10c : DEUX ANS ET QUATRE MOIS (3/5)

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1er janvier 1942

Me lever. Prendre une douche. M'habiller. Dire bonjour à ma famille. Retourner au lit. Pleurer.

Voilà à quoi se résument mes journées depuis qu'il est parti. Au début je restais optimiste, mon père avait dit que la guerre ne durerait pas longtemps, alors à quoi bon paniquer ? Il était sûrement parti pour deux ou trois mois, puis il reviendrait sain et sauf et je pourrais le prendre dans mes bras, et ne plus le lâcher.

Mais, comme vous l'avez deviné, ça ne s'est pas exactement passé comme cela.

Ma mère s'occupe de moi, m'apporte de la nourriture au lit, parfois elle reste juste là, à me serrer dans ses bras. Sa présence m'apaise un peu, et me permet parfois de me rendormir sans cauchemars.

Toutes les nuits, je fais le même cauchemar en boucle. Il me regarde en pleurant, me dit qu'il m'aime avant de se prendre une balle en plein coeur. Ou en plein front, ça varie. Et toutes les nuits je me réveille en hurlant, et maman arrive. Après quatre mois à faire ces cauchemars, j'ai du lui avouer la vérité. J'étais tombé amoureux d'un homme parti à la guerre. Et j'avais l'impression de mourir en même temps que lui, comme si ses blessures pouvaient m'atteindre. Après ces révélations, ma mère a juste sourit, et m'a dit qu'elle m'aimait, que tout allait bien se passer.

Deux ans après je prie toujours pour que ce souhait se réalise.

----------------------------------------il y a deux ans et sept mois--------------------------------------

Je me suis directement senti de trop lorsque je suis entré chez Louis. Il s'est arrêté une fois la porte ouverte, alors que nous chuchotions, et je ne suis pas passé loin de me prendre son épaule dans les dents puisque j'étais assez collé à lui. Puis j'ai suivi son regard et ai vu une masse sur leur canapé. Louis s'est tourné vers moi, et j'ai senti que son regard voulait me passer un message, mais quoi ?

La forme sur le canapé s'est relevée, et je me suis rendu compte que c'était en réalité un homme. Son père. Il avait dû remarqué notre position ambigüe, puisque ses yeux sont devenus noirs. Il empestait l'alcool à plein nez.

"Vas-t-en ! me chuchota Louis en me poussant vers la porte. S'il te plaît sors !"

"Mais... Je..."

Je n'aime pas ne pas comprendre. Alors je suis resté derrière lui, en lui demandant pourquoi. Si j'avais su je l'aurais écouté.

"Eh bien fils, tu ne présentes pas ton ami à ton cher père ? A moins qu'il soit plus qu'un ami évidemment." lança son père, méprisant

"Harry sors, vite, je ne veux pas que..." commenca Louis.

Tout s'est passé très vite. Son père l'a empoigné par le col, m'a poussé dehors et a claqué la porte. J'étais encore à terre, la chute m'ayant entrainé sur le sol, quand je l'ai entendu crier. Cri. Verre brisé. Cri. Meuble renversé. Cri. Silence. Et je n'ai rien fait. Je suis resté là, paralysé, sans avoir le courage de lui venir en aide. Ensuite je suis parti en courant à la maison, en pleurs.


J'ai brisé un miroir ce soir là. En hurlant que j'étais un lâche. Heureusement la maison était vide, et quand ma mère m'a demandé ce qu'il s'était passé j'ai menti. "J'avais un livre dans la main, j'ai glissé et voilà". Elle ne m'a pas cru mais n'a rien dit.


Les jours suivants ont été assez calmes. J'allais en ville dès l'aube et ne repartais que vers 19h, dans l'espoir de croiser Louis. En vain. Et puis, j'ai eu l'idée de retourner chez lui.

