Chapitre 1 : Et on appelle ce truc un petit-copain ?

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Je pense que si, à cet instant, j'avais un pistolet, je me serais tiré une balle dans mon crâne de lama. Ou dans le crâne de celui qui a inventé le concept de faire commencer les cours à huit heures du matin. Non, sérieusement, c'est la rentrée, et même les profs auront la tête dans les fesses, alors à quoi ça sert de nous torturer à une heure pareille après d'excellentes vacances d'été ? Le respect a disparu, on dirait. La seule chose qui me motive à me lever de mon cher lit douillet aujourd'hui est la promesse de mon petit-ami de m'attendre sur le chemin pour qu'on aille au lycée ensemble. Je souris à cette pensée, car Natsu n'est pas du genre « copain mignon et attentif », il est même tout le contraire en fait, alors une petite proposition d'une banalité extrême de sa part a le don de me réchauffer le cœur.

Je fixe mon reflet dans le miroir et me regarde sous tous les angles, tirant mes joues puis mes cheveux blonds de tous les côtés. Il y a des jours où je m'assois dans mon lit devant un chocolat chaud - avec le visage sérieux d'un philosophe qui se demande ce qu'est la vie - pour tenter de trouver en mon fort intérieur la réponse à une question d'une importance primordiale : « Qu'est-ce qui lui plait chez moi, bordel ? » Car, figurez-vous, je ne suis pas belle –et encore, pas belle est un euphémisme-, je suis loin d'être féminine, il n'y a pas un jour qui passe sans que je mange en me tâchant quelque part, et, gâteau sur la cerise, je ris comme un âne. Alors, parfois, l'idée effrayante que Natsu ait voulu me faire une blague de mauvais goût en sortant avec moi traverse rapidement mon esprit, et, pendant de longues minutes, je reste vraiment persuadée que c'est le cas. Ensuite, je me rappelle vite que c'est impossible, puisque, logiquement, si c'était le cas, il ne serait pas sorti avec moi pendant trois longs mois pour finalement me lancer avec un grand sourire : « Nan en fait, je plaisante, je t'aime pas, c'est une blague, poisson d'avril en retard ! Allez, ciao idiote. » Cette pensée me donne envie de vomir et je regarde avec tristesse mon reflet assez repoussant.

-Lucy, tu t'es préparée ? crie la voix de ma mère depuis la cuisine.
-Euh..., je souffle, horrifiée, en me rendant compte que je n'ai même pas enlevé mon pyjama,... euuuuhhh... Je, oui, j'arrive !
-Dépêche-toi, il faut que tu prennes ton petit-déjeuner !

C'est en priant Dieu pour que ma mère n'ait pas l'idée absurde de venir dans ma chambre que j'enfile rapidement une tenue que j'ai attrapée au hasard dans mon armoire. Je n'ai aucune envie de me faire réprimander par qui que ce soit.

-Purée de tomates cramées, je grommelle en voyant l'heure sur mon réveil.

Je me remets devant mon miroir avec une brosse et essaie vainement de démêler tous les nœuds qui s'y sont formés.

-Tu dois être au lycée dans quinze minutes !

Je sursaute littéralement d'un mètre au moins en entendant cette voix inattendue dans ma chambre. Je me retourne et aperçois mon petit frère Roméo sortir de sous mon lit comme si c'était tout à fait normal. Il me fait un sourire mesquin, et je devine directement ce qu'il va faire :

-Maman ! hurle-t-il à pleins poumons, d'une voix qui pourrait réveiller mon voisin sourd. Lucy ne s'est pas prép...

J'attrape le petit gnome qui me sert de frère par les cheveux avant qu'il ne puisse finir sa phrase et plaque ma main sur sa bouche, tout en lui adressant un regard noir qui signifie une promesse de vengeance.

-Oui ? fait ma mère trente secondes plus tard.

Je réponds à la place de Roméo :

-Il a encore laissé des crottes de nez dans les toilettes !
-Oh, Roméo, combien de fois je t'ai dit de ne pas le faire, bon sang ? Tu es devenu grand maintenant, alors ce n'est pas moi qui vais nettoyer à ta place ! Et tous les deux, dépêchez-vous de descendre !

Avec un sourire satisfait, je lâche mon frère et dis doucement d'un ton mielleux :

-A ta prochaine tentative de trahison, je te préviens, ce sera bien pire que ça. Compris ?
-Ah ouais ? Et tu vas faire quoi ? lance-t-il avec un regard de défi.
-Je vais lui annoncer que c'est toi qui as mis les trois limaces dans le lave-vaisselle hier.

Son sourire disparait immédiatement, comme je m'y attendais, et il sort de ma chambre en ronchonnant. Who is the boss here ? Of course, it's me ! J'espère que ça lui servira de leçon.

Je saisis mon sac en me félicitant de l'avoir préparé hier, et je descends les escaliers pour me rendre dans la cuisine. Heureusement, ma mère n'est pas là, sans doute dans sa chambre. Si elle voyait ma tête, je pense qu'elle m'arracherait toutes les molécules du cerveau en me criant d'être plus présentable que ça pour la rentrée. J'avale un biscuit devant les yeux endormis de mes sœurs jumelles, Yukino et Angel, qui se grattent simultanément la fesse droite. Puis je bondis hors de ma maison et cours à toute allure sur le trottoir. Dans cinq minutes, je dois être au lycée, qui se trouve à l'autre bout de la ville ! Natsu, sauve-moi...

Soudain, mon téléphone portable se met à sonner et je vois le nom de Natsu s'afficher sur l'écran. En pensant au loup... Je décroche et crie, déjà essoufflée :

-Je suis désolée ! Vraiment désolée !  Je suis en retard ! T'es où ?

Je l'entends soupirer.

-Il fallait bien que je m'en doute, avec toi rien n'est si simple, encore moins un jour aussi important, dit-il d'un ton agacé.
-Je prends ça pour un compliment ! Alors t'es où ? Je te vois pas, je souffle en arrivant à l'endroit qu'on a fixé pour se retrouver.

Après un court instant, il me répond :

-Je suis déjà parti, Lucy, je suis à cinq mètres du lycée. Débrouille-toi pour arriver à l'heure.
-Quoi ? Dis-je, estomaquée. Tu ne m'as pas attendue ?

Mais il a déjà raccroché.
Et on appelle ce truc un petit-copain ? Je n'y comprends rien. Natsu est plutôt indifférent au regard des autres et ne se soucie pas d'être en retard, alors je suis certaine qu'il veut juste me faire chier. Un idiot !
Pourquoi suis-je amoureuse d'un idiot ?

***

Je regarde le tableau d'affichage, posé au milieu d'une cour maintenant vide, et vois mon nom indiqué près du numéro de la salle. 213. 213. Je le répète plusieurs fois dans ma tête et me presse de me rendre au deuxième étage. Me connaissant, je sais que je suis capable d'oublier un truc important dans cinq minutes. Par contre, les choses inutiles telles que les dates des vacances scolaires, impossible de les oublier bizarrement.

Je sens mon cœur battre la chamade. Contrairement à Natsu, je déteste être en retard, attirer tous les regards critiques de ma nouvelle classe sur mon visage de chameau, et recevoir une punition de la part de mon nouveau prof. Rapidement, je vérifie mon reflet sur l'écran de mon portable et me rends compte à quel point je suis horrible. Je n'ai pas eu le temps de me brosser les cheveux aussi. Alors je me persuade que je m'en fiche complètement.

Arrivée devant la salle 213 - j'ai retenu le numéro, quel exploit !-, je toque à la porte et l'ouvre doucement, en la faisant grincer. Un peu comme dans les films d'horreur, lorsque le héros s'attend à voir des zombies assoiffés de sang dans une pièce sombre. Dans mon cas, je suis face à 30 adolescents aux hormones en ébullition, et la pièce est éclairée – ce qui est pire. J'entends ma prof m'annoncer quelque chose qui veut dire qu'être en retard le premier jour de la rentrée, c'est mal.

