Chapitre 2 : « Espèce de copain indigne »

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Aujourd'hui, c'est jeudi. Et jeudi est égal à sport est égal à pentabond est égal à humiliation, perte de fierté, et une jambe cassée. Je me ronge les ongles en fixant le grand carré rempli de sable dans le stade du lycée. Le prof, un blond costaud, jeune, donc nouveau, qui a un peu de mal à parler, nous explique tant bien que mal le but de ce sport. En gros, je dois imiter une sauterelle jusqu'au sable et m'y jeter dedans.

Je pense que je devrais directement rompre avec Natsu avant qu'il le fasse en premier en me voyant manger du sable après un saut ridicule. Ça va être un coup douloureux pour sa dignité, une copine aussi attardée que moi.

-La blonde, qu'est-ce que tu attends ? Me crie le prof.

Un peu sonnée, je regarde autour de moi et remarque que tous les élèves se sont mis en ligne contre un mur pour commencer l'échauffement. Il n'y a que moi pour se  déconnecter à un moment pareil, sérieusement. De loin, Levy me fait un signe discret de la main – discret, mon œil – pour que je puisse la repérer. Je me dépêche donc de prendre place à côté d'elle.

-Commencez par trottiner, ensuite enchaînez avec les pas chassés ! Fait le prof en suivant tous les élèves du regard.

A mon avis, l'échauffement c'est le truc le plus fatigant et le plus long en EPS.

-A quoi ça sert, le sport ? Je soupire en faisant tourner mes chevilles.

Prenant apparemment ma question très au sérieux, Levy réfléchit avant de répondre :

-C'est pour avoir un équilibre entre l'utilisation du cerveau dans les autres cours et celle du corps en EPS, car il faut les deux pour être bien en forme en faveur des études, c'est une loi prouvée scientifiquement.
-Ahhh... Quoi ?
-La blonde ! Hurle le prof. On est passé aux coudes !

Tout le monde tourne la tête vers moi, et j'obéis rapidement, un peu mal à l'aise. En levant légèrement les yeux à droite, j'aperçois Natsu qui me fixe d'un air moqueur. Je décide de l'ignorer.

Une fois l'échauffement fini, je suis déjà pleine de sueur, et suis obligée de m'appuyer contre le muret en me tenant la côte, soufflant comme un bœuf. En fait, cet échauffement sert à nous épuiser avant le pentabond pour qu'on puisse tous tranquillement se faire humilier, c'est ça ? C'est un coup monté par le conseil régional, y a pas de doute. On se fout clairement de notre gueule.

-Pas trop fatiguée ? Ironise Natsu en venant s'adosser près de moi, les bras croisés sur son torse.
-Ça va, je pète la forme, rétorqué-je sarcastiquement, quand même essoufflée.

Comme il rit, je poursuis en plissant les yeux :

-C'est ça, moque-toi. Toi tu pratiques du sport tous les jours alors...
-Pas tous les jours.
-C'est pareil. Alors tu devrais avoir plus de respect pour ceux qui sont addictifs aux séries ou aux livres ou aux jeux et qui n'ont pas d'autre choix que de rester chez eux !
-Ah oui, les pauvres quand même, répond Natsu d'un ton faussement dépité. Obligés de passer leurs soirées dans la chambre au lieu de faire du sport, ça doit être terrible.

Je souris, amusée. Il m'avait manqué, ces derniers jours, où on s'était à peine parlé malheureusement à cause de la reprise des cours. Alors je fixe ses yeux émeraude, ses cheveux roses en bataille, ses muscles sous son tee-shirt blanc, son sourire, pour bien imprégner cette image dans ma tête.

-Lucy, il faut s'entraîner avec les plots, tu viens ? M'appelle ma meilleure amie.

J'arrête ma contemplation et me retourne pour voir ce qu'il se passe. Le prof a placé différents plots en une ligne droite, et le but est de sauter par-dessus en faisant de grands bonds. Je ne serais pas étonnée si tous les plots s'envolaient tout à coup après mon passage.

Je fais quelques pas dans la direction de Levy, mais une main forte me retient par le poignet et m'oblige à me retourner, pour finalement faire face à Natsu. Il m'attire lentement vers lui. Mon cœur bat la chamade. Je crois d'abord qu'il va m'embrasser mais... il me renifle le cou.

Dieu, qu'ai-je fait pour mériter ça ?

-J'aime bien cette odeur, dit-il en me regardant ensuite dans les yeux.

Je fais une grimace dégoûtée.

-Euh, c'est du déodorant mélangé à ma transpiration...
-Ah.
-T'as des goûts vraiment bizarres, je ris.
-Ça, je l'ai compris dès que je t'ai choisie toi comme copine, répond-il avec un rictus provocateur.

