Chapitre vingt-cinq ➳ PDV Connor

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Le temps passé sur ses lèvres était pour moi une bénédiction. Un cadeau du ciel, ou encore un autre de ces foutus truc auxquels je ne croyais pas il n'y a de ça qu'une poignée de semaines. Les minutes entières que j'arrachais à mon temps libre pour la regarder dans les yeux me rendaient chaque fois un peu plus fou.

Ces minutes m'emmenaient au fond, me traînaient par les pieds et me tiraient vers des abysses que je ne soupçonnais jusque là pas. J'entreprenais chaque jour de me maintenir au dessus de la mêlée pour ne pas finir noyé, mais dès lors que le visage d'Abbie se retrouvait dans mon champ de vision, toute bonne volonté s'envolait et je sombrais.

Mon cœur l'emportait sur ma raison, me chuchotant à l'oreille que ce n'était pas important, d'être noyé. A côté d'elle, à côté de l'ange qui m'offrait ma rédemption, à côté de l'être incroyable qu'elle était, rien n'était important.

Parce qu'il n'y a pas de meilleur noyade, selon mon coeur, que l'amour. A rien ne sert d'être maintenu en hauteur si c'est pour être à milles lieux de la personne que l'on aime, m'a-t-il dit à maintes reprises.

C'est des conneries, putain, avait à maintes reprises grogné ma raison. Seulement, si ça en était, pourquoi est-ce que je suis incapable de retenir la larme qui coule au coin de mon œil ? 
Dans ma vie, je n'ai pleuré que quelques fois, et c'était durant mon enfance. Après, plus rien ne me touchait. Plus rien n'avait d'emprise sur moi. 
Plus rien, jusqu'à ce qu'elle fasse irruption dans ma vie.
Pourquoi je n'arrive pas à accepter qu'Abbie n'ait pas eu les épaules suffisantes pour encaisser la vérité à propos de qui je suis ? Si c'était que des conneries, pourquoi suis-je tombé fou amoureux d'elle sans parvenir à me contrôler ?

Pris d'une rage aveuglante, je me lève du sofa de ma chambre d'ado, attrape et jette contre le mur un vase en verre auparavant posé sur mon ancienne table de chevet. Celui-ci se brise dans un bruit peu discret et s'écrase en milles morceaux sur le sol. Je fais plusieurs pas en avant et enfonce mon poing dans un autre mur que celui où j'ai brisé le vase, grognant de colère. 
Abbie Warkley. Abbie Warkley. Abbie Warkley. 
Abbie Boyd. 
Elle était à moi. Elle est partie.

Cette fois, je me contente de hurler, crachant ma rage à gorge déployée. Malgré ma bonne volonté de ne pas foutre le bordel, ça n'étant pas suffisant pour me vider de ma colère, je commence à m'acharner sur les objets plus ou moins importants qui m'entourent. Après quelques secondes, absolument tout ce qui se trouve autour de moi finit brisé, en morceaux. Les cadres, les trophées, le plâtre des murs. Tout ça doit probablement faire un vacarme monstre, mais je n'entends rien. Seulement mon sang qui bat dans mes oreilles, les violentes pulsations de mon cœur et ma propre voix qui supplie le bon Dieu, s'il y a en a un, de me rendre Abbie. De la ramener.

Toutes les babioles volent autour de moi, atterrissant ici et là. A l'aide de mes mains que je place de part et d'autre de l'écran plasma, j'arrache ce dernier du mur et le jette de l'autre côté de la pièce. Mes poings s'enfoncent dans chaque mur, mes phalanges sont rouges de sang, violacées à certains endroits, malmenées. 

Je peux le sentir dans mes veines. Je peux le sentir couler, remplaçant mon sang, je peux le sentir me brûler de secondes en secondes. Et vous, vous pouvez le sentir ? Le feu qui me consume ? Je deviens fou. Vous pouvez le voir ? Je me perds. Le feu. 
Abbie Warkley. Abbie Boyd. 