-Excusez-moi du retard, ça ne se reproduira peut-être plus, dis-je, mal à l'aise.
-Bien, prenez vite une place maintenant.

Mon regard rencontre soudain celui, amusé, de Natsu - grand, beau, cheveux roses - qui est assis près d'une fille aux cheveux noirs. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Je ne m'attendais pas à ce qu'il soit dans ma classe ! Je ne sais pas si je dois être inquiète ou heureuse. Pour l'instant, je ne m'en soucie pas, car je suis actuellement énervée contre lui pour être parti sans moi. Il a l'air de s'en rendre compte, car il hausse un sourcil provocateur sans me lâcher des yeux. Ça me fait grincer des dents. Je m'avance alors entre deux rangées, et lorsque j'arrive près de mon copain, je grommelle :

-Espèce de troll.

Je pensais qu'il allait être le seul à entendre mon insulte du siècle, mais il faut croire que non, car tout le monde se tourne vers moi et la prof me demande :

-Qu'avez-vous dit, Lucy ?

Je réponds au hasard :

-J'ai dit que j'ai mis des chaussettes de couleurs différentes sans faire exprès.

La classe éclate de rire, la prof me regarde d'un air confus, et je fais un sourire un peu crispé.

-Euh, d'accord, asseyez-vous...

***

-Comment tu as fait pour venir en retard le jour de la rentrée ? Interroge Levy, ma meilleure amie, pendant qu'on fait la queue pour la cantine.
-Sinon, moi aussi je suis contente qu'on soit dans la même classe cette année ! Dis-je pour changer de sujet.
-Non,  sérieusement, comment tu fais ? Insiste-t-elle.

Je regarde mes ongles avec un sourire :

-C'est très simple pourtant. Si tu veux, je peux organiser des cours de « Comment se retrouver constamment dans des situations ridicules ? », par contre, pas gratos, ça va coûter cinq euros la séance. Minimum. Enfin ça va dépendre de mon humeur.

Levy secoue la tête en riant, avant de dire :

-Tu es vraiment un cas irrécupérable. Quand est-ce que tu seras plus...
-Sinon, moi aussi je suis contente qu'on soit dans la même classe cette année, je répète.

Et elle rit de plus belle, agitant ses cheveux bleus. Levy a vraiment du charme. Plus on grandit, plus je m'en rends compte. Elle n'est, certes, pas classée dans la catégorie « belle gosse », mais elle est mignonne, au moins. Et moi je n'ai même pas ça, quoi. Un peu de mignonnitude ne m'aurait pourtant pas dérangée, Seigneur. Vraiment, comment j'ai fait pour avoir un copain ? Avec un léger sourire sur les lèvres, je me rappelle soudain de ma première rencontre avec Natsu, une rencontre assez spéciale, il faut le dire...

-Qu'est-ce qui te fait sourire comme ça ? Interroge une voix masculine dans mon dos.

Mon corps se raidit et je me retourne pour faire face à Natsu, qui est accompagné de trois de ses amis, que j'avais vus plusieurs fois mais dont les noms ne s'étaient pas enregistrés dans mon cerveau de poisson rouge. Les élèves s'avancent tout doucement, certains impatients de manger, et se poussent entre eux. Je me retrouve soudain coincée entre un mur et Natsu. Celui-ci appuie sa main à côté de ma tête pour ne pas m'écraser, ce qui me fait rougir légèrement.

-Alors ? Qu'est-ce qui te faisait sourire ? Demande-t-il d'un regard inquisiteur qui me plaît tant.

Je fronce les sourcils, feignant l'ignorance, et interroge :

-Euh... mais t'es qui ? On se connaît ?

Pendant l'espace d'un instant, Natsu semble déconcerté, puis il se reprend rapidement avec un sourire en coin :

-Très drôle. J'ai presque cru que tu t'étais totalement transformée en poisson.

Je lui adresse un regard noir.

-Déjà que tu as une petite ressemblance avec ces êtres aquatiques..., continue-t-il, mentalement mais aussi physiquement.

