Jkar

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Plusieurs semaines après son arrivée, le Voyageur avait acquis un niveau de maîtrise de la langue suffisant pour communiquer de manière courante avec la troupe. Troupe qui était indépendante par ailleurs. Il les avait pris pour des mercenaires mais il n'en était rien. En réalité, le jeune guerrier était le chef du groupe. Ses connaissances militaires étaient encore récentes mais pas faibles du tout. Il établissait d'excellents stratagèmes pour obtenir la victoire et savait quels entraînements permettaient l'amélioration des compétences de ses camarades. Il expliquait ses facultés de jugement par son passé. Il n'évoquait son histoire qu'indirectement mais d'après les bribes que le Voyageur avait pu obtenir, le peuple de Jkar avait été décimé sans pouvoir se défendre. Cependant, la mentalité de ses origines restait bien présente. Il n'avait pas saisit l'entièreté des implications de celles-ci mais ce qu'il savait, c'était que la cohésion et l'entraide spontanée étaient au coeur des préoccupations de Jkar. Le Voyageur restait intrigué par ce nouveau monde. De ce qu'il avait compris, les humains étaient divisés en tribus, clans et villages. L'unité était quelque chose de rare mais qui émergeait peu à peu avec l'apparition de royaumes et d'unions militaires pour détenir plus de territoires. L'objectif de la troupe avec qui il voyageait était de faire front et de créer leur faction en réaction aux autres puissances émergentes. Leurs revendications en terme de territoire était cependant bien floues. Ils cherchaient une certaine terre qui correspondrait aux attentes de Jkar. Ce dernier n'était que peu communicatif à ce sujet, répétant que le jour où il en trouverait un, il le ferait savoir. 
Au fil de leurs voyages, ils discutèrent longuement et les autres membres du groupe se révélèrent tous aussi singuliers les uns que les autres. Si Jkar était unique en son genre, les autres ne l'étaient pas moins. Plusieurs d'entre eux avaient rejoint le groupe pour tuer l'ennui du quotidien mais d'autres avaient choisis de suivre Jkar pour l'aider à accomplir ses ambitions.

"Jkar, pourquoi te bats-tu ? 

-Pas parce que je le dois, parce que j'en ai envie. J'aurais sans doute préféré rester loin de la guerre et des armes, mais après la disparition des miens, j'ai fait des choix qui m'ont menés sur cette voie sanglante. Je ne le regrette pas, bien au contraire. 

-Tu penses que tu pourras accomplir ce que tu souhaites grâce aux armes ? 

-Bien sûr, j'en suis convaincu.

-Et quelle terre cherches-tu? Tu en parles souvent mais nous n'en savons rien au final....

Il semble étouffer un léger rire. 

-Tu ne comprendrais pas... Ce que je cherche n'est pas seulement un endroit avantageux sur le plan physique, avec de grandes étendues pour cultiver, des montagne à miner et des forêts où prendre le bois. Il faut quelque chose de symbolique. L'acquisition de cet endroit doit se faire par les armes. 

-Pourquoi ???

-Il doit en être ainsi. J'ai des plans. J'ai appris comment agit le coeur des hommes par le passé, je me dois de l'utiliser à mon avantage. Ainsi seulement, mon nouveau peuple pourra prospérer. Mais rassures-toi, mon ami. Si la situation continue d'évoluer ainsi, nous irons bientôt prendre notre terre. "

