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Louis

J'observe une dernière fois mon reflet dans le miroir, certainement pour me faire à l'idée que mes cernes de disparaîtront pas. J'ajuste mon costume, enfile mes chaussures, puis rejoins la voiture en silence. Je monte à l'arrière, à côté de mes sœurs, Lottie et Félicité. Les deux plus jeunes sont restées chez notre tante paternelle, et je dois avouer que c'était une bonne initiative de la part de mon père de ne pas les emmener à ce genre d'évènement dramatique. Ma mère rentre en dernière dans la voiture côté passager, et je distingue qu'à travers son maquillage il y a énormément de tristesse. Cette tristesse qu'elle essaye de cacher parce qu'elle veut rester digne devant sa famille, alors qu'au fond je sais qu'elle a juste envie d'envoyer balader tout le monde, et de se retrouver seule avec elle-même. Personne ne parle, on a tous envie d'être autre pars, de ne pas assister à cet enterrement. Personne n'a envie d'y aller, mais on le fait quand même, par respect pour les vivants. Parce que oui clairement, maintenant que ma grand-mère est décédée je doute qu'elle en ait quelque chose à foutre. Si le paradis existe, elle est sûrement occupée à faire la fête et à sourire à tout les anges qu'elle croise. Et si le paradis n'existe pas, alors je suis certain qu'elle a rejoint les étoiles, loin de la Terre et de ses soucis.

Mon père gare la voiture à la suite d'une lignée d'autres voitures et nous commençons à marcher en direction du cimetière. Le lever du soleil illumine cet endroit si glauque et se reflète sur l'herbe humide. Je n'ai qu'une envie c'est de fuir. Courir loin d'ici, oublier les regards de pitié, effacer les larmes de ma mère, je veux juste m'enfuir de tout ça. Mais à la place je continue d'avancer, derrière mes parents, comme l'enfant sage et discipliné que j'ai toujours été. Presque tout le monde est déjà là, même des gens que je ne connais pas. Et ces gens je ne les aimes pas. Parce qu'ils viennent ici par intérêt, soit parce qu'ils touchent un héritage, soit pour faire bonne figure. Je les déteste parce qu'ils viennent dire au revoir à ma grand mère une fois qu'elle est dans le cercueil. Mais ils n'étaient pas là, en maison de retraite, à l'hôpital, ils n'étaient pas là pour la soutenir. Alors ces gens, qui ne viennent que pour eux-même, ils n'ont rien à faire ici. Et ils me donnent encore plus envie de m'en aller.

Je trouve une chaise libre tout au fond et m'y assois sans prêter attention au regard plein de reproche de ma mère. Je sais qu'elle m'en veux déjà de ne pas faire de discours, mais ça m'importe peu. Je n'en vois pas l'intérêt. Parce que ce genre de chose c'est pour les vivants, les réconforter, leur dire que même si une personne est morte, c'était une personne géniale et qu'elle est en paix maintenant. C'est pour leur faire croire qu'on en a quelque chose à foutre, c'est pour leur faire croire que ces discours sont adressés à elle, alors que c'est faux, tellement faux. Ces discours ils sont pour nous, parce que je le sais très bien moi, que si elle n'est plus là elle n'entend pas.

Mais ma mère ne veut pas le comprendre, et se place quand même à côté du cercueil, une feuille à la main. Les premiers mots s'échappent de sa voix tremblante, et ses larmes refont très vite surface. Alors pour ne pas voir ça, je ferme les yeux, mais sa voix parvient quand même jusqu'à moi. J'entends ses sanglots, j'entends lorsqu'elle tente de reprendre son inspiration, j'entends toute sa souffrance comme si c'était moi qui souffrait. Comme si c'était moi qui venait de perdre ma propre mère. Alors pour m'empêcher à mon tour de pleurer, je me lève discrètement et je quitte cette affreuse cérémonie. Je marche, je slalome autour des tombes, je lis les prénoms, et j'accueille ce silence avec soulagement. Au loin j'aperçois ma mère en larme, et le cercueil qui descend lentement dans la terre. Alors je me retourne à nouveau et je continue de marcher lentement dans les petites allées de ce cimetière, jusqu'à ce que je me stoppe net en apercevant un corps inerte sur le marbre d'une tombe. Je m'approche en courant et m'arrête aussi vite lorsque je découvre la masse de boucles brunes. Mes yeux s'écarquillent et je reste là, comme un con sans savoir quoi faire parce que je ne sais même pas s'il est mort où vivant. Alors doucement je m'accroupis et agrippe son pull pour le secouer.