Je me suis posté derrière un arbre dès cinq heures du matin, et j'ai attendu que son père s'en aille, soit sur les coups des six heures trente. Je m'en souviendrais, pour les prochaines fois. Si prochaine fois il y a. Dès que son père est sorti je suis allé frapper à la porte, le regard baissé sur mes pieds, triturant mes doigts. Il n'est pas venu ouvrir. J'ai attendu dix minutes devant cette satanée porte, mais rien. J'aurais pu abandonner, mais mon plus gros défaut est d'être têtu, alors j'ai fait le tour de leur petite maison et mon regard s'est posé sur un arbre assez haut pour que j'atteigne une des fenêtres ouvertes.

Deuxième plus gros défaut ? La maladresse. Moi qui voulait être discret, c'est râté. A peine la fenêtre passée je me suis écrasé dans ce qui semblait être une chambre. Au vu du bruit, cela ne m'étonnerait pas que les voisins débarquent en appelant les autorités. Mais en entendant un rire cristallin au dessus de ma tête je me suis immédiatement calmé, et ai relevé les yeux, me plongeant dans deux iris couleur océan.

"Eh bien pour la discrétion on repassera Haz !"


"Haz". Que ça sonne bien quand ça sort de sa bouche. Des papillons que je connaissaient pas prennent vie dans mon ventre. Même si ce n'est qu'un surnom.

Ces papillons se calment d'un seul coup quand je regarde son visage en entier. Des bleus sur sa peau de porcelaine me brisent le coeur. Il a touché à son fils. Il l'a battu. Il a touché MON Louis. (Oui parce que maintenant, plus question de fuir ce que je peux ressentir même si tout cela me semble rapide.) Tout ce que j'arrive à dire est :

"Depuis quand ?"

"La mort de ma mère. Pour des raisons plus bêtes les unes que les autres. Mais je m'y suis habitué maitenant." Dit-il avec de la résignation dans la voix.

Alors, je fais ce qui me semble logique : je le prends dans mes bras. Tous mes sentiments passent dans cette étreinte, que ce soit la colère, ou l'attachement. L'attirance. La peur. L'amour naissant.

"Harry, je vais bien. Ne t'en fais pas."

Bien sûr je n'en crois pas un mot mais décide de ne pas le contredire.

"Ca me fait plaisir que tu sois venu. J'avais pas le courage de sortir pour l'instant, désolé amour."


Amour. Il veut me tuer. Littéralement.


Nous avons passé la journée à discuter, et à apprendre à se connaître. Je sais maintenant pour sa mère et le bébé, la chute de son géniteur, ses craintes, ses angoisses. Il sait pour l'absence de mon père, mes doutes, mes peurs. Mais toutes les bonnes choses ont une fin, et quand l'horloge sonne seize heures, je me décide à partir. Je n'ai rien mangé de la journée et mon ventre me le fait remarquer.

"Lou, je vais devoir y aller, en plus j'ai rien mangé depuis hier soir..."

"Oh non... Je voulais profiter de toi encore un peu..." grogne-t-il.

Le regard dans le vague, il semble réfléchir. Puis ses yeux s'illuminent, et il redresse la tête.

"Viens on va faire un pique-nique ! J'ai ce qu'il faut et puis comme ça je ne serais pas là quand il rentrera... S'il te plaît Haz !"

"Bien sûr. J'adorerais. Mais, on va où ?"

"Je sais pour ça, tu vas aimer."


Et c'est comme ça que l'on s'est retrouvés à seize heures trente, en haut d'une petite colline, où l'on avait une vue imprenable sur tout le village. Tout était parfait. La petite nappe à carreaux. Le panier où l'on avait mis des fruits, des biscuits, des sandwichs, et de l'eau. Le paysage. Le garçon à mes côtés. Nos mains liées. Nos fous rires. Les instants où l'on se perdait dans les yeux de l'autre.

Puis naturellement, notre premier baiser. Doux. Lent. Amoureux.

La tête dans les étoiles, j'ai posé ma joue contre son épaule, et il m'a entouré de ses bras. C'était assez. Nous n'avions pas besoin de plus pour être sereins. Pour être heureux.

RECUEIL D'OS • LARRY STYLINSON •Where stories live. Discover now