Je veux faire cesser la douleur atroce qui assaille mon putain de cœur. 
- Pourquoi ? demande-je en fixant le plafond. Putain, pourquoi ? 
Les mains dans les cheveux, je tire sur les extrémités de ces derniers, serrant puissamment les mâchoires pour ne pas craquer plus encore. 
- J'ai tué ! J'ai volé, j'ai menti ! Mais je n'ai jamais brisé un putain de cœur ! Alors pourquoi briser le mien ? Pourquoi me réduire à néant ? C'est un jeu ? Un putain de jeu ? hurlai-je. 
Merde ! Mon coeur, ce putain de coeur, il me fait... mal. Vraiment mal. 
Abbie est partie. 

Abbie s'est enfuie sans un regard, Abbie s'est barrée pour ne plus jamais se retourner. 
Je peine à respirer correctement. Genre, je suis essoufflé. J'ai mal. Je tombe à genoux. 
Et, comme la putain de lopette que je suis devenu, je me mets à chialer. 
Et merde ! Je deviens fou. Littéralement. Je me suis totalement perdu.
Pourquoi ça fait aussi mal, putain ! 

Le regard perdu dans le vide, j'écoute mon monde partir à la dérive. J'écoute les pulsations de mon cœur, j'écoute mes propres putains de bruits de gorges accompagnés de larmes s'échapper de mon être. 
J'écoute des pas dans le couloir. J'écoute sans écouter, à vrai dire. Je suis dans un état second : Je ne suis plus moi. Je ne suis que l'ombre de moi-même. Je suis ce que j'ai toujours refusé de devenir : un type brisé.
Mon regard tombe sur mes phalanges. Mes yeux se fixent sur les lettres tatouées, et mon cœur brûle encore plus fort dans ma poitrine, battant extrêmement fort.
S A V E H E R 

Je l'ai perdue. Je l'ai sauvée pour la laisser filer. Je l'ai sauvé pour qu'elle me brise le cœur. 
Putain, tout est de ma faute. Tout est de ma faute ! 
Ça peut paraître ordinaire, une rupture amoureuse. Un cœur brisé est une chose que tout le monde connaît au moins une fois dans sa vie. Mais moi, je... je ne peux pas le supporter. Je refuse. C'est tout bonnement inacceptable, je ne peux pas me morfondre. 
Il y a un moment pour tout, et le moment de s'apitoyer sur son sort doit se terminer, aussi douloureux que cela puisse être, au risque que je m'enfonce plus que ce n'est possible dans les abysses de mon âme.  

Difficilement, je pose un pied à terre et force sur ma jambe pour me relever. La douleur dans ma poitrine ne cesse pas, et ça commence à sérieusement me gonfler.
Comment peut-on sérieusement continuer à vivre normalement en aillant aussi mal, sérieusement ? Dites-moi qui est l'enculé qui a inventé la douleur, et je vous jure de le brûler vivant. 
J'ai l'impression d'être inutile. D'être un corps sans âme, d'errer dans la noirceur de la tristesse. Ma gorge est serrée, j'avale difficilement ma salive, une grimace sur le visage.

La poitrine comprimée, je m'apprête à entreprendre de ramasser la photo d'Abbie au cadre brisé sur le sol, trouvée sur internet et encadrée par ma mère avant notre arrivée, lorsque des coups se font entendre sur ma porte de chambre. 
- Je ne veux personne ici ! Dégagez ! vocifère-je en grimaçant, essoufflé par les sanglots que je viens de lâcher.

La porte s'ouvre violemment, me faisant presque sursauter. La poignée de cette dernière part s'enfoncer directement dans le mur, trouant celui-ci sans peine. Mes yeux s'arrondissent, une rage me gagne instantanément, mais ma colère n'est que de courte durée car le visage d'Abbie apparaît devant mes yeux.
Mon cœur fait un bond de trois mètres dans ma poitrine. 
Merde. Est-ce que Dieu existe ? Il a vraiment entendu mes prières ? 

Les yeux de ma brunette se baladent sur le bordel dans la chambre, son air inquiet ne m'échappe pas. Sa poitrine se lève et s'abaisse rapidement, signe qu'elle est essoufflée. Elle a couru ? 
On s'en fou, me siffle ma conscience. Elle est revenue !

Après plusieurs secondes, ses yeux reviennent à moi. Je fais un effort considérable pour ne pas me jeter sur elle, par peur de la brusquer ou de l'effrayer.
Elle fait un pas en avant. Un seul. Pas plus. Nous sommes à deux mètres l'un de l'autre, et pourtant j'ai l'impression de la sentir tout contre moi. Son regard parle pour elle, trahissant son silence. 
Elle est triste. Brisée. Ses yeux sont rougis, et j'imagine que les miens le sont tout autant.

