Chapitre 6 - Partie I - "Viens chez moi"

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Oh non. Oh, purée de pomme de terre de sa mère la saucisse et de son fils l’abricot, c’est impossible. C’est impossible, impossible, impossible. Je n’accepte pas cette horreur.

Je suis en pyjama, les cheveux en pétard et les yeux mi-clos, en plein milieu de la nuit, debout devant le bocal rempli d’eau. Eau sur laquelle flotte mon poisson, immobile, mort. Ma gorge se serre. Je ne sais pas quoi faire, alors je prends automatiquement mon portable d’une main tremblante.

-Oui ? fait Natsu d’une voix enrouée.

Je l’ai réveillé, ça s’entend. J’ai honte d’être aussi égoïste, j’aurais bien pu l’appeler après.

-Lucy ? reprend-il, légèrement inquiet cette fois.

-Je suis triste, dis-je.

-A une heure du matin ? Tu n’as que ça à faire la nuit, être triste ?

Je prends une grande inspiration et souffle :

-Cynthia est mort.

Il y a une pause, puis je l’entends étouffer un rire.

-Tu l’as peut-être tué de surconsommation.

Il ose plaisanter dans un moment si tragique ? Enervée, je veux raccrocher, mais il dit soudain :

-Désolé. C’est sorti tout seul.

Et il semble réellement désolé, alors je soupire. On plonge tous les deux dans le silence.

-Tu pleures ? demande-t-il.

-Non, je ne pleure jamais. Je réfléchissais juste.

-Donc tu sais réfléchir.

Je me pince les lèvres. Je ne l’ai jamais haï autant.

-Pardon, dit-il une nouvelle fois. Je suis fatigué et j’ai eu envie de me foutre de toi. Raconte-moi à quoi tu réfléchis.

-T’as envie de savoir ou tu te fous de moi ?

-Suis-je du genre à me foutre de toi ? C'est presque vexant, tu sais.

En ingorant la pointe de sarcasme dans sa voix, je recule et m’assois sur mon lit, avant de décréter lentement :

-La mort est à la fois effrayante et impressionnante, tu ne trouves pas ? Voilà à quoi je pensais. Elle nous ôte la vie, nous détruit. Elle le fait au moment où on s’y attend le moins. Elle vient, et on n’est plus de ce monde, comme ça, d’un coup. On ne sait jamais quand on va mourir exactement, mais on est sûr qu’on va mourir un jour ou l’autre. C’est surprenant, non ?

Natsu ne dit rien. Je reprends :

-Même si on a cette certitude, on évite souvent d’en parler, comme si ça allait nous permettre de l’éloigner le plus possible. C’est rare qu’on en parle. Dans les contes, par exemple, il y a toujours une fin heureuse. Mais, en y réfléchissant, ce n’est pas vraiment une « fin » si elle est heureuse. T’en penses quoi ?

-Je pense que tu me fascines, Lucy, répond-il avec un rire très léger, silencieux. Tu as raison, à la fin d’un conte, ils auraient plutôt dû dire « Ils vécurent heureux, et moururent le même jour. ». Au moins pour nous habituer à cette idée.

Je n’écoute pas la suite de sa plaisanterie. Le « tu me fascines, Lucy » qu’il a prononcé avec douceur m’a envoyée au ciel. Cependant, je sors de mon mutisme en entendant très bas un peu de bruit à l’autre bout du fil, puis une voix de femme âgée qui prononce :

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