16 # Le professionnel

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N'importe quelle personne handicapée a un suivi médical plus ou moins poussé. Pour ma part, depuis que je suis tout petit je passe ponctuellement des examens. Lorsque j'étais un enfant, j'étais à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul de Paris, mais maintenant, je suis à la Salpêtrière. Si auparavant le suivi était très régulier, il est depuis quelques années beaucoup plus sporadique.

Les médecins changent, le suivi en pâtit. J'ai parfois l'impression que chacun d'entre essaye d'être meilleur que l'autre non pas pour le bien du patient mais plutôt pour sa carrière, pour son ego. Cela a pour effet d'ouvrir plusieurs voies en même temps (on va se lancer dans telle adaptation, on va étudier tel ou tel gène, etc.), pour souvent les interrompre quand le médecin à l'origine est parti dans un autre service, voir dans une autre structure. Mais ce ne sera pas le sujet d'aujourd'hui. Si mon suivi médical est, de mon propre point de vue, défaillant, la faute en est surtout à certains médecins (et je dis bien certains, car ils ne sont fort heureusement pas tous comme ça) qui font leur travail comme des machines.

Mardi dernier, j'avais rendez-vous à la Salpêtrière. Le but était de reprendre un suivi plus solide, et aussi d'obtenir des services médicaux dont j'avais pu jouir par le passé, notamment un mois dans un centre de rééducation intensive qui m'avait fait le plus grand bien. Et oui, pendant quatre semaines, j'étais à la piscine tous les matins, je mangeais gratos le midi, et surtout, je faisais travailler mon corps avec des professionnels (rien à voir avec le plus vieux métier du monde) dans des infrastructures dignes de ce nom. D'ordinaire, je fais de la kiné régulièrement, mais là, c'était autre chose. Je voulais donc ré obtenir un séjour dans ce centre, mais aussi me renseigner sur une thérapie d'ordre plus psychologique que physique.

Vous allez me dire, comment pourrais-je obtenir quelque chose de l'ordre de la psychologie ? Pour la simple et bonne raison que dans la très grande majorité des cas, les personnes handicapées ont besoin d'un suivi psychologique car elles sont fortement sujettes à la dépression. Je sais de quoi je parle... mais ça non plus, ce n'est pas le sujet du jour. Toujours est-il que je comptais sur ce rendez-vous pour obtenir non seulement des informations mais aussi rétablir une communication. C'était d'ailleurs ce que j'avais expliqué au téléphone en le prenant.

Paris, Paris... 30 minutes à vol d'oiseau, deux heures en voiture pour me rendre à l'hôpital depuis mon domicile. Je suis claqué, et je laisse mon taxi conventionné conduire pendant que j'essaye tant bien que mal de me réveiller avec du dubstep à fond dans les oreilles. Nous arrivons à peine cinq minutes en retard, puisque nous avions anticipé à mort les bouchons et l'enfer du périph.

Le médecin, spécialisé dans la rééducation physique, me fait entrer dans son bureau. Pas de bonjour. Je le salue néanmoins, avec insistance, pour souligner son manquement. Ça commence bien... Il ouvre mon dossier et le lit sans mot dire. J'attends. J'attends. J'attends tellement que j'hésite à sortir mon sexe pour me masturber en attendant. Et au moment où j'allais le faire, il claque sèchement son classeur puis lève enfin les yeux sur moi.

- Alors Monsieur Feo...

- C'est Seo, corrige-je, Monsieur Seo.

- Oui oui, très bien, expédit-il sans même s'excuser. Je vais vous demander de faire quelques mouvements.

Ça c'est le truc habituel, alors j'obtempère. Depuis 25 ans, j'ai eu le temps de m'y faire ! Le truc, c'est qu'aujourd'hui, ce médecin ne me demande pas de me déshabiller. Non pas que j'ai une furieuse envie de me faire reluquer le fion, mais c'est quand même bien plus pratique de se mouvoir sans jean qu'avec. Et que dire des mouvements de la cheville avec ou sans chaussures. Mais bon, c'est lui le professionnel, alors je m'exécute.

En moins d'une minute, il semble avoir fait le tour de la question et me demande de me rasseoir (je vous jure que c'est exactement le terme qu'il emploie, « rasseoir », alors que je suis dans mon fauteuil et qu'à aucun moment je ne me suis mis debout avec quelque appui que ce soit). Je réponds en voulant faire un trait d'humour que je ne risquais pas de me relever, mais lui non plus ne relève pas. Bonjour l'empathie (pour ne pas dire bonjour tristesse !) !

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