Chapitre vingt-six ➳ PDV Connor

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- Depuis combien de temps fais-tu cela ? 
Notre série de question/réponses a commencé il y a cinq minutes, et je sens que Abbie n'en a pas fini avec moi. Assise en tailleur sur mon lit d'ado, elle me fixe intensément, attendant patiemment que je réponde, une mine sereine plantée sur le visage.
Inutile de dire que, pour la première fois de ma vie, j'ai honte de qui je suis ainsi que de ce que je fais chaque jour. Je suis loin d'être dans une position agréable, mais je suis forcé de répondre à toutes ces interrogations, auquel cas elle s'en ira définitivement. Et, ça, je refuse de l'accepter.
Alors, je prends appuie sur ma commode, croise les bras et les jambes et répond d'une voix calme : 
- Depuis que j'ai l'âge de tenir une arme entre mes mains. 
- C'est à dire ? 
- 8 ans. 

Les yeux d'Abbie s'arrondissent brusquement. L'expression abasourdie que je vois dans son regard me laisse perplexe, mais je dois cesser de penser qu'elle va me quitter à chacune de mes réponses. Nous avons été clairs l'un avec l'autre : il n'est envisageable ni pour elle ni pour moi que nous nous tenions loin l'un de l'autre plus de quelques minutes. Je crois en l'amour qu'elle me porte, et je sais qu'elle peut désormais supporter toutes les vérités, si horribles soient-elles. 
Et, c'est également inutile de dire qu'horrible est un très petit mot en ce qui concerne la vérité...
- Wow. C'est... jeune, constate-t-elle en rongeant son ongle, le regard rivé sur le plancher. 
Elle reste silencieuse une seconde puis reprend la parole la tête haute, l'air déterminée : 
- Continuons. Ce que je vais te demander est délicat, mais... 
- Rien n'est pour moi délicat, Abbie, répond-je sérieusement avec un froncement de sourcil en buvant une gorgée d'eau.
- Si tu le dis, hausse-t-elle les épaules. Combien de personnes as-tu tuées ? 

Je crache brusquement tout le liquide contenu dans ma bouche. Mes yeux s'arrondissent tandis que mon cœur, lui, manque plusieurs battements. 
C'est quoi cette question, putain ? 
Merde ! Je pensais qu'elle me poserait des questions sur moi, sur comment je suis devenu le dirigeant d'un cartel de drogue et d'une mafia, non pas qu'elle me demanderait de faire le compte concernant les personnes que j'ai assassinées ! 

Pourtant, Abbie, elle, me regarde fièrement les sourcils haussés, attendant toujours patiemment et sereinement que je réponde. J'essuie l'eau qui dégouline à la commissure de mes lèvres du revers de la main avant de passer cette dernière dans mes cheveux. 
Esquiver la question. Esquiver la question. Esquiver la question. 
Trouve un échappatoire, connard ! Mon coeur se met à battre aussi vite que possible de manière nerveuse. Tous mes sens sont désormais en éveil. Je me suis extirpé de situations bien plus difficiles que celles-ci en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire : je vais y arriver.
- Alors ? insiste Abbie en souriant. 
Quoi ? Elle... sourit ? Merde, elle est folle ou quoi ? Là, elle me fait flipper. On parle de gens que j'ai tué, pas de mon élevage de poneys multicolore !

Et, non, je ne fais pas d'élevage de poneys. C'était ironique.
Bon, là, je ne trouve aucun moyen de m'en sortir. Aucun. Zéro. Nada. Merde ! 
- Qu'est-ce que j'en sais, moi ? m'énerve-je pour masquer ma nervosité. Je n'ai pas une liste comprenant les personnes que j'ai assassinées, Abbie. C'est malsain, lui fais-je remarquer en gardant encore et toujours les sourcils froncés.

Elle a un don pour me mettre mal à l'aise, cette nana. C'est... Merde, j'en sais rien, ça doit être son regard perçant ! Comme un bouffon, je croise et décroise les bras, passe une main dans mes cheveux, me gratte l'arrière de la nuque. J'ai du mal à rester en place tant je suis nerveux. 
Merde, je ne devrais pas. Ce que j'ai fais est fait, je ne peux pas me permettre d'avoir de regrets. Si je commence à en avoir, cela signifie que je ne peux plus exercer mes activités. Si je ne peux plus exercer mes activités, je suis foutu. Et, si je suis foutu, je ne peux plus être avec Abbie. 
Or, Abbie passe avant tout.

Mais, pour faire passer Abbie avant tout, il faut que je fasse taire mes regrets, mes craintes et que je continue d'être qui je suis. Tout ça est vraiment, vraiment compliqué. Mort, je ne pourrai plus être avec elle. Et, si je deviens un être sensible et influençable, je me ferai buter par mes ennemis. Vous comprenez ? 
- Presque autant que de tuer, oui, me fait-elle remarquer à son tour en arquant un sourcil de manière hautaine. Dix ? Vingt ? Trente ? 
Je souffle, maintenant agacé et frustré.
- Quarante, je pense. Peut-être cinquante. Tu n'as pas une autre question ? 

Je vais finir par vraiment m'évanouir si elle continue d'être aussi choquée, et de me le montrer à travers ses expressions. 
- Oh mon dieu ! s'exclame-t-elle en portant une main à son coeur. Connor, comment... Pourquoi as-tu tués tous ces gens ? C'est... c'est horrible ! 
Abbie décroise ses petites jambes et se lève pour arpenter la pièce de long en large. Le coeur palpitant, je ne la lâche pas du regard en ne cessant de me demander si, là, elle se rend compte que je suis un monstre.
Et si elle décidait de me quitter ? Merde ! 
- Demande-moi pourquoi je t'ai sauvé, dis-je brusquement en l'arrêtant, mes mains accrochées aux siennes.
- Quoi ? Ne change pas de sujet, je n'ai pas envie de...
- Demande-moi pourquoi je t'ai sauvé, Abbie, insiste-je d'un ton qui ne laisse pas place à la négociation.