-Eh t'es mort ? je chuchote près de lui.

Puis je me met à rire nerveusement, parce que d'abord je chuchote alors qu'il n'y en a même pas le besoin, et ensuite je lui demande s'il est mort alors que théoriquement s'il le serait il ne pourrait pas répondre à ma question. Je me traite d'imbécile intérieurement avant d'être interrompu par un grognement qui me fait sursauter.

-Putain mais t'es qui ? il gueule en se relevant.

En fait, j'aurai préféré qu'il soit mort, ça m'aurait évité cette situation très étrange. Alors je me relève à mon tour et envisage de répondre à sa question mais il ne m'en laisse pas le temps.

-J'ai failli faire un arrêt tu m'as fait peur abruti, qu'est-ce que tu veux ?

Je fronce les sourcils face à la dureté de son ton et surtout face à sa taille imposante. Mais je ne me laisse pas impressionner, certainement pas devant lui. Pourtant, son regard me trouble, il est tellement froid.

-J'espérais juste que tu sois mort, j'ironise en levant les yeux au ciel. Salut Styles.

-Comment tu connais mon nom ? il demande alors que je m'apprêtais à m'en aller.

Un rire s'échappe de mes lèvres mais je me stoppe quand je vois qu'il me dévisage sans comprendre. J'ai l'impression de connaître la vie de ce gars sans même qu'il sache qui je suis. Il faut croire que son égocentrisme l'empêche de regarder plus loin que le bout de son nez.

-On est dans la même université.

Il se pince les lèvres, hoche la tête puis se rallonge silencieusement sur la tombe. Je l'observe une dernière fois, son bandana dans ses cheveux bruns en batailles, son skinny jean troué, ses boots. Et je me dis que je suis content de ne pas être comme lui, de ne pas me droguer ou de me soûler tous les soirs, de ne pas être le centre de discussion de toute l'université, ou de ne pas être un abruti fini. J'observe une dernière fois ses paupières fermées, et son torse se soulever doucement au rythme de sa respiration. C'est la première fois que je lui parle, mais il est exactement comme tout le monde le décrit : déstabilisant, froid, hautain, énervant. Je secoue la tête et me retourne pour reprendre mon chemin sans destination.

-Attends.

Sa voix roque résonne comme un coup de tambour dans ma poitrine, et je me retourne encore une fois en fronçant les sourcils. Je pensais que la discussion était finie.

-Qui est-ce que tu as perdu ? il demande en me fixant de ses yeux verts.

-Ma grand-mère et toi ?

-C'est moi qui me suis perdu, dit-il après un silence.

Je lève la tête vers le ciel et observe les nuages qui se bousculent. Il s'est perdu. Je pense qu'errer dans un cimetière n'est pas la meilleure solution pour se retrouver, mais lui n'est pas du genre à faire comme les autres. Il crée son monde à sa manière, et ça a du bon comme du mauvais. Enfin je pense, d'après ce qu'il fait ici.

-Alors nous sommes tout les deux perdus, je répond en baissant mon regard vers lui.

Sans attendre de réponse, je reprend ma marche sans but, mes mains dans mes poches, mes pieds frôlant les cailloux. J'avance sans destination, je fuis juste ce qui m'entoure. Je n'ai pas de destination, je suis perdu. Comme lui. Mais ce n'est pas un point commun, c'est une différence. Parce que je suis perdu d'un côté, lui de l'autre.

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