1 # Quand on a la courante et qu'on ne peut pas courir

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J'inaugure une série de petites anecdotes sur le quotidien de l'handicapé que je suis par un sujet qui nous concerne tous : la merde.

Évidemment, il me faut poser le contexte. Je suis un futur trentenaire (oh putain ça fait mal !) atteint d'une maladie génétique évolutive qui touche principalement les muscles et les nerfs. Depuis deux ans, avec l'évolution des choses, je suis obligé de me servir d'un fauteuil électrique au quotidien. Je peux malgré tout effectuer mes transferts moi-même (on appelle « transferts » des déplacements tels que du lit au fauteuil ou du fauteuil à une cabine de douche), ce qui m'assure quand même une grande autonomie. Mais vous allez me demander : « Pourquoi tu nous racontes tout ça maintenant ? ». Pour deux raisons : la première, très sérieuse, est que la question du handicap est encore aujourd'hui très taboue dans notre société, et la deuxième est que je préfère me marrer de certaines péripéties que je vis et que je tiens à les partager. Voilà pour le contexte.

Allons-y pour l'anecdote. Hier soir, je ne me sentais pas très bien. J'étais barbouillé et fatigué alors que mon week-end avait été relativement calme, et en plus de cela, j'avais un peu mal au ventre. Je ne suis pas du genre à m'inquiéter pour une petite douleur, en général je préfère attendre simplement que ça passe. De plus, j'ai une très mauvaise opinion et expérience des médicaments fabriqués par nos chers laboratoires occidentaux, mais ça, c'est une autre histoire...

Je me couche donc un peu patraque mais confiant quant à mon prochain réveil. Si j'avais su... Vers cinq heures du matin, je suis arraché des bras de morphée par de violentes crampes au niveau des tripes. Je suis en sueur et je me sens complètement épuisé, comme si je n'avais pas dormi depuis trois jours.

Et là, le cauchemar commence. Aussi bruyant qu'un cor de guerre sonnant la charge, un pet monumental explose sous ma couette. Pendant un instant, je suis tellement épaté par la puissance de la flatulence que je me demande si j'en suis réellement le créateur. Je ne me sens vraiment pas bien, comme si tout mon corps était flasque. Je suis dans le coltard mais mes boyaux me font l'effet d'une gifle énorme : il faut que j'aille chier, de toute urgence.

C'est à partir de là que tout devient épique, aussi palpitant et casse-cou que les pires épreuves de Fort Boyard. Car un mec qui n'a pas de problème physique a simplement à se lever et trotter jusqu'à son trône pour se vidanger. Mais pour moi, chaque mouvement nécessite des efforts et du temps, et quand notre petit barrage fécalique se brise, du temps, on n'en a pas.

Je me redresse péniblement tout en serrant les fesses pour ne pas qu'un jet de purée brune parte sans prévenir. Me voilà assis sur le bord de mon lit, nu comme un ver, en sueur et tremblant de froid, avec le verrou qu'est mon sphincter anal prêt à céder au moindre effort déployé. D'un côté j'ai envie de prendre un instant pour récupérer des forces, de l'autre mes intestins me hurlent que chaque seconde est comptée.

Il est temps de se lever. Mon fauteuil électrique est « garé » à côté de mon lit, perpendiculairement. D'une main, je tente de me propulser et de l'autre, je m'accroche à la poignée pour me tracter. Alors que j'ai encore les genoux arqués, un long gargouillis résonne dans ma chambre. Je me fige d'un coup, de peur de laisser s'échapper mon fiel, mais je manque d'énergie (j'ai tout donné aux Fnatic la semaine dernière lol, pour rien en plus). Mon ventre bouillonne mais rien ne sort : je continue mon périple.

Je finis par parvenir à m'asseoir sur mon fauteuil. Naïvement, à ce moment-là je pense que le plus dur est fait. Mais bien sûr, le pire est à venir. J'allume mon engin, empoigne mon manche (pas le turgescent, non), et en faisant mon créneau (paye ton placard à la con), mes yeux se fixent sur mon lit et repèrent quelque chose de vraiment pas cool : il y a une petite, toute petite, mais néanmoins bien présente tâche marron pile à l'endroit où j'étais assis. Ma foi, ce qui est fait est fait...

Comme pour me rappeler à l'ordre, un nouveau pet tonitruant me sort de ma contemplation de l'étoile fécale qui orne mon drap. J'appuie sur mon joystick et fonce vers la salle de bains : je roule contre la montre !

Dans ma précipitation, je défonce complètement ma porte, à tel point que se dessine désormais un large renfoncement dans la peinture blanche. Je fais un boucan d'enfer, mais j'en ai rien à cirer, et si jamais mes voisins gueulent, je les emmerderais, au sens propre comme au sens figuré.

Précédemment, je vous ai parlé de ce que l'on appelle des transferts (je ne parle pas du sort de déplacement instantané d'un mage World of Warcraft, hélas). C'est précisément ce que je dois maintenant accomplir. Le problème, c'est que si ma douche est adaptée à mon handicap, ce n'est pas le cas des chiottes. Je prends appui sur mon fauteuil et à la force de mes bras, je me mets debout. Je prie, je prie pour ne pas me transformer en sablier de merde.

D'un coup, le tonnerre gronde. Est-ce Thor qui fait irruption dans ma salle de bains ? Non, c'est une troisième flatulence qui n'a rien du genre humain. La douleur s'invite également, et je me tords sous son emprise. Et là, tout s'emballe.

Dans ma hâte de m'asseoir sur mes toilettes, j'ai oublié de mettre la sécurité de mon fauteuil électrique. Trituré par la souffrance intestinale, mon corps se plie et je donne malencontreusement un « coup de cul » dans le joystick. Le fauteuil part sur le côté et roule sur mon propre pied. Je vous le garantis, ça fait hyper mal ! J'en perds mon équilibre et m'écroule lamentablement sur mes WC. La violence de la chute ainsi que son angle font que ce qui aurait dû être une opération banale est en réalité une catastrophe totale.

Je « m'assois » tellement lourdement que j'en dégonde la lunette des toilettes. Tout part en vrille. La lunette maintenant décrochée est complètement instable, et je glisse avec elle. Je suis de biais, et je dégringole contre le mur, emportant le fer à cheval en plastique qui était censé m'accueillir. Une nouvelle douleur se fait ressentir, mais d'un tout autre genre : je viens de m'exploser les burnes entre la porcelaine et la lunette.

Réflexe de survie : je raidis ma colonne vertébrale pour maintenir ma position pour ne pas risquer de me sectionner les bourses (bourses molles, bourses molles). À cet instant T, je ne contrôle plus le reste de mon corps et ce qui devait arriver arrive : mon cul se transforme en volcan en éruption.

C'est étrange comme cela m'a à la fois fait un bien fou et un mal fou. Vidé de toute mon énergie et de toute ma matière fécale liquéfiée, je reste prostré, incapable du moindre mouvement. Après quelques secondes, le cauchemar reprend, mais d'une nouvelle façon. Mes narines sont stimulées par l'épouvantable odeur de ce que j'ai enfanté.

Je trouve une position qui me permet de ne pas tomber et de quand même analyser l'étendue des dégâts. Le plus gros de mes déjections est là où il doit être, dans la cuvette. Mais tout autour, des escadrons rebelles se sont éparpillés sur le lino et même sur mon fauteuil. Il est hors de question que je laisse ma salle de bains dans cet état, car bien qu'une auxiliaire de vie soit employée pour m'aider dans mes tâches ménagères, ce serait totalement irrespectueux et honteux d'une part de la laisser voir ça, et d'autre part de lui faire nettoyer. Encore tremblant, épuisé, je songe aux futurs efforts à fournir et décide malgré tout de m'octroyer un instant de paix (haha) : j'ai besoin de prendre une douche.

Je ne suis plus un être humain mais une misérable loque dénuée de toute force. Alors que je m'étais retenu de tomber, je me laisse maintenant choir et rampe péniblement jusque dans ma douche. C'est une douche à l'italienne parfaitement adaptée à mes besoins, et même aussi mou qu'une limace atrophiée, je n'ai pas de mal à m'y installer. Mais attention, quand je dis « installer », je veux simplement dire que j'y entre et que j'en ferme les portes. Impossible de me hisser sur la chaise en plastique. Dans un ultime effort, je tends le bras pour actionner le jet d'eau. Inutile d'essayer de l'esquiver tant qu'il est froid, tel est le prix à payer pour me laver de cette immonde crasse merdeuse qui a suinté de moi aussi violemment et qui a profané ma salle de bains.

Je suis en PLS, savourant l'eau salvatrice pendant presque une heure. Malgré le bien fou procuré, je ne me sens pas la force d'effacer les traces de mon crime. Pas maintenant. Je ne peux pas.

Je rampe tant bien que mal jusqu'à ma chambre, abandonnant mon véhicule dans mon merdier. Je suis propre et vidé, je peux maintenant dormir. Après, je nettoierai l'horreur par mes propres moyens, comme une cendrillon estropiée.

Si pour certains, l'Amazonie est l'enfer vert, ma salle de bains est l'enfer brun.

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