Chapitre 15

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« Maintenant la Fortune est maîtresse de moi,

Et mon cœur qui soulait être maître de soi,

Est serf de mille maux et regrets qui m'ennuient. »

Joachim Du Bellay, Les Regrets, « Las, où est maintenant ce mépris de Fortune ? »

- Je suis heureuse que tu m'aie accompagné ce soir mon amour, murmura Diana à l'oreille de son amant, y ajoutant un tendre baiser sur le lobe de cette dernière.

Alexei grogna une phrase inintelligible, pas le moins du monde intéressé par son amante. Il devait se présenter obligatoirement aux deux dernières soirées de l'arène. Il n'avait jamais compris pourquoi mais c'était ainsi. Il soupira et posa ses mains sur ses genoux croisés.

Il regarda les tribunes, noires de monde. Quelques torches étaient disposés autour de l'arène, sur le grand mur, créant des zones d'ombres et de lumières sur le sable fin. Le présentateur ouvrit la vingtième soirée et quand le petit groupe de combattants entra, il cessa d'écouter, relayant les bruits de clameurs, la voix du présentateur et les applaudissements, le silence s'installa. Doucement d'abord, puis total. Plus rien n'existait autour de lui que cette chevelure de sang. Seuls les battements de son cœur résonnaient dans ses oreilles.

La cloche retentit avec force, le tirant de ses rêveries. Claé tourna la tête vers Ismaël et, d'un regard entendu ils fondirent sur les champions. Elle avait abandonné son fouet pour des raisons pratiques. Ismaël lui avait conseillé de ne prendre que le nécessaire, elle trouverait d'autres armes sur le corps des morts.

Alexei ne les lâchait pas du regard, au plus grand plaisir de Diana qui pensait avoir réussi à intéresser son amant aux jeux d'hiver. Elle hurlait les noms des nouveaux champions. Et, pour la première fois dans l'histoire des arènes, pour une question de mode et de couleur, Diana hurla le nom d'un combattant, ou plutôt, d'une combattante.

- Némésis ! Némésis !

Claé, en entendant le surnom que lui avait attribué Diana il y a de cela quelques jours soupira. La déesse vengeresse des anciens peuples. Comme si l'idée de vengeance lui venait en tête. Tout ce qu'elle voulait c'était qu'ils arrêtent cette guerre ou que les sorcières la gagnent, elle ne supportait plus de voir des familles entières se faire tuer au combat. Des millions de femmes avaient déjà péris... La majorité des vampires voulant suivre l'exemple, tel des moutons de Panurge, s'exclamèrent d'une même voix suivant Diana, dont l'ego enflait.

Claé et Ismaël virevoltaient de toute part. Ne laissant que mort et sang sous leurs pas. Un couple de tueurs parfaits. Elle avait été surprise de cette osmose entre eux lors de la dix-huitième soirée. La sorcière aux cheveux de sang n'aurait jamais pensé qu'elle aurait pu combattre avec quelqu'un d'autre qu'elle-même sans en être dérangée.

Les cheveux tressés d'Ismaël volaient derrière lui, ses yeux terre de sienne se reflétant sur la lame de son katana. Il glissait sur le sable, coulait telle de l'eau entre les assauts de ses adversaires, son corps se pliait avec grâce et précision sous les lames meurtrières des champions. Un champion aperçu qu'il était sous sa garde, il leva son épée et l'abattit d'un coup sec sur le bras gauche d'Ismaël qui roula à quelque mètres, le bras ensanglanté. Une ride de douleur vint se placer sur front basané.

Quatre champions, trois combattants dont Claé et Ismaël. Un coup de vent passa près deux alors qu'ils décapitaient un champion avec difficulté dû à la blessure d'Ismaël au bras.

Non, pas un coup de vent. Il n'y avait d'ailleurs qu'une légère brise, quoi que fraîche. Un petit garçon. Un enfant vampire aux yeux d'un rouge profond, et aux cheveux d'un blanc immaculé s'il n'y avait pas eu cette mèche, gris perle, au milieu de ses cheveux mi-long.

Ce dernier sauta, d'un seul bond qui parut ralentir le temps, il était à la hauteur d'un champion massif sans heaume. Il sourit grandement et enfonça ses pouces dans les orbites de l'homme puis disparu.

Claé et Ismaël s'étaient arrêtés pour voir cet enfant, d'une dizaine d'années tout au plus, rendre aveugle en moins d'une trentaine de secondes, un champion d'un mètre quatre-vingt comparable à une montagne. Le vampire hurla les orbites en sang, aussi noire qu'une nuit sans lune. Les deux compagnons se regardèrent et lui foncèrent dessus pour le finir pendant que les deux autres champions arrivaient en courant vers eux. Le petit était introuvable.

Ils sautèrent dans un ensemble parfait et au moment de pivoter ils frappèrent dans le vide à une quinzaine de mètres de l'endroit où ils étaient auparavant. Ils se rattrapèrent de justesse en pliant leurs genoux en posant leurs mains au sol.

Le champion était à terre. Découpé en trois morceaux, un V partant du milieu de ses clavicules jusqu'au bas de son ventre. Ils se tournèrent vers les deux autres champions qui arrivaient sur eux mais seul un était encore debout, le visage déformé par la frayeur. La mort se reflétait dans ses yeux.

A la fin du combat, le présentateur, surprit par un tel exploit annonça encore la victoire des prisonniers sur les champions. Claé chercha le petit des yeux mais ne vit rien d'autre que des cadavres et Ismaël. Son compagnon d'arme faisait de même, tentant de trouver où était cet enfant qui leur avait sûrement sauvé la vie, tout en exerçant une pression sur sa plaie. Ce fut d'ailleurs lui qui le vit en premier, perché à trois mètres de haut sur le mur de pierres séparant l'arène des tribunes. Il balançait ses pieds dans le vide en chantant. Il releva le regard vers Ismaël, lui sourit et s'évapora dans un petit nuage de poussière... pour reparaître à ses côtés, la main dans celle, étourdie, du guerrier.

Alexei se leva avec élégance de son fauteuil, balaya la foule d'un regard puis s'arrêta sur le trio au milieu du sable souillé. Il détailla cet homme carré et musclé proche de la jeune femme aux cheveux écarlates, et de l'enfant semblable à un ange de la mort. Du sang perlait de sa bouche fine et tâchait sa tenue de combat. Un ange de la mort, exactement.

Le roi les fixa, les secondes s'égrainaient et Ismaël se tendait. « L'attente d'un roi pour une exécution ou une sauvegarde pour le prochain combat ne durait jamais aussi longtemps à moins qu'il décide de nous tuer ». Il soupira lourdement quand Alexei Wladrofshka leva son pouce vers le ciel.

Les combattants sortirent pour rejoindre les cellules après un bon bain et des vêtements propres comme à chaque fois qu'ils gagnaient.

Claé contempla l'enfant aux cheveux immaculés. Qui était-il ? Pourquoi était-il là ? D'où lui venait ces pouvoirs étrangement puissants ? Ses questions cessèrent quand deux rubis se posèrent sur elle. Un regard profond, l'accès à son âme, jalonné de mort, de peur, de hurlements, de sang... Ce n'était pas la vie d'un enfant de dix-ans.

Il s'approcha d'elle et murmura « Anima liberato ».

Obsession ◊•Tome1•◊ (en correction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant