10 # Jeune handicapé recherche une meuf mortelle

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Après avoir abordé la question du regard des autres, il est temps d'écrire avec un peu plus de légèreté. Quoi de mieux que de vous narrer à quel point un rencard avec quelqu'un peut-être comparable avec une épreuve de Jeux sans frontières (ça nous rajeunit pas tout ça) ?

Des semaines passées à trimer sur AdopteUnHandicapé.com, et j'ai enfin trouvé la pépite ! Lesly, 24 ans, attirante aussi bien sur le fond que sur la forme, est une fille avec qui je m'entends très bien et que j'ai invité au restaurant. Elle a accepté et nous convenons d'un rendez-vous dans un italien pas loin de chez moi. Pratique pour moi car je n'ai pas le permis et c'est seulement à quelques centaines de mètres de mon appartement, et sympa pour elle car elle ne connaît pas ce pourvoyeur de pasta et de lasagnes alors qu'elle en est friande.

Je pars de chez moi les batteries pleines (entre autres) et une demi-heure plus tard, je me retrouve devant l'édifice au nom turinois. Elle me téléphone pour m'annoncer qu'elle arrive dans quelques minutes et me demande ce que je porte pour me reconnaître. La blague. Voyons voyons... comment me discerner des autres ? J'ai une jolie chemise grise, un jean délavé, des lunettes... ça va être difficile de me repérer...

« Si tu vois un mec à roulettes, ça devrait être moi » lui réponds-je en me demandant si elle me trolle.

« Ah oui, j'avais zappé sur le coup ! »

D'accord, pourquoi pas. D'un côté c'est plutôt bien qu'elle ait occulté ce détail, ce qui signifie que le reste de ma personne a pris le pas sur ça, de l'autre je me demande si en se rappelant de ça, elle ne va pas faire demi-tour et me planter là. Cinq minutes plus tard, me voilà soulagé : je la vois sortir du parking le sourire aux lèvres.

Le bonjour, la bise, un petit peu de bla-bla, puis nous nous décidons à rentrer dans le restaurant. Au préalable, j'avais appelé pour savoir s'ils avaient un accès handicapé, ce à quoi ils m'ont répondu par la positive. Cependant, nous sommes devant et tout ce que je vois c'est un bon gros trottoir synonyme de « rentre chez toi ». Lesly part chercher le responsable qui se pointe devant moi un peu gêné. C'est lui que j'ai eu au téléphone et qui m'a assuré qu'il n'y aurait pas de problème. Seulement il y a un double problème : le trottoir et la faible largeur de la porte.

Il m'explique qu'en réalité, l'accès handicapé se situe dans l'arrière-cour, mais qu'actuellement, la camionnette de son collègue est garée devant et qu'évidemment, son propriétaire n'est pas là pour la déplacer. Je ne compte pas me laisser faire par un vulgaire trottoir. J'ai farmé ce site de rencontre à la con pendant des heures, j'ai fini par trouver une fille au profil vraiment très intéressant (et je ne parle pas que de la silhouette), c'est pas pour finir comme un gland devant le restaurant, couronné de toute mon impuissance.

Qu'à cela ne tienne, Lesly propose au patron de l'aider à nous porter mon fauteuil et moi. A priori, ça passe dans l'encadrement de la porte, et de toute façon, je n'ai pas le choix : il faut tenter. C'est pas que j'ai une pensée manichéenne et machiste des choses, loin de là, mais je n'aurais pas imaginé cette situation quelques minutes auparavant. Ceci dit, on va prendre ça comme un test de volonté.

Et le test est validé ! Le taulier, un serveur et elle me trimbale à l'intérieur et nous trouve une petite table dans un coin près de l'âtre de la cheminée, avec assez d'espace pour que je puisse manœuvrer mon engin. Finalement plus de peur que de mal, et si les choses continuent comme ça, peut-être que je manœuvrerais mon autre engin dans quelques heures...

Je me gare face à elle, et l'apéro peut commencer. Un peu de marsala, et on trinque à notre premier rendez-vous. Je lève mon verre aussi haut que je peux, c'est-à-dire environ 30 cm au-dessus de la table, et le repose rapidement, victime d'une crampe à l'épaule. Est-ce dû au stress couplé à mon manque chronique de force ? Ça ne présage rien de bon. Mais trêve de tergiversations, concentrons-nous sur le repas.