Mon rire se stoppe brutalement et je m'étouffe presque avec ma propre salive.

-Espèce de copain indigne, je lâche, avant de rejoindre Levy devant les plots jaunes avec dignité.

Dignité que je viens de perdre très vite.

Bon, pour résumer la torture du jeudi qu'on appelle plus communément le sport : pas de jambe cassée, c'est déjà ça ; mais vu le nombre de fois où je me suis affalée tête première dans le bac, le taux de sable dans mon sang a dû augmenter d'un cran. Je vous épargne les détails de cette aventure riche en rebondissements.

***

Assise à une table de la cantine, je souffre le martyre, ma tête veut exploser. Mais j'évite de trop me plaindre devant la fille que Levy vient de me présenter : Mirajane, à la chevelure blanche, grande, belle, dans une autre classe, mais que ma meilleure amie a l'air de connaître depuis longtemps. Elle me plaît bien, car je n'ai pas trop à me casser la tête pour lui parler : c'est elle qui parle sans qu'on lui demande quoi que ce soit, c'est parfait. Elle est marrante et sociable. Mais moi, actuellement, j'ai trop mal à la tête pour pouvoir rigoler et parler.

-Pourquoi tu ne manges pas, Lucy ? Ce sont des frites ! Me dit Levy, inquiète de me voir aussi calme devant de la nourriture.

Je lève le visage vers elle en appuyant mon menton dans ma main et réponds d'une voix étranglée :

-Je sais pas pourquoi, j'ai le cerveau qui se cogne dans tous les sens dans mon crâne.
-S'il a la capacité de bouger comme ça, il ne doit pas être bien grand, ton cerveau, décide-t-elle de plaisanter.

Je roule des yeux en souriant. Mirajane, notre nouvelle amie, me demande alors :

-T'as eu maths ce matin, je suppose ?
-Non, sport. 2 heures horribles de sport.
-Alors ça doit être ça, dit Levy. Tu t'es trop déchaînée.
-C'est plutôt le prof qui s'est déchaîné sur moi, je grommelle. A me hurler dessus comme s'il n'avait que ça à faire. « La blonde, fais ceci. La blonde, fais cela. La blonde, bouge-toi. La blonde, n'avale pas cette coccinelle... »

Mira manque de s'étouffer avec son yaourt et me regarde d'un air incrédule.

-Ah, parce que tu voulais manger une coccinelle en plein cours de sport ? Demande-t-elle en cachant mal son envie de rire.
-Il paraît que ça porte bonheur, je réponds en guise d'explication.
-T'étais si désespérée que ça ?

Levy hoche affirmativement la tête à ma place :

-En même temps, tu aurais dû voir comment elle se forçait à sauter dans le bac à sable comme un plongeur de natation alors qu'il fallait juste faire un grand bond et atterrir sur les deux pieds. Elle se compliquait vraiment la vie.

Merci pour le soutien, Levy.

-Ça ne m'étonne pas que tu aies mal à la tête dans ce cas, remarque Mirajane en m'observant, hilare.

Elle doit me prendre pour le clown de service ou un truc du genre. Pas étonnant que les gens me prennent rarement au sérieux quand j'ouvre la bouche : je dis beaucoup trop de bêtises. D'un autre côté, ça ne me dérange pas trop : je peux cracher aux gens tout ce que je veux à la gueule, ils se contentent tous de rigoler sans se vexer.

Je m'oblige à avaler plusieurs frites pour reprendre des forces, car j'en aurais besoin en cours de Physique cet après-midi avec le tyran qu'on a comme prof. Puis je repousse mon plateau et m'assois plus confortablement sur ma chaise afin d'attendre que mes deux amies finissent de manger. Pendant qu'elles parlent, je dérive mon regard vers l'ensemble de la cantine, et tombe sur une touffe rose. Natsu. Mon cœur fait un bond incontrôlable dans ma poitrine. Natsu est en train de discuter avec un blond -un de ses trois amis-, un plateau dans les mains, tout en se dirigeant vers une table vide au bout du réfectoire. Mais soudain il est intercepté par une belle fille aux cheveux noirs qui le coupe dans sa conversation pour lui dire quelque chose et glisser un mot dans la poche de son pantalon. Elle lui adresse ensuite un clin d'œil séducteur et s'en va.

Je fronce les sourcils. Je n'aime pas du tout ce qu'il vient de se passer, là. C'est comme si une fourmi me rentrait dans la narine, j'ai envie de gigoter dans tous les sens. J'aurais tellement aimé entendre ce qu'elle lui avait dit ! En plus, c'est qui cette fille ? Natsu arque un sourcil en la regardant partir, puis reprend sa discussion avec le blond comme si de rien n'était.

Levy et Mira ont fini de manger. Enfin !

-Je veux aller à la cafétéria, dis-je en me levant avec mon plateau pour me diriger vers la sortie. Acheter une bouteille froide.

Je dépose mon plateau et la dame de cantine jette les déchets dans une poubelle. Suivie de mes deux amies, je sors du réfectoire.

-T'as de l'argent sur toi ? Me demande alors Levy.

Ah merde. De l'argent. Je me tape le front. Devinant la réponse, la bleutée secoue la tête avec découragement.

-Ah là là, Lucy, tu es irrécupérable.
-Moi je n'ai pas d'argent non plus, désolée, décrète Mira.

Et Levy non plus, car elle n'en amène jamais de peur d'en perdre. Je me pince les lèvres. J'ai absolument besoin d'acheter quelque chose de froid, sinon je sens que mon crâne se brisera en deux.

-Demande à Natsu, au pire, suggère Levy.

Je grimace. J'y avais pensé mais, connaissant son caractère, je ne suis pas sûre qu'il ait la gentillesse de m'en donner. Mais, je n'ai pas trop le choix, c'est soit ça soit rien. Et puis, il n'est pas un monstre non plus...

-Natsu ? C'est ton ami ? Demande Mira, intéressée.

Levy répond en souriant d'un air entendu :

-Non, c'est son amoureux.
-Waow, vraiment ?
-Vous pouvez y aller, j'arrive, je dis avant de faire demi-tour.

Je retourne dans la cantine et, après avoir avalé ma salive, j'avance vers la table au fond en essayant d'avoir l'air décontracté. Tout va bien, Lucy, c'est ton copain. Au milieu du bruit que font tous les élèves, Natsu mange tranquillement avec ses trois amis, les deux bruns et le blond. Soudain, ils éclatent de rire. Du coup, je m'arrête entre deux rangées de tables, le temps qu'ils finissent de rigoler pour que je n'aie pas à les interrompre dans leur délire. Puis, avec la tête d'un constipé, je presse le pas, arrive à leur table, et m'exclame :

-Deux euros !

Oh purée de pommes de terre. Je voulais dire « T'aurais pas deux euros ». Et je sors ça ?
Surpris, Natsu s'étouffe alors avec sa frite tandis que les têtes de tous les élèves qui m'ont entendue se tournent vers nous. Le blond donne une tape dans le dos de Natsu qui est en train de tousser, et celui-ci reprend alors vie. Il boit une gorgée d'eau, pose son verre sur son plateau, et me regarde ensuite en décrétant :

-Tu veux me tuer, c'est ça ?
-Non, enfin oui parfois, mais pas tout de suite. J'ai besoin de... de...

Je sens la chaleur monter à mes joues. Tous ces regards sur moi me mettent mal à l'aise. Je me tourne vers les têtes qui nous observent et déclare avec agacement :

-Vos plats vont refroidir !

Ils plongent tous rapidement leur nez dans leurs frites.
Les amis de Natsu pouffent de rire sans discrétion. J'ai envie de les prendre chacun par les cheveux et de les lancer dehors par la fenêtre. Au lieu de ça, je leur adresse mon regard le plus noir, car c'est tout ce dont je suis capable.

-Ouh, regarde-moi ces yeux-là, ricane le blond en me contemplant. Tu ne m'avais pas dit que ta copine était aussi amusante, Natsu. Tu ne dois pas t'ennuyer avec elle hein.
-Sting, ferme-la, tranche Natsu, soudain de mauvaise humeur.

Alors l'idiot blond s'appelle Sting. Ce nom est à retenir. Je le répète plusieurs fois dans ma tête.

-Wow, calme, s'étonne-t-il, ne s'attendant visiblement pas à cette réaction. C'est pas comme si je voulais la sauter.

C'est quoi son problème, à ce gars ? Je vois la mâchoire de Natsu se contracter davantage. Alors, désemparée, je décide vite de détendre l'atmosphère et me force à éclater de rire à l'adresse des deux bruns :

-Pfffhahahaha ! Vous avez vu comment ses yeux ont louché ?

Résultat : ils me regardent tous les quatre comme si j'étais demeurée. D'accord, ne plus jamais essayer de détendre l'atmosphère. Je me racle la gorge, mal à l'aise. Mon crâne me fait encore plus mal que tout à l'heure.

-Qu'est-ce que tu veux, Lucy ? demande enfin Natsu, ses yeux émeraude lançant une lueur indescriptible.

Je ne sais pas s'il est ennuyé, en colère, ou amusé. Je n'aurais jamais dû venir finalement. Je soupire :

-Laisse tomber, je ne veux rien. Mange tes frites.

