Début de mon stage à L'I.F.P. de Saint-Germain-en-Laye

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Lettre de Nelly Muzard du 29 novembre 1942 :

Nelly avait 11 ans et moi 10 ans quand nous nous sommes connues. Le 1er octobre 1932, jour de notre admission en 6ème au Cours Secondaire de jeunes filles (bientôt Collège) de Pontoise. À l'époque, peu de filles poursuivaient leurs études au-delà du Certificat d'Études Primaires ; Nelly et moi avons eu la chance, grâce à nos instituteurs, d'être reçues au Concours des Bourses, ce qui nous a permis d'obtenir le Baccalauréat après des années studieuses ; redoubler signifiait perdre sa Bourse.

Viarmes, 29 novembre 1942

Chère petite ***,

Malgré le peu de liberté dont je me permets l'usage, je te réponds bien vite à cause de l'argument « petite interne » qui m'a rappelé bien des souvenirs. J'espère que vous êtes mieux nourries à présent ; le menu du soir est vraiment un peu maigre surtout si vous travaillez après dîner, je te plains bien de n'avoir pas de chauffage. Il fait trop froid déjà pour rester sans feu et surtout pour travailler. Il me semble que vous avez beaucoup de travail – au total plus ou moins que tu ne t'en donnais pour ta classe ? J'aime l'histoire du cahier de confidences (j'espère que l'on vous fournit le papier !). Parlons engelures : moi je n'en ai pas encore mais Jacqueline beaucoup déjà ; je connais plus d'un remède mais qui ne sont pas toujours efficaces. Il faudrait d'abord un bon état général et avoir chaud. Le Docteur avait donné à Jacqueline une pommade épatante mais à base d'huile de foie de morue, aussi on ne la fait plus, c'est dommage. Il y a l'oxy-gelure liquide à mettre seulement sur engelures non écorchées mais qui réussit bien si on s'y prend assez tôt, on doit encore en trouver. Essaye. Remèdes d'un autre genre mais, non moins bons comme curatif et préventif, je superpose bas et chaussettes de laine ou gros coton (pour les mains, gros gants de laine assez larges) et aux pieds des sabots ; l'an dernier j'ai mes sabots de raphia que j'avais fourrés de peaux de lapins. Même dans une classe gelée j'avais les pieds chauds, très appréciable. Cette année, malheureusement, les sabots sont presque usés, mais je viens d'en recevoir une paire (tout en bois) de mes vacances, paire commandée depuis plus de deux mois ! C'était même difficile à trouver là-bas. Je me réjouis à l'idée de les étrenner, autant que lorsque j'avais quatre ans ; je ferai la classe avec, bien sûr, je crois que c'est le moyen le plus simple et le plus sûr pour les engelures. Coucher avec socquettes en effet empêche le contact trop direct de la bouillote, cela vaut mieux, et aussi le contact glacé des draps.

Tant mieux si tu t'entends bien avec ta camarade Ginette (tu as oublié de me dire son nom). J'espère que vous ne vous en faites plus pour les alertes. Nous, nous entendons les avions mais ici il n'y a jamais d'alerte. Je te trouve meilleur moral qu'à l'ordinaire, je pense que c'est déjà l'effet de l'internat. Je crois que tu ne regretteras pas ce stage, tu sais. Tu n'as pas l'air en trop bon état physique tout de même et l'interdiction de gymnastique m'ennuie. Tâche de te retaper. La santé est essentielle à l'heure actuelle surtout pour ceux de vingt ans à mon avis.

En effet, vos visites doivent être intéressantes. Mais le temps est bien réduit pour la culture personnelle, peut-être intéressante aussi. Continue de penser à moi, à tes cours pour le vocabulaire, le chant, etc. Quoique j'aie peu d'espoir de te voir, tu sais qu'à Noël on n'y parvient jamais.

Merci pour les nouvelles des anciennes compagnes. Le cas Jeanine Manguine m'inquiète pour moi (si j'allais en faire autant !), Marthe a bien de la chance, je voudrais bien être 5 minutes petite souris dans sa classe !

Robert est-il interne ? À mon avis, c'est mieux pour toi d'être un peu seule, ou plutôt un peu avec d'autres de ton âge et du métier.

Moi aussi j'ai aperçu Mlle Garnier (vieille) à la Sorbonne, mais elle ne m'a pas reconnue. J'ai souri à l'histoire des pieds de cochons mais je ne me rappelle plus quels souvenirs communs elle peut éveiller avec Mlle Tibéri et toi. J'ai fait la commission de R. Brunet à Jacqueline.

10 novembre 1939 - InstitutriceWhere stories live. Discover now