L'une des guerrières de la troupe se prénommait Laca. Elle était jeune, une ou deux années de moins que Jkar. Elle se battait avec une lame classique et un bouclier. Cependant, sa singularité ne se trouvait pas dans l'usage qu'il faisait desdits objets mais dans sa manière d'être. Au premier regard, rien ne la différenciait des autres humains. Mais un jour, le Voyageur la surprit à théoriser quelques idées de plans à long terme, à la manière de Jkar. Elle ne copiait pas son jeune aîné, sa mentalité était bien différente. Là où Jkar souhaitait reproduire l'unicité de son peuple, Laca voulait créer une courbe d'évolution méliorative constante. Il sut plus tard que les deux avaient échangés sur leurs plans et que les idées de Laca avaient grandement plus à Jkar qui n'avait que peu songé à l'évolution, n'ayant connu que la stabilité chez les siens. 
Personne n'était inutile dans la troupe. Même les meilleurs combattants apportaient leur pierre à l'édifice de la future nation. Les idées étaient parfois rejetées mais jamais sans longue discussion préalable afin de voir ce qu'il y avait à en tirer. 
Le Voyageur était admiratif. Bien qu'ils pensaient tous d'une manière différente, ils parvenaient à s'entendre, rendant les conflits internes étaient des choses extrêmement rares. Et bien souvent, ces conflits portaient sur des futilités sans être réellement sérieux. 
A force de dialogues, le Voyageur finit par connaître les histoires de chacun. Lors d'une pause dans un petit village, il avait trouvé un endroit où poser ses carnets de voyage et avait trouvé un artisan capable de lui en fournir. La routine commençait à s'installer mais lui convenait. La troupe voyageait sans cesse et repassait peu aux mêmes endroits. Il avait compris que les humains n'étaient pas les seuls êtres conscients mais que dans cette région du monde ils étaient majoritaires. Il avait ouïe de créatures étranges habitant des contrées lointaines, d'ombres s'étendant sur les astres et de mystères encore irrésolus. Il avait, grâce à ses facultés, vu à quel point ce monde était étendu. Il ne saisissait pas encore toutes les implications et la situation globale mais il ne pouvait s'empêcher d'éprouver un attrait des plus grands pour les aventures qui l'attendaient sur ces terres. En temps normal, il aurait quitté le groupe pour voyager par lui-même. Néanmoins, l'ambiance ainsi que l'affection qu'il ressentait pour la plupart des membres le retenaient. Et les voyages étaient enrichissants. Par conséquent, il ne voyait aucune raison de partir. 
Entre temps, les autres membres avaient appris quelques éléments utiles sur leur nouveau compagnon. Il s'était bien gardé de leur révéler tout de sa véritable nature mais cela en amusait quelques uns qui émettaient de multiples hypothèses s'approchant plus ou moins de la vérité. Ce qui étonnait le plus le Voyageur, c'était leur capacité à se détacher complètement de ce qu'ils connaissaient afin d'atteindre le secret. Jkar était celui ayant émis les meilleures théories. Ce jeu continua un long moment et devint le loisir des temps de paix. Le Voyageur savait se battre mais les autres l'autorisaient à ne pas prendre part aux combats. Quelques fois, des fuyards tentaient de le prendre en otage et essuyaient des échecs cuisants. Il acceptait néanmoins de s'entraîner en compagnie des autres guerriers et tous voyaient alors les veinules colorées parcourant sa peau. Cela ajoutait au mystère l'entourant tout en rendant sa présence banale. 
L'équipe grandissait avec le temps, les batailles et étapes de voyages. Certes, l'unicité n'était pas suffisante aux yeux de Jkar mais bien plus présente que dans n'importe quelle autre armée. Il se contentait donc des choses telles qu'elles étaient. Toutefois, il restait bien nostalgique de ses anciens frères et soeurs. 
Ils ne se battaient point de manière hasardeuse. La plupart du temps, ils protégeaient des villages de pillages ou d'agressions par des groupes plus grands. Mais il leur arrivait également d'attaquer quelques groupes de soldats sans raison apparente. Le Voyageur avait du mal avec cette violence gratuite et cela semblait attrister Jkar. Néanmoins, le Voyageur gardait à l'esprit que tout était fait en suivant un plan minutieux qu'il ne pouvait appréhender entièrement. Et même si tout semblait s'enchaîner rapidement, sans réellement de liens entre les escarmouches, il était étrange que la troupe ne connaisse pas de réel défi ou bataille gagnée sur le fil. En effet, à ce jour, aucune défaite n'avait été essuyé par cette compagnie. Si beaucoup de leurs ennemis pensaient qu'ils recevaient le soutien d'autres races, la présence du Voyageur jouant sur ce sentiment, les autres comprenaient une partie du génie tactique de la troupe. Ils se présentaient par ailleurs comme habitants d'une nation, ce qui ne manquait pas d'étonner les quelques dignitaires venant les trouver pour louer leurs services. Le nom était: Jkariens. 

Cependant, de l'autres côtés des grandes étendues, un roi avait réussi l'unification de son royaume. Les nouvelles venaient de leur parvenir mais cela faisait une demi décennie que les terres étaient en possession de cet homme. 
Jkar demanda aux marchands venant de ces contrées une carte des lieux et s'enferma plusieurs jours durant dans sa tente. La vie de la troupe suivait son cours mais tous se doutaient bien que la suite des évènements allaient les mener sur les sentiers d'une guerre comme ils n'en avaient jamais connue. 

Parallèlement à tous ces enjeux, il est important de noter que les pertes de le troupe de Jkaria étaient faibles mais existantes. Pour beaucoup de leurs adversaires, faire couler le sang d'un guerrier de la troupe était signe de victoire potentielle. Ils avaient souvent fait face à des regains de moral mettant à mal les plans de batailles. Malgré le fait qu'ils soient restés invincibles, les morts étaient tous listés. Le Voyageur avait proposé ses services pour ces quelques tâches. Il tenait quelques registres au nom de Jkaria et s'assurait que personne ne soit oublié.

Ces temps plus calmes virent donc les premières naissances au sein de la troupe ainsi que les unions de plusieurs membres. Et malgré le relâchement de Jkar, aucun des membres de la troupe ne souhaitait partir. Le Voyageur songeait qu'il avait de quoi être fier, quand bien même son but n'était pas complètement atteint. Ils n'étaient pas paralysés par l'inaction de leur chef, même si ils l'attendaient. Ils continuaient les escarmouches et entraînements intensifs. 

"Ce matin là, l'atmosphère n'était pas différente. C'est lorsque Jkar surgit dans le camps que tous comprirent qu'ils allaient partir.
-Il faut partir. J'ai trouvé notre futur terre. Nous avons plusieurs mois de voyages qui nous attendent. "

Si la plupart ne comprirent pas pourquoi, aucun ne tergiversa. Leur terre avait été localisée, leur objectif était donc en vue.

Le VoyageurWhere stories live. Discover now