Je veux tourner les talons, mais le jeune homme se lève de sa chaise et me retient par le bras à quelques mètres de leur table, me forçant à m'arrêter. Son regard vert plonge dans le mien.

-Dis-moi ce que tu veux, qu'on en finisse.
-Un poney.
-Quoi ?
-Je veux un poney. Bleu si possible.

Natsu lève les yeux au ciel, visiblement pour prier Dieu de me soigner, avant de me regarder d'un air qu'il veut sérieux, mais c'est sans compter sur le sourire qui étire légèrement ses lèvres. Je lui souris aussi et décide de répondre :

-Je veux m'acheter une bouteille d'Ice Tea à la cafet', mais j'ai pas d'argent... Tu pourrais me donner deux euros ?

Il glisse sa main dans sa poche, en sort une pièce, et fait au passage tomber une petite feuille – le mot de la fille aux cheveux noirs !

-T'as fait tomber un mot...
-Ah, c'est Minerva.

Natsu se baisse pour le ramasser et le remet dans sa poche, tandis que moi j'ai une envie terrible de savoir ce que ça contient. Je me pince les lèvres avant de demander d'un air distrait :

-Et euh... c'est qui... euh cette Minerva ?
-C'est une fille de notre classe, soupire-t-il, tu ne connais même pas le nom de tes camarades ?
-Mon cerveau possède un filtre, il n'enregistre pas les trucs inutiles. Bon, sinon, l'argent ?

Il me montre sa pièce de deux euros et déclare :

-Faudra me rembourser.
-Quoi...? Je te signale que t'es mon petit-ami, je rétorque.
-Et alors ?
-Et alors, techniquement je n'ai pas à te rembourser...
-Dans ce cas, tu auras cet argent à une seule condition.

Bizarrement, son regard a quelque chose de sérieux, et je plisse les yeux, inquiète :

-Laquelle... ?
-Ne t'approche pas de Sting.

Sting, son ami le cochon dans l'âme, l'idiot qui ricane pour rien ? Je cligne des yeux, incrédule, ne m'attendant pas à ça, et pouffe de rire. C'est quoi cette condition pourrie ?

-Pas de soucis, tu peux compter sur moi ! je m'exclame en lui arrachant la pièce des mains. Bon appétit.

Sur ces mots, je cours vers la sortie, mais ralentis une fois dehors, me rappelant que ma tête me fait toujours atrocement mal. En grimaçant comme une personne qui goûte du citron, je me dirige vers la cafétéria.

***

-Alors comme ça, tu sors avec le beau Natsu ? Depuis quand ? Comment vous vous êtes rencontrés ? Lequel de vous deux a fait le premier pas ?

Quand je me suis assise à une petite table ronde dans la cafétéria en compagnie de Levy et de Mirajane, celle-ci a décidé de m'envahir de questions depuis qu'elle a appris pour ma relation avec Natsu. Elle semble vraiment surprise que j'aie un copain, à tel point que c'en est vexant. Je lui réponds du bout des lèvres tout en appuyant davantage la bouteille froide d'Ice Tea sur mon front chaud, et scannant du regard les élèves qui jouent au babyfoot à cinq mètres d'ici.

-Combien de fois vous vous êtes embrassés ?

Tiens, bonne question. Je plisse mes yeux en essayant de m'en souvenir.

-Euh, deux fois.

Mirajane s'écrie :

-Quoi ?!

Je crois qu'elle a brisé mes tympans, là.

-Attends, tu sors avec lui depuis déjà trois mois, et vous vous êtes embrassés deux fois ? Deux ?
-Et... ?
-C'est très peu, deux fois ! C'est même rien ! Normalement les couples ça s'embrasse au moins une fois par jour, tu sais ? Il te touche, il te caresse au moins ?

La conversation prend une tournure très bizarre, et je m'assure que personne n'est en train de nous écouter.

-Très rarement, je réponds. Et encore, les seules fois où il me touche, c'est souvent pour m'arrêter, ou enlever une saleté.
-Oh là là...

Voyant son air désespéré, je commence à m'inquiéter aussi.

-C'est grave, tu crois ?
-Evidemment, ça veut dire qu'il ne te désire pas, et c'est très grave dans un couple. Il faut absolument que tu fasses quelque chose pour qu'il te trouve attirante.

Je n'avais jamais vu les choses sous cet angle-là. En fait, je n'ai jamais ressenti le besoin d'être caressée ou quoi que ce soit, la présence de Natsu m'a amplement suffise jusqu'à présent. Cependant, à entendre les paroles de Mira, ça n'a rien de normal. Je lâche un soupir. Moi qui pensais que tout était simple.

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