Durant plusieurs secondes, son regard se verrouille au mien. Je l'aperçois fouiller, lire en moi, mais je ne laisse rien paraître. La vérité, celle qu'elle voulait et qu'elle veut toujours, ce n'est pas combien de personnes j'ai tués, ou encore comment je l'ai fais. 
La vérité qu'elle veut, je vais la lui donner. 
Abbie avale sa salive, relève la tête et demande d'une voix à peine audible et sensible : 
- Pourquoi m'as-tu sauvée ? 
A l'aide de mes mains, je la tire jusqu'au lit, où elle s'assoit de nouveau. Je m'accroupis devant ses genoux et pose une main sur l'un d'eux. Son regard s'accroche au mien, et je commence, le cœur battant, un tas d'émotions différentes déferlants en moi, dont la nostalgie de notre rencontre : 

- A l'époque, mon cartel faisait des affaires avec celui qui t'a kidnappé, commence-je d'une voix posée afin de ne pas l'effrayer plus encore. Cody, Ledel, Emmet et moi sommes partis à Portland dans le but de voir si tout était correct. Marchandise, collaboration, on devait vérifier chaque magouille. Et un jour, quand je suis entré dans l'entrepôt, je suis tombé sur le chef. 
- Rivera, chuchote-elle la voix pleine d'amertume. 
Je hoche la tête. 
- Oui, lui. Il... Il m'a demandé si j'avais besoin de me défouler. Il a piqué ma curiosité. Je te passe le reste de la conversation, il m'a finalement emmené te voir. Je n'avais pas le droit de te toucher, outre que pour te frapper. 
- Comment j'étais ? demande-t-elle d'une voix chevrotante.

Une larme roule sur sa joue et mon cœur se serre. Un sentiment de colère coule dans mes veines, pour bientôt laisser place à une rage sans fin lorsque les images d'Abbie me reviennent en tête. Mon cœur s'emballe, les battements de ce dernier se répercutent dans mes oreilles et je dois me faire violence pour ne pas céder à mes pulsions meurtrières.
- Cadavérique, lâche-je en serrant les mâchoires. 

Je ferme les yeux afin d'essayer de calmer la rage qui m'envahie. 
C'est du passé. Aujourd'hui, je la protège. Elle sera toujours à mes côtés, rien ne peut plus lui arriver. 
C'est du passé. Du passé. Du passé. Du putain de passé.
- Tu n'étais là que parce que ton corps était toujours en vie, parviens-je à dire en plongeant de nouveau mon regard dans le sien. 

Ses larmes fonts de moi un nuage de flammes prêt à tout détruire sur son passage. J'ai l'impression de n'être qu'une bulle de rage, de n'avoir qu'une seule obsession : la venger.
- Lorsque j'ai vu ton visage, je... Je ne pourrais jamais mettre de mots là-dessus, Abbie. Mais je ne pouvais pas te laisser là, c'était impossible. J'essayais de me raisonner, de me dire que je ne devais pas me laisser distraire parce que dans mon univers, chaque distraction, si petite soit-elle, peut coûter la vie, mais je n'y arrivais pas. Quand je sortais de cet entrepôt sans toi, j'avais le sentiment d'avoir échoué. 
- Mais tu es toujours là. Je veux dire... toi, ça ne t'a pas coûté la vie. 

Mes pensées partent vers le visage de Ledell, Cody et Emmet. Un goût amer vient joindre ma salive, que j'avale difficilement en inspirant profondément. 
- Parce que j'ai trahi les miens pour te sauver, toi. 
Cet aveux est comme un poids que l'on retire de mes épaules. Auparavant, j'avais bien trop honte pour prononcer ces quelques mots. Désormais, face à ma petite-amie, je n'ai pas honte. Elle... Je sais qu'elle ne me jugera pas.

Abbie écarquille les yeux, comprenant où je veux en venir. Lorsque j'ai parlé de Ledell, Cody et Emmet tout à l'heure, ses sourcils se sont froncés, car elle ne les connait pas.    
- Connor, est-ce que tu as... 
- Ouais, avoue-je en fermant les yeux.
C'est dur. C'est douloureux. C'est misérable, d'être un chef qui trahi les siens. C'est déstabilisant, d'y penser chaque jour. Mais j'ai devant moi la raison qui fait que je ne regrette pas mes actes : Abbie. 

Je prend une grande inspiration et me prépare mentalement à tout avouer à ma brunette. De A à Z, dans les moindres détails.
- Je suis prête à l'entendre, Connor. Quoi que tu aies fait. Je suis prête, répète-t-elle en caressant mon visage à l'aide de ses minuscules doigts. 
Mon cœur bat toujours aussi vite, il sait aussi bien que moi quel genre de monstre je suis. Il sait, comme moi, que mon côté diabolique s'apprête à sortir, il sait comme moi qu'Abbie ne me regardera plus jamais de la même manière. Mais il sait également qu'une transparence entre elle et moi est nécessaire pour la survie de notre relation. Il sait, comme moi, que son regard changera peut-être, mais qu'elle ne me jugera jamais.

Alors, ses battements se calment petit à petit, écoutant ma raison qui le rassure en lui murmurant que tout ira bien, qu'elle ne partira pas parce qu'elle nous aime, mon cœur et moi, aussi noirs et cruels puissions-nous être.
Je suis prêt à tout lui dévoiler. 

Bad Boyd - Remember | T1Where stories live. Discover now