Rentrée 1942

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J'aborde sereinement la rentrée en 1942 : j'ai pris de l'assurance, les résultats au C.E.P. sont encourageants, les parents me font maintenant confiance. Et pourtant, je n'exercerai pas une troisième année à Menucourt.

Au retour de mon stage au C.R.E.P.S. de Paris, un courrier de l'Inspecteur m'attend : je dois me trouver le lendemain matin 1er octobre à 8h30 à l'I.F.P. (Institut de Formation Pédagogique) place de la gare à Saint-Germain-en-Laye, à l'entresol de l'hôtel-restaurant (« L'arrivée » ? ou « Le Terminus » ?).

Aller de Menucourt à Saint-Germain à cette époque est une véritable expédition : 3 km à pied pour aller à la gare de Vaux-sur-Seine, un train jusqu'à Paris Saint-Lazare et un autre jusqu'à Saint-Germain.

Yvonne G., une ancienne camarade du collège de Pontoise, rencontrée sur le quai à Paris me renseigne : les Normaliennes (et les Normaliens) de la promotion 1939-1942 ont achevé leur formation ; les Écoles Normales étant supprimés depuis septembre 1940 elles sont remplacées par les I.F.P. (Institut de Formation Pédagogique). Cette année, des institutrices (et instituteurs, rares bien sûr) ayant déjà enseigné comme auxiliaires, titulaires au nom du C.A.P. (Conseil d'Administration Pédagogique), ont été choisies pour recevoir une formation pédagogique en un an, en Seine-et-Oise, 42 institutrices en deux groupes de 21 alternant une partie de l'année à Saint-Germain, l'autre à Paris et ayant déjà fait la preuve de leur goût pour l'enseignement et, bien sûr, sans attaches ni avec la franc-maçonnerie, ni avec la religion juive : les origines de mes ancêtres et leur nom en sont la preuve.

L'École Normale étant occupée par l'armée allemande, la directrice Mlle Bourlot nous reçoit à l'entresol du café : c'est là qu'elle réside, là aussi qu'auront lieu la plupart des cours dans l'unique salle mise à notre disposition. 21 élèves pourront prendre place.

Tout de suite se pose le problème de notre vie à Saint-Germain ; certaines viennent de province (Bouches du Rhône, Haute Saône) ou simplement de villages de la Région Parisienne sans liaisons faciles avec Saint-Germain. Momentanément la cantine de l'école de la rue de Écuyers pourra nous accueillir à midi, mais le soir ? Pas d'internat non plus ; une possibilité peut-être : la « Maison Blanche » ? Avant l'Occupation, cette propriété dirigée par miss Hall recevait de jeunes anglaises ; en ce moment il semble y avoir un litige entre les anciens intendants de l'École Normale qui l'occupent et la nouvelle titulaire du poste.

Mlle Bourlot nous engage à « tenter notre chance ». Sans recommandations aucune. Et me voilà partie, avec Mlle Cornubert, de Champlitte (Haute-Saône) suivant les indications de Mlle Bourlot (le tabac Thiers, puis longer le lycée) ; enfin la Maison Blanche ; des pourparlers devant le portail entrouvert et enfin nous pouvons entrer et nous installer dans la « chambre rose » donnant sur le jardin. De là, nous pouvons apercevoir l'École Normale badigeonnée de gris, entendre les bruits de bottes et les chants de l'Occupant mais aussi le tintement de la cloche d'un couvent en contrebas.

Mme la Directrice, toujours de noir vêtue, assure le cours de morale professionnelle ; elle veut faire de nous des institutrices modèles ; de la discipline : levée tôt, conduite irréprochable. Institutrices de campagne nous sommes des partis enviables, méfions-nous. Pour nous consacrer entièrement à notre « vocation », une bonne pourrait nous décharger des humbles travaux ménagers !

Nos formatrices et la plupart des instituteurs de l'École d'Application de la rue Ampère sont des célibataires ; est-ce l'image de l'institutrice idéale, nonne laïque ? La directrice de l'E.F.P. étant le « conseiller spirituel » des « postulantes » à travers le « cahier de confidences » (notes de lectures, réflexions, questions diverses) remis obligatoirement chaque samedi.

Les cours du matin commencent rituellement par une lecture morale et un chant choisis par les stagiaires à tour de rôle. Pourtant, là, comme à Menucourt, on ne chante pas l'hymne « Maréchal, nous voilà ». Commence alors le cours : pédagogie, psychologie, étude des écrivains pédagogiques. Le professeur apprécie la maturité des stagiaires (je suis la plus jeune), plus mûres que les jeunes normaliennes et déjà riches de l'expérience acquises dans leur classe. Une pause dans la matinée, l'horloge du château marque 11 heures ; notre estomac crie déjà famine et ce n'est qu'un maigre brouet qui nous attend à la Maison Blanche.

« Carottes et navets

Au jus aigrelet

Composent le menu

De notre cher institut »

Le jeudi après-midi est souvent consacré à des sorties pédagogiques : Saint-Germain et les hôtels construits sous Louis XIII et Louis XIV pour les courtisans, des réalisations à but social à Paris : le Palais de la femme, la Cité du Refuge de L'Armée du Salut.

Vu mon état de santé, je suis dispensé du cours de gymnastique, le jeudi matin, au lycée de jeunes filles. Ce qui ne m'empêche pas d'assister au cours de Sciences là aussi en fin d'après-midi. Il fait nuit, il fait froid, les rues sont désertes, mais les cours sont un régal. Madame X. nous invite même à fêter la fin du stage chez elle, là où a vécu la « Grande Mademoiselle », cousine germaine de Louis XIV.

L'après-midi se passe en partie à l'école annexe, rue Ampère, il y règne une discipline stricte, les institutrices vouvoient les élèves qui semblent triés sur le volet dans ce quartier de grandes propriétés ; un peu plus de chaleur humaine tout de même dans la classe de C.P. de Mme H. et à l'école maternelle.

10 novembre 1939 - InstitutriceWhere stories live. Discover now