Sacrifice.

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Ce fut violent. Dès que je réalisai à qui appartenait ce regard, tout bascula autour de moi. Mon souffle se perdit. Mais je n'avais plus besoin de respirer. Ce n'était pas nécessaire. Il n'y avait plus que cela qui comptait.

Un flot d'image envahit mes pensées. Une histoire y défila à toute vitesse, trop rapidement pour que je ne puisse en saisir la totalité. C'était comme si je venais d'appuyer sur la touche « accélérer » d'un vieux magnétoscope diffusant des images en noires et blancs. Tout était flou. Difficile à saisir. Incomplet. Et pourtant, je fus incapable de m'en détourner. Le film me fascinait, me captivait au plus haut point. Je devais le voir. Je devais le voir jusqu'au bout.

Quelques images se fixèrent sur mon écran. Un garçon blond, très jeune, jouait dans la cour d'une école. Les couleurs ocres, la façade de l'école jalonnée de voute et l'architecture des bâtiments voisins laissaient supposer un pays étranger. L'enfant riait. S'amusait. C'était une époque insouciante dans laquelle je me retrouvais. Mais cette insouciance d'enfant ne lui était permise que lorsqu'il était à l'école. Il aimait être chez lui. Son père était parfois un peu dur avec lui, mais ce n'était que par amour et souci de bien l'éduquer. Sa mère, quant à elle, était douce et aimante. Mais elle était malade. Fragile depuis sa naissance, la maladie gagnait du terrain d'année en année. Alors le petit garçon tâchait de se faire plus âgé qu'il ne l'était, souhaitant aider au possible cette famille qui l'entourait d'affection. Et les souvenirs s'enchaînèrent dans un décor coloré et où les rires ne cessaient de se répandre. Il avait été heureux. Très heureux.

Puis les images s'assombrirent. Elles devinrent noires. Sombres. Douloureuses. Mon cœur se resserra sur lui-même. Il était encore tellement jeune. Trop jeune. Beaucoup trop jeune. Je détaillai l'enfant immobile dont le regard brun et or fixait un point invisible devant lui, des larmes coulant sur ses joues dans un silence morbides. Pour la première fois, il venait de se transformer en une créature monstrueuse. Pour la première fois, il s'était laissé envahir par les pulsions du loup qui sommeillait au plus profond de son être. Et il avait chassé.

L'horreur de la scène me frappa avec violence, mais la douleur qu'il éprouvait était bien plus violente encore. Il avait tué le chat de la voisine, incapable de se contrôler, incapable de réaliser ce qu'il faisait sous sa forme animale. Et devant le cadavre sans vie, il avait peur. Il était terrorisé. Il ne comprenait pas. Il ne comprenait pas ce qu'il s'était passé, mais il savait que c'était lui. Que c'était lui qui avait commis un tel acte. La haine commença à monter. Il se détestait. Il se haïssait du plus profond de son être. Et dans un geste désespéré il se mit à frapper dans un mur jusqu'à ce que ses mains se couvrent de sang et que son corps, épuisé, ne puisse plus le porter. Une unique pensée le submergeait en cet instant : il ne voulait pas être un monstre.

A nouveau, une série d'image passa en accélérée. Le garçon grandissait. Il ne jouait plus dans la cour avec les autres enfants, ne débordant plus de se plaisir qu'il éprouvait à jouer, à rire, à se tenir, tout simplement, avec ses amis. Il se renfermait, restait seul et regardait les autres jouer. Mais pas par choix. Il mourait d'envie de se joindre aux autres, mourait d'envie d'être comme eux. Normal. Car, lui, ne l'est plus depuis longtemps. Chaque nuit, il se faufilait hors de la maison de ses parents pour se rendre dans la forêt, tentant de s'éloigner au possible de toute habitation, de toute créature, de toute personne. Il ne voulait plus perdre le contrôle comme durant cette première transformation maudite.

Quelques mois s'écoulèrent. Il faisait au mieux pour se contrôler, tentait de trouver des réponses dans des livres ou en posant des questions qui inquiétèrent ses parents. Dans certains livres il découvrit des légendes sur des êtres que l'on nommait « loup-garou ». En était-il un ? Cela semblait être le cas mais il n'en était pas certain, ne voulant probablement pas l'admettre. Puis un matin, il ne tint plus. Il vida son sac, avouant toute la vérité à sa mère dans l'espoir d'enfin obtenir une réponse. Au fond de lui, il avait l'espoir qu'elle pourrait le rassurer. Elle devait forcément avoir une explication. Peut-être qu'elle était comme lui après tout ? Peut-être que ses séjours à l'hôpital n'était qu'un prétexte pour dissimuler sa vraie nature ? Mais ses espoirs furent écrasés. Sa mère avait d'abord rit lorsqu'il avait assuré être un loup-garou, puis lorsque, excédé, il s'était transformé sous ses yeux, elle avait hurlé. Hurlée si fort que le son restait encore incrusté dans sa mémoire. Il s'était aussitôt retransformé, habitué à la mutation, et elle l'avait regardé longuement avant de se mettre à pleurer. Au bout de quelques heures, elle lui avait ordonné d'aller à l'école, lui promettant qu'ils trouveraient une solution.

Water LilyTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon