1945 - La guerre est terminée

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Mais les privations ont laissé des séquelles chez les jeunes et les enfants. La surveillance médicale s'organise. Avant d'être titularisée, je dois passer une « visite d'incorporation » avec radio pulmonaire à Argenteuil car la tuberculose fait encore des victimes.

Maître et élèves sont soumis régulièrement à des contrôles radioscopiques. On pratique cutis, vaccins « à la chaîne », à la queue leu leu. Un jour, l'Inspecteur Primaire fait irruption dans ma classe, sans saluer, se heurte à la bibliothèque ; une petite élève est effrayée : « Qui est-ce ? Que nous veut-il ? » Elle pleure à chaudes larmes, se fait rabrouer par le « pédagogue » qui avait pourtant un nom prédestiné ; sa maman et moi, nous aurons bien du mal à l'apaiser.

Les poux font de nouveau leur apparition. Pas encore d'installations sanitaires ; même dans mon logement de l'école, il faut descendre tirer l'eau au robinet de la cour, se laver dans une cuvette sur l'évier ; alors, dans les logements vétustes ? Et à la Cité des Sinistrés ? Un matin, l'infirmière passe dans les classes et voilà toutes mes élèves « poudrées à frimas » ; elles font sensation à la sortie.

La Régie Renault s'installe à Flins, petit village de quelques centaines d'habitants. Des familles entières venant de l'Aube, de la Sarthe arrivent aux Mureaux. Des immeubles sont construits à la hâte, mais pas de classes pour scolariser les enfants. Qu'importe ! On se serre en attendant mieux ; la classe de C.P., vaste, peut accueillir 65 élèves ; j'ai 40 places dans ma classe de CE1 ; il faut y loger 56 élèves, les plus menues se serreront, trois à un pupitre prévu pour deux et alors, gare aux taches d'encre, aux encriers qui se renversent !

Être installé confortablement, à tour de rôle, est une chance à ne pas manquer, même si l'on est malade. Un banc de jardin public offre cinq places supplémentaires, mais comment écrire sur un cahier ?

« À la guerre comme à la guerre » dit-on couramment ; alors que je dicte quelques phrases, surprise ! Ce sont cinq petites derrière qui me font face : les enfants ont trouvé la solution, à genoux sur le sol, elles écrivent sur le siège.

La construction de nouveaux bâtiments s'avère de plus en plus urgente ; on doit allonger, surélever le bâtiment rue des Écoles ; d'abord exproprier un hangar, le démolir, ce qui n'est pas sans poser de problèmes.

Le mur de la cour est abattu mais on laisse le grand portail que la concierge, Mme Petit, ferme consciencieusement tous les soirs. La directrice, Mme Poinsotte, arrive à point, juste avant la rentrée, pour éviter la destruction des « cabinets » ; il reste encore les poutres du toit et un énorme clou de charpente. Un jour, une élève se blesse à la tête, le sang coule abondamment mais Mme Toulon, mon ancienne collègue de Menucourt, m'a appris à ne pas m'affoler. Restons calmes, donc.

On a démoli un ancien préau mais laissé les barres de fer qui soutenaient le banc sur le mur du fond, une petite s'entaille profondément la cuisse ; et c'est sans compter les abcès et autres plaies infectées ; le stage de secourisme s'avère bien utile.

Profitant des démolitions, les rats ont fait leur apparition. « Madame, j'ai un rat dans ma culotte » me dit un matin une petite en entrant en classe. Je suis perplexe, l'enfant est un peu déficiente mentalement, mais elle pleure, elle se trémousse, de plus en plus affolée, pas autant que la bestiole qui bondit puis se réfugie dans un cartable. Ma collègue, Mlle Jauréguy, étonnée d'un brouhaha inhabituel, entre, saisit le cartable et le lance dans la cour ; l'intrus est heureux de retrouver la liberté, liberté de courte durée car un chien errant profite de l'aubaine.


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J'espère que vous avez eu autant d'intérêt et de plaisir que moi à lire ce témoignage. N'hésitez pas laisser un commentaire, il sera transmis à l'auteur de ces textes.

10 novembre 1939 - InstitutriceWhere stories live. Discover now