Un de ses amis, le blond, ne se retient pas de ricaner. J'ai envie de le taper.

-T'es qu'un sale chameau, je réplique, avant de réfléchir et d'ajouter : non, en fait, je ne devrais pas insulter le pauvre chameau comme ça.

Un mince sourire se dessine sur ses lèvres parfaites et je vois une lueur d'amusement dans ses yeux émeraude.

-T'es énervée, c'est ça ?
-Quel sens de perspicacité ! Je dis en applaudissant. Je te signale que tu m'as laissée seule ce matin ! Seule, tu comprends ? Tu t'en fiche complètement, hein ? Un psychopathe aurait par exemple pu m'agresser dans la rue.
-Ça ne risque pas, non, il y a des filles bien plus belles, alors ne t'inquiète pas, répond-il, provocateur.
-Je vais te décapiter.
-Dommage. Moi, je vais t'embrasser..., souffle Natsu en se penchant doucement sur mes lèvres.

Je me détourne juste avant, en croisant mes bras contre ma poitrine, même si j'ai terriblement envie de sentir sa bouche sur la mienne. Le seul problème c'est que je ne veux pas le faire en public, car je me souviens du temps où j'étais encore célibataire et que je détestais voir des couples s'embrasser devant moi. C'est pourquoi je veux éviter de rendre Levy aussi mal à l'aise, ainsi que toutes les personnes autour de nous.

Natsu semble légèrement frustré par le vent que je lui ai foutu. Ça me fait sourire. Ma meilleure amie prend enfin un plateau, et j'en fais de même, avant de lui demander :

-Levy, t'as pas une brosse avec toi par hasard?
-Oui, j'en ai une dans mon casier, sourit Levy, visiblement soulagée de ne pas être mise à l'écart. Tu veux que je t'aide à enlever les nœuds de tes cheveux ?
-Ouais, ce serait génial, parce que je ressemble à une sorcière à moitié endormie actuellement.

La voix de Natsu derrière moi décrète :

-Pour une fois, je suis d'accord avec toi, Lucy.

Je décide de l'ignorer et je l'entends rire légèrement dans mon dos.

***

A la fin des cours, je sors du lycée avec une moue dépitée : les profs ont réussi à nous surcharger de devoirs dès le premier jour de l'année. J'ai peur pour la suite. Levy a l'air de penser la même chose car elle regarde son agenda toutes les cinq minutes comme si elle n'en croyait pas ses yeux.

Je balaie du regard le trottoir à la recherche de Natsu et le vois tout à coup venir vers moi. Il a un air désolé qui ne me plaît pas. Mais alors pas du tout. Va-t-il m'annoncer qu'il va changer de coupe ?

-Lucy, je te laisse avec Levy. Moi je rentre avec des amis, si tu veux bien. D'accord ?

Ouf, pas de changement de coupe.
Attendez... quoi ?
Je le regarde avec incompréhension et tourne mes yeux vers son groupe d'amis qui a l'air de l'attendre.

-Tu...

« Tu les préfères à moi ? » je veux demander. Mais j'ai peur d'être une copine ennuyeuse qui ne donne pas de liberté à son copain.

-Tu as les yeux verts, je termine ridiculement.

C'est maintenant à lui de me dévisager avec incompréhension mais aussi avec amusement.

-Ils n'ont pas changé de couleur depuis que je suis né, répond-il, un sourire en coin sur les lèvres. Les tiens sont marron.

On a vraiment l'air de deux idiots un peu paumés. Je veux me cacher.

-Bon, à plus, je tranche avant de tourner les talons.

Je ne sais pas pourquoi j'ai un pincement au cœur. Ressaisis-toi, tout va bien, ce sont ses amis, c'est normal. Je marche maintenant avec Levy qui n'a pas l'air de vouloir se remettre de son fou rire qui dure déjà cinq minutes à présent.

-« Tu as les yeux verts » ! Sérieusement ? Répète-t-elle, hilare, les larmes aux yeux.

Puis, doucement, je me laisse aussi gagner par son rire et pouffe avec elle. Car tout va bien pour l'instant.

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