons vitaminés, pastilles roses à l'odeur écœurante ; ils furent bientôt remplacés par des biscuits de meilleur aloi.

Les raids aériens s'intensifiaient. La sirène mugissait : c'était une alerte ; vite, on dévalait l'escalier de pierre jusqu'à la cour, puis l'escalier menant à la cave, et là on s'asseyait sagement au milieu des réserves de crémier. Et on récitait des poèmes, on chantait, on s'exerçait au calcul mental : il ne fallait pas perdre son temps : pas besoin de récréation non plus ! L'alerte passée, chacune se faufilait à sa table et on profitait de l'accalmie pour une leçon de lecture ou de calcul à l'aide du précieux tableau noir, suivie d'un exercice écrit.

La classe de cours élémentaire 2ème année vint à manquer d'institutrice ; je dus alors partager mon temps entre le C.P. le matin, rue de Verdun, et le CE2 l'après-midi, boulevard Victor Hugo. En cas d'alerte, l'abri était la cave de Mlle Marguerite la teinturière, rue des Écoles, ou celle de l'école. Pas de panique quand les tirs de la D.C.A. signalaient l'approche des avions, même quand la vieille maman d'une collègue s'écriait : « Mes petits enfants, faites votre prière ! »

Quelques enfants restaient à la cantine à midi. Deux ou trois tables avaient été installées dans une classe inoccupée. Chaque jour, une femme de service venait de Roux-Calmette, portant à bout de bras un seau de tôle galvanisée : c'était tous les jours le même brouet clair, composé de rondelles de carottes, quelques morceaux de navets ou de rutabagas avec, les jours fastes, quelques rares morceaux de pommes de terre.

10 novembre 1939 - InstitutriceWhere stories live. Discover now