- Je refuse d'abandonner.
Nouveau bond pour mon cœur. 
- Quoi ? demande-je, surpris. 
- Je refuse de nous abandonner, déclare-t-elle, sûre d'elle. Je refuse d'avoir peur de toi, d'accord ? Si tu veux gouverner le monde du crime, gouverne-le. Si tu veux tuer, voler, mentir et commettre plus de pêché que de raison, c'est ton choix, que grand bien te fasse. Je ferme les yeux, Connor, sur tout. Je ferme les yeux parce que... 

Abbie reprend son souffle et avance d'un pas de plus. L'expression déterminée dans son regard change soudainement, laissant place à la crainte.
Une forte crainte, qui me fout des frissons. Mon cœur bat vite et fort dans ma poitrine, j'ai envie qu'elle se taise. J'ai envie de l'embrasser, de la prendre et de...

- Parce que je t'aime, lâche-t-elle comme une bombe en éclatant brutalement en sanglot. 
Il me faut quelques secondes pour encaisser ses mots. Je reste bouche bée. Les poings sur son cœur, elle continue d'une voix tremblotante : 
- Je ne peux pas être loin de toi, Connor... je n'y arrive pas. Je ne veux pas te laisser. 
Mon cœur se brise dans ma poitrine, je fonce sur Abbie et la prend dans mes bras. Je l'entoure de mes membres et la serre fort contre moi, étouffant ses sanglots. 
- Je t'aime tellement, sanglote-t-elle. Tellement. 

Une larme roule au coin de mon œil, coulant sur les cheveux d'Abbie. Celle-ci relève la tête, et le désespoir que je lis dans ses yeux ne fait qu'accentuer la douleur qui stagne dans ma poitrine. Son regard se plonge instantanément dans le mien, ma main vient se glisser sur sa joue et mon pouce essuie ses larmes dès lors que l'une d'elle atteint la paume de ce dernier. 

- Bon Dieu, souffle-je en collant mon front contre le sien. 
Une grimace vient se former sur mon visage.
- Tu n'as pas idée de la force de mon amour pour toi, Abbie, lâche-je dans un souffle. Je ne veux pas que tu aies peur de moi. Je ne veux pas que tu aies peur de ce qui m'entoure et de ce qui t'entoure désormais, parce que... Parce que je serais toujours là pour surveiller tes arrières. 

Ses lèvres trouvent les miennes dans un baiser si doux et profond qu'il suffit à terrasser ma douleur d'une seule traite. Incroyable, me dis-je silencieusement. Je n'y croirais presque pas...
- Parce que je donnerai ma vie pour la tienne, termine-je entre deux baisers.
Les épaules d'Abbie s'affaissent sous le poids de mes mots, et je peux voir le soulagement dans ses yeux. Mon cœur, lui, est plus apaisé que jamais. Il n'est désormais qu'un organe vital, et plus un appareil de torture conçu pour me faire perdre les pédales.

Mes paroles n'en sont pas que. Ce ne sont pas que de vulgaires mots, car c'est la vérité. A cet instant, plus que jamais, je sais que je prendrais une balle pour elle. Je sais que, sur mon lit de mort, c'est son visage que je voudrais voir en dernier. Je sais que sa voix est la seule mélodie que je veux entendre chaque jour de ma vie, je sais que je ne veux qu'elle, pour le restant de mes jours.

Parce que je n'ai jamais trouvé l'amour jusqu'à maintenant. Parce que je ne l'ai pas cherché. Parce que ce foutu destin, que je remercie désormais, m'a fait rencontré l'amour de ma vie. Parce que, maintenant, je suis certain d'une chose : je mourrai un jour ou l'autre pour elle. 
Dans mon monde, il n'y a aucune place, même infime, pour l'amour et ce qu'il a à apporter. J'ai décidé de déroger à la règle, et cela me mettra en danger tôt ou tard.

Mais pourquoi me soucier du prix à payer quand je sais que j'aurais, pendant très longtemps, Abbie à mes côtés ? La mort n'est rien à côté d'elle. 




Bad Boyd - Remember | T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant