𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐈𝐈𝐈

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     Nos regards se confrontaient. J'arrivais à soutenir ce regard qui était dur et menaçant. Cependant, je n'avais pas le droit de prendre peur, il était bel et bien enfermé et aucune solution ne s'offrait à lui afin qu'il puisse s'enfuir. Même s'il paraissait suffisamment malin pour imaginer un quelconque plan pour prendre la fuite dès qu'une occasion se présentait, en ce moment, ce n'était pas le cas. Je me disais alors qu'étant donné que le prisonnier était assez lucide, je pouvais en profiter pour l'interroger. Mais il fallait que je m'y prenne de la bonne façon et que je réfléchisse bien à ce que je devais dire.

"Faites-vous réellement partit d'un gang ? demandais-je sans hésiter."

     J'avais comme l'impression que son sourire en coin s'étirait suite à ma question. Comme si j'avais éveillé quelque chose ou que comme par magie, je lui avais rendu l'énergie qu'il avait perdue en arrivant ici. Je ne l'avais pas remarqué avant, mais il avait une sorte de cure-dent dans la bouche. Il ne cessait de jouer avec et d'ailleurs, j'ignorais où il avait pu se le procurer.

"Depuis quand est-ce que vous avez pris la relève de ce putain d'interrogatoire ? cracha-t-il."

     Je m'attendais à ce que ça ne soit pas facile. Il était normal qu'il ne me fasse pas confiance. D'ailleurs, c'était réciproque. Qu'est-ce qui me garantissait que les réponses qu'il serait susceptible de m'apporter allaient être vraies ? Un frisson me parcourut l'échine, alors je croisais les bras et baissai la tête. Fixant mes pieds, je réfléchissais à un moyen de le faire parler. Peut-être que je devrais dire le peu de ce que je savais déjà à son propos. Cela le forcerait sûrement à m'en dire plus. Mais je n'étais pas optimiste.

"Bien. Je me suis renseignée à votre égard. Vous faites bien partie d'un gang. Mais quel est votre but ? Pourquoi mon père vous à capturer ?

Qu'est-ce que cela peut bien vous faire ?

J'essaie juste de comprendre. Répondez. Sinon un mot à mon père et vous pouvez être sûr que d'ici ce soir vous serez mort, menaçais-je."

Mes propres paroles me choquèrent. Jamais je n'ai parlé à un individu de cette façon. Même s'il était mauvais. De nouveau, je le regardais. Il ne semblait même pas impressionné par mes menaces. Et pourtant, mon père saurait les mettre à exécution. J'avais le sentiment que cet homme n'avait pas peur de la mort. S'il pratiquait des activités similaire à celles de mon père, de ce que j'ai pu découvrir, la mort il la frôlait plus souvent que ce que je ne pourrais croire.

Alors que je gardais mon sérieux, lui se mettait de nouveau à ricaner, comme si je venais de dire quelque chose de complètement hilarant. Pour un homme comme John Shelby, ça devait beaucoup y ressembler, puisque son visage devint tout d'un coup grave. Il semblait furieux.

"Sachez qu'on ne joue pas et qu'on ne menace pas les Peaky Blinders."

     Peaky Blinders ? Alors, c'est ça le nom que porte ce gang ? Je me demandais bien ce que ce nom pouvait signifier. En général, une mafia ou un gang choisissaient leurs noms en fonction de la particularité de leur groupe ou de leur façon d'agir en tant que tel. J'espérais découvrir la leur très bientôt. Mais pour le moment, la seule chose qui me préoccupait, c'était d'avoir les réponses à mes questions et peu importe le temps que cela mettra. Je savais être patiente et je savais que mon père ne le relâcherait pas de sitôt, tant que lui-même n'aura pas eu ce qu'il voulait. Il y avait d'ailleurs une chose que je devais apprendre auprès de mon père. C'était de connaître ses intentions et l'objectif pour lequel il semblait se donner tant de mal à atteindre.

