Retour à Menucourt - Septembre 1940

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Å la mi-septembre 1940, un courrier officiel arrive à Buhy : par ordre du Chef de l'État, le maréchal Pétain, les Écoles normales d'instituteurs sont fermées et, ce qui me concerne directement, les Intérimaires sont licenciées : « la guerre est terminée », les instituteurs mobilisés vont reprendre leur poste. Personne n'imagine encore que ces malheureux sont prisonniers et qu'ils ne rentreront - pas tous d'ailleurs - que près de cinq ans plus tard, en avril-mai 1945.

Il faut donc quitter Buhy, ce havre de paix. Le dimanche matin 16 septembre, ma logeuse m'a réveillée tôt ; petit déjeuner frugal, les adieux, le départ. Le hameau dort encore, il fait nuit, il pleut, le sentier qui mène à la route de Rouen est boueux et glissant. Enfin voici la route ; mais une ombre s'agite ; qui se cache dans le pré à l'orée du bois ? Il faut pourtant presser le pas car Magny est encore à 11 km ; en fait le « bandit » est une malheureuse vache noire et blanche qui s'abrite de la pluie. Les coups de six heures sonnent quand je traverse La Chapelle-en-Vexin ; encore 9 km ! Mais un roulement sourd se rapproche ; nouvelle frayeur : un convoi allemand ; je me fais petite sur le bord de la route. Et voici Saint-Gervais, encore 3 petits km mais le jour se lève et la descente sur Magny est un plaisir sauf que... La petite valise en carton détrempée par la pluie s'est ouverte, vidée dans le caniveau.

La France s'installe dans la guerre. Me voici, sans travail, à Menucourt. On me propose un emploi de préparatrice en pharmacie à Paris, de préceptrice dans une famille en relation avec les Dormeuil. Mes parents hésitent à me laisser partir dans la capitale occupée par les Allemands. Pour ne pas être trop à la charge de mes parents, je tricote - j'ai déjà quelques clients - et je suis reconnaissante à Mme Chopard, l'épouse de mon instituteur qui, en 1929, m'a permis de réaliser ma première œuvre aux aiguilles : une culotte et un pull pour mon premier petit frère.

Enfin, la veille de la Toussaint, une nouvelle affectation. Le Chef de L'État a compris que la guerre n'est pas terminée, il faut de nouveau faire appel à des institutrices intérimaires ; me voilà donc nommée à Menucourt même, là où je suis née, là où on me tutoie, on m'appelle par mon prénom. Je remplace M. Foulon, prisonnier dans un Oflag (Offizier-Lager : camps de prisonniers de guerre destinés aux officiers) et surtout Louis Bajon qui avait mené pendant un an la classe à la baguette. La classe regroupe trois « divisions » de garçons et filles de dix à quatorze ans. Je n'ai pas de formation pédagogique ; les gamins sont espiègles et les parents peu enclins à les sermonner : ne suis-je pas celle qui s'est élevée au-dessus de sa condition ? Personne pour me conseiller, m'aider à préparer le C.A.P. (Certificat d'Aptitude Pédagogique), rien n'est prévu.

Mon amie Nelly me conseille de m'inscrire au cours Jarach, à Paris, pour préparer l'écrit de l'examen mais c'est un établissement privé, payant ; de plus il me reste peu de temps pour étudier entre la classe et le travail à la maison. En effet, pour obtenir un peu de lait, quelques pommes de terre ou du blé, ma mère va souvent travailler chez des fermiers à Courdimanche ; à moi, la fille aînée, de veiller sur la petite sœur et de préparer mes deux frères pour l'école. C'est la galère !

Début 1942, l'année de mes 20 ans, je peux me présenter à l'épreuve écrite du C.A.P. à Pontoise. Le thème ? L'histoire et la mémoire de la patrie. Je termine fièrement ma dissertation par la devise de Paris ; « Fluctuat nec mergitur » (Flotte mais ne coule pas), paroles d'espoir en cette période la plus sombre de la guerre ? En attendant le « tacot » du soir, je passe le reste de la journée chez Mme Huet, mon professeur de français-latin du collège, toujours aussi maternelle avec son ancienne élève.

Je passe les épreuves pratiques dans ma classe avec succès, en juin, mais je suis épuisée physiquement et moralement. Pourtant je m'inscris à un stage d'éducation physique au C.R.E.P.S. de Paris (Centre Régional d'Éducation Physique et Sportive) en septembre, l'occasion de vivre chez mon oncle et ma tante avec ma cousine Christiane. Un repos relatif...


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Extrait du journal de mon amie Nelly :

Lundi 23 août 1943, en visite à Menucourt :

« Pendant que *** donne sa leçon (au château) j'apprends comme elle a été souffrante tout l'an dernier... Au point que ses parents craignaient de la perdre. Pauvre ***, si naturelle avec moi, simple et bonne comme tout chez elle.

10 novembre 1939 - InstitutriceWhere stories live. Discover now