Lesly est assez bavarde, et ça m'arrange car si je suis d'un naturel très avenant, je suis dans cette situation-ci paralysé (lol) par la timidité, comme un puceau fragile. Dans ma tête, les pires scénarios se forment. Pour une fois que j'arrive à rencarder une meuf via un site de rencontre, tu vas voir qu'elle va me foutre dans la friend zone. Et qu'en plus je vais devoir l'inviter malgré ça.

À ce moment, je pense qu'elle a compris que quelque chose n'allait pas en moi. Elle pose sa main sur la mienne et je sursaute tout en la retirant par réflexe. Je me sens terriblement bête, car je décèle de la contrariété sur son visage. Et je me prends la tête à interpréter ça de toutes les façons possibles et imaginables : si elle est contrariée, ça veut dire qu'elle voulait que l'on reste « main sur main », que cela faisait parti d'un jeu de séduction, et que maintenant j'ai tout foutu en l'air, avec mon réflexe de polio stupide qui n'a depuis bien trop longtemps pas bai... eu une relation passionnée et sérieuse avec une femme.

J'essaye de garder la p-p-p-poker face p-p-poker face (mamamama), mais visiblement je suis aussi bon que Patrick Bruel. Mais je trouve pas de parade à ce foutoir. Toutes les idées qui m'viennent sont dérisoires, je sens que je suis cuit, mais je tente quand même... je...

« Déstresse, sois cool, tout va bien ! » me dit-elle d'un air moqueur. Elle me sauve miraculeusement alors que j'allais dire une grosse connerie. Peut-être qu'on a vraiment « matché »...

Il faut que je fasse quelque chose, hélas, à ce moment-là, le serveur vient nous interrompre. Il nous amène nos plats. À cet instant, alors que ma confiance remontait en flèche, je subis l'effet « tonnerre de Zeus » : ma viande n'est pas coupée, et je serai incapable de le faire moi-même. Et si je tente, je risque plus de foutre l'assiette par terre qu'autre chose.

Que faire ? Après qu'elle m'ait porté il faudrait que Lesly coupe mon filet de bœuf sauce milanaise ? Pour un premier rendez-vous, c'est pas tip top au niveau de l'image de l'handicapé autonome. L'éclair de génie me traverse : je demande au serveur de le faire. Sans fioritures, sans air misérable, juste comme si c'était une évidence. Une évidence de client j'entends. Et ça passe papa, on a bien fait de call jusqu'à la river !

Le repas reprend son cours et le suis tranquillement jusqu'au dessert, et je crois sentir quelque chose sur mon pied : le sien ! Elle me fait du pied bordel ! Qu'est-ce que je dois faire ? Je ne peux pas bouger ma cheville, je dois donc lui faire de la roue ? J'vous mentirais si je vous disais que j'y ai pas pensé...

J'avance alors péniblement ma jambe entière pour que le pied suive et le colle contre le sien. Signe très positif : elle laisse échapper un gloussement. Vite, je sombre... est-ce qu'elle veut de moi ? Que je la ramène chez moi ?

« Pourquoi tu trembles comme ça ? »

Ah oui... évidemment que ça se voit. Figurez-vous un type aussi imposant qu'un roseau, et remuez-le un bon coup. Soufflez dessus, et vous obtenez un handicapé qui ne sait pas comment réagir face à une approche séductrice dont il a rêvé depuis longtemps et qui se réalise finalement. À y réfléchir, même des glaçons dans un shaker paraîtraient plus stables.

Si ce soir j'ai pas envie de rentrer seul, si ce soir j'ai envie qu'elle vienne chez moi, si ce soir je veux enfin conclure, si ce soir je veux pas être Jean-Claude Dusse...

« Disons que... enfin... tu me plais vraiment beaucoup... »

La chose est dite. Nous sommes cartes sur table. Hum... Surtout moi en fait. Elle me torture avec ses yeux brillants et son sourire en coin. Cette Lesly... Je ne parviens pas à savoir si elle se moque de moi, si elle joue avec moi, si elle pense comme moi... Voire les trois en même temps, en mode threesome.

Elle ne répond pas. Je bous de désespoir... Combien de try se cachent derrière un try qui wype ?

Comme si de rien n'était, elle réengage la discussion sur un sujet dont je me fous éperdument. Je suis au bout, épuisé par l'échec et prêt à en sortir un pour régler l'addition.

Nous sortons, je la raccompagne jusque sa voiture. Puis, dans un murmure à la douce fragrance miraculeuse, elle me propose de boire un dernier verre chez moi !

La suite... au prochain épisode (oui, je garde le meilleur pour plus tard) !

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