Chapitre douze ➳ PDV Connor

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Deux semaines plus tard, je me gare devant le bâtiment que Troy m'a indiqué par message, là où se déroule le dernier cour d'Abbie. Je sors de ma voiture après avoir effectué un créneau digne de ce nom et m'adosse à ma berline, lunettes de soleil sur le nez, mon habituel blouson sur le dos, chevilles croisées. En attendant que l'enseignant de la raison de ma venue ici se décide à la libérer, j'observe les alentours.
Tentative pourrie pour tenter de m'occuper, je me rabat sur mon téléphone après cinq secondes à loucher sur un arbre pauvre de ses feuilles.

Ces dernières semaines, je me suis renseignée sur ce qui pouvait causer la perte des souvenirs. Bon, dans un premier temps, je me suis peut-être un peu saoulé à la vodka avant d'entreprendre quoi que ce soit d'autre.
Et, mon œil au beurre noir me rappelle à chaque passage devant le miroir que traîner dans un bar remplit de russe lorsqu'on est bourré, avec des tendances à la bagarre facile, n'est pas une bonne idée.
Loin de là.

Revenons à nos moutons. Il y a le choc, un violent coup sur la tête, un accident... mais rien de tout ça n'est arrivé à Abbie.
Du moins, deux options ne lui sont pas arrivées. Un violent coup sur la tête, et un accident. Mais, le choc, elle l'a bien eue, lui. Est-ce qu'il s'agit de ça ?
J'espère que oui. J'ai passée quatorze jours entiers - si on retire les  6 heures sur 24 par jour que j'ai passé dans le bar au coin de la 3e Ave - à épié le web à la recherche d'informations, j'ai même pris rendez-vous avec un célèbre docteur, et putain, ça m'a coûté une blinde. Tout ça pour qu'il me dise qu'il ne peut rien faire sans examiner Abbie. Sérieusement, connard ?
En revanche, il m'a fait part d'une information précieuse, un comportement à observer sur le sujet qui n'a plus ses souvenirs : si cela s'avère être vrai, si Abbie n'a réellement aucune idée de qui je suis et a donc vraiment perdu ses souvenirs, elle devrait faire des sortes de crises, selon le Docteur Célèbre Qui A Fait Saigner Mon Porte-Feuille.
Ces crises se manifeste sous formes d'obsession, et ça se divise en trois étapes. Premièrement, l'obsession. Deuxièmement, la panique. Et, dernièrement, la crise, où le sujet se met à convulser.
A réfléchir, ça pourrait être divertissant de voir ça. Non ? Non. Vous avez raison, je suis vraiment sadique.
Selon Docteur Mon Cul, ces crises pourraient permettre à Abbie de retrouver la mémoire, puisqu'elles stimulent la partie de son cerveau qui garde ses souvenirs enfermés à double tour. Toutefois bien sûr, il ne faut pas ou du moins éviter d'arriver jusqu'aux convulsions.
C'est faisable, non ?
En conclusion, tout ce que j'ai à faire, c'est m'asseoir et croisé les jambes en attendant que les deux premières phases arrivent et stimulent sa mémoire. Ca me semble être un bon plan, seulement...
Je n'ai aucune patiente. Attendre dans la salle d'attente chez le médecin ? Je me soignerai seul. Faire la queue au drive d'un fast-food ? Je mangerai plus tard.
Attendre qu'Abbie retrouve sa mémoire ? Putain, c'est trop long. Il va falloir que je...
— Connor ?
La petite voix de ma Abbie me ramène à la réalité, et je relève la tête de mon téléphone. Planté devant moi, son petit mètre 58 m'observe, se cachant les yeux du soleil à l'aide de sa main. Je retiens vivement le sourire qui menace d'étirer bientôt mes lèvres et prend un air détaché en lui répondant d'un ton monotone :
— Bonjour.
— Qu'est-ce que tu fais ici ?
— Pas très polie, lui fais-je remarquer un arquant un sourcil par dessous mes lunettes de soleil.
Elle lève les yeux aux ciels, mais je ne me laisse pas démonter pour autant par son comportement ennuyé.
— Tu veux m'accompagner manger un bout ? propose-je du tac au tac.
Manger un quoi ? Qu'est ce que je viens de dire ?
— C'est vrai ?
Mon coeur se met aussi à palpiter lorsque son visage s'éclaire d'un sourire ultra-bright. Ses yeux, qui ont prit une lueur enfantine, me scrutent avec excitation.
Bordel, si j'avais su que lui proposer d'aller bouffer la ferait sourire comme ça, je l'aurais fait bien avant.
— À une condition.
— Laquelle ? M'interroge-t-elle en fronçant les sourcils, sa main cachant toujours ses yeux éblouis par le soleil aveuglant.
Ni une ni deux, j'enlève mes lunettes posée sur mon nez. D'une manœuvre aisée et devant son regard intrigué, je lui mets mes lunettes de soleil sur le nez.
— Oh, je... Pourquoi as-tu fais ça ? bafouille-t-elle, gênée. Ça commence à devenir une habitude, me fait-elle remarquer.
Aussitôt, une image d'elle portant mon bonnet sur ses cheveux bruns me revient en tête. Je dois me faire violence pour ne pas déferler un sourire presque incontrôlable.
— J'aime bien, hausse-je les épaules, les mains dans les poches de mon jean.
— Tes lunettes sur mon nez ?
— Mes vêtements sur ton corps.
Les joues d'Abbie virent au cramoisie. Je jurerai que ses yeux s'écarquillent, même si je ne les vois pas. Quant à moi, j'ai une furieuse envie de me jeter sur elle en voyant un sourire mal dissimulé venir étirer ses lèvres d'un rose naturel absolument magnifique.
Foutus souvenirs. Quand vont-ils revenir ?
Mon biscuit a envie de tremper dans le nutella d'Abbie, si vous voyez ce que je veux dire.
Ce n'est pas la seule chose que j'ai envie de faire, bien sûr, mais ça reste en tête de liste, après l'avoir embrassé et lui avoir fait retrouver ses foutus souvenirs.
— On y va ? Propose-je en ouvrant la portière passagère..
— C'est part...
— Abbie ! S'exclame une voix masculine qui ne lui permet pas de terminer sa phrase.
Mon attention est directement rejeté sur un type plutôt grand, un sosie du Justin Bieber des années 2013, qui trottine jusqu'à la brune devant mes yeux. Un sourire bien trop grand s'offre à ma vue, et Abbie semble soudain gênée au possible. Le Justin Bieber arrive à notre hauteur, et s'arrête devant ma Abbie sans me prêter un poil d'attention.
Les sourcils froncés, j'observe leur échange.
— Donovan ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Rien, je voulais juste savoir si ça te dirait de venir au centre-ville avec moi ? On pourrait manger une glace, ou...
Pardon ?
C'est plus fort que moi, je me met à ricaner. Tête à pipe tourne la tête dans ma direction et fronce les sourcils à son tour, tandis que la petite main d'Abbie se pose sur mon avant bras.
Elle a beau n'avoir aucun souvenirs, elle sait tout de même que ce rire ne présage rien qui vaille. 
— Tu es ?
Le regard de Donovan se pose sur moi d'un air hautain. J'enlève mes lunettes dans un geste lent, calculé au centimètre près, et plisse les yeux. Quelques secondes de silence passe durant lesquelles j'attend patiemment qu'il me reconnaisse et, finalement, ses yeux s'arrondissent de surprise.
Il veut emmener Abbie ?
Ma Abbie ?
Parfaite raison pour le torturer et le brûler vif.
- CJB... commence-t-il d'une voix chevrotante en reculant d'un pas, la peur se lisant sur les traits désormais déformés de son visage.
- Le seul et l'...
- Je ne savais pas que vous... Que Abbie était ta...
- Ne me coupe pas la parole, aboie-je en décroisant les bras.
Aussitôt, il sursaute et ouvre plus encore ses yeux déjà ronds, tandis que Abbie se place entre nous. L'incompréhension se lit clairement sur son visage, et son regard me jette des éclairs. Néanmoins, je capte le message qu'elle m'adresse silencieusement : Ne fais pas de scène devant tous ces gens.
Et, instinctivement, le calme m'assaille. Pour ces beaux yeux.
Parce que, comme moi, elle parle maintenant avec son regard. Elle répète mes gestes, mes façons de faire, et reproduit ma manière de communiquer silencieusement comme je l'ai fais avec elle lorsque je l'ai revue pour la première fois dans notre cuisine, à la fraternité.
Ça ne peut vouloir dire qu'une seule chose : Abbie est habituée à moi. Cette simple pensée suffit à me convaincre de ne pas brûler vif Donovan, et par la même occasion, gêné Abbie.
Parce que oui, forcément, quand on brûle quelqu'un vif, ça gêne les autres. Je suis d'accord, c'est stupide d'être gêné par ça.
Moi, ça ne me gêne pas. Les autres humains sont étranges.
- Monte, dis-je à Abbie sur un ton sévère, avant d'ajouter d'une voix plus calme : S'il te plaît.
Avec un regard d'excuse, elle se précipite pour ouvrir la portière. Je n'ai pas le temps de le faire pour elle ; elle arrache ma main de la poignée et la jette contre mon propre corps avec une furiositée qui me vaut un froncement de sourcil.
Elle a de la chance que ce soit...
- Monte. Tout de suite, m'ordonne-t-elle en me fusillant du regard avant de claquer la portière.
Putain.
Elle a vraiment de la chance que ce soit elle. Ma Abbie.
Sinon, je l'aurais brûlé v...
- Connor ! Gronde-t-elle à l'intérieur de la voiture alors que je reste fixé au sol sans bouger.
C'est quoi, cette manie de me couper dans mes pensées ?
Je vais vraiment la brûler vive si elle...
- Je ne le répéterai pas deux fois ! s'énerve-t-elle plus fort en pointant un doigt accusateur vers moi derrière la vitre, les sourcils froncés, le regard lançant toujours et sans cesse des éclairs.

- C'est bon, c'est bon !
Avant de me faire engueuler une nouvelle fois, je fais le tour de ma berline et monte à l'intérieur. Dans le silence, je m'attache et démarre la voiture, dont le moteur gronde bruyamment. Abbie respire fort, montrant son agacement, et finit par lâcher d'une voix étrangement calme, le regard emplit de doutes et d'incompréhension :
- Pourquoi as-tu fais ça, Connor ?

Bad Boyd - Remember | T1Where stories live. Discover now