Alors que je sortais de mes pensées, je remarquais que John Shelby ne semblait plus d'humeur à discuter ou à répondre à mes questions. Sans que je m'en rende compte, il s'était de nouveau assis contre les barreaux de sa cage. Pour un homme enfermé depuis maintenant quelques jours, il me semblait étonnement patient. Il me paraissait à peine plus âgé que moi. Alors que je venais d'avoir 20 ans, à lui, je lui donnais trois ou quatre années de plus. J'en déduisais qu'il avait dû participer à la Grande Guerre. D'où le fait que je trouvais qu'il avait une très bonne maîtrise de lui-même. Les deux fois où je suis venue lui rendre "visite", jamais il ne m'a hurlé de le libérer alors qu'il aurait très bien pu profiter de mon jeune âge et de mon statut de femme. Mais après tout, tous les hommes ont participés d'une façon ou d'une autre à ce conflit mondial qui a fait des ravages absolument partout. Que ce soit dans les villes, au sein des familles ou même dans la tête des soldats.

Il était donc temps de remonter et de mettre fin à ce qui ressemblait à un interrogatoire pour aujourd'hui. J'avais envie de faire autre chose. J'avais envie, ou même besoin, d'apprendre à connaître cet Angleterre, Birmingham et me familiariser avec ce que voyait tous les jours ce gang des Peaky Blinders. Éventuellement, je pourrais remarquer des éléments, des détails qui pourraient être utiles à mon père. Mais que dirait-il s'il apprenait que je fourrais mon nez dans ses affaires ? Normalement, je devrais avoir le nez dans mes livres. Actuellement, à l'université, j'étudiais la littérature et les arts. Je ne savais pas vraiment à quoi cela pourrait me servir à l'avenir, puisque j'étais persuadée que mon père me demanderait de reprendre la partie légale de l'empire familial. C'est-à-dire, le commerce de masse en vin. Il paraît que mes grands-parents maternels envoyaient des caisses de leur vignoble du sud de la France. Malheureusement, je ne savais pas grand-chose sur eux, ni même sur ma mère.

Alors que je revenais du sous-sol, je me dirigeais directement dans le grand salon. Par chance, encore, mon père revenait de l'extérieur. Apparemment, il se prenait de passion pour les courses hippiques. J'ignorais d'où lui venait cette nouvelle lubie, mais il avait l'air déterminé à gagner chacune de ces courses. Peut-être qu'il essayait de se trouver une sorte de passe-temps en dehors de son travail. Enfin, un des aspects de son travail. Dès qu'il me vit, il vint vers moi et m'embrassa sur chacune de mes joues. Comme à son habitude, il admirait ma coiffure, ma tenue, tout en disant "Ma che bellezza* !".

"Père, j'aimerais vous demander la permission pour aller en ville.

Dans quel but ma fille ? Il y a tout ce dont tu as besoin ici ! disait-il en désignant l'ensemble de la pièce, Tu n'as pas besoin d'aller dans cette ville remplie de voyous !"

     Au moment où je m'apprêtais à insister, une voix forte et imposante se fit entendre à l'entrée du manoir.

"Benedetto ! Farabutto, où es-tu ?"

     Escorté par l'un des hommes de main de mon père, l'un de ses plus fidèles amis fit son entrée dans le salon. Mon père, heureux de le voir, allai l'accueillir les bras grands ouverts. Les deux se firent une accolade tout en riant de leur retrouvaille.

"Mon cher Emilio, quel plaisir de te voir ici, déclara mon père, J'espère que tu as fait bon voyage. Les domestiques vont te préparer la meilleure chambre."

     Emilio remercia mon père de son hospitalité avant de se tourner vers moi. Je dus subir la même salutation ainsi qu'une vague de compliments.

"Quelle femme tu deviens Giuliana ! C'est fou comme tu ressembles de plus en plus à ta mère, la belle Madeleine. Pas vrai Benedetto ?"

     En regardant mon père, lorsqu'Emilio prononça le prénom de ma défunte mère, je pus lire la tristesse dans ses yeux. Mais sa bouche trahissait la colère qu'il ressentait. Une colère qu'il cachait profondément en lui, mais qui sans le moindre doute pouvait exploser à tout moment. Une fois de plus, je comptais reprendre la discussion là où elle s'était arrêtée avant que l'ami de mon père arrive, mais je fus coupée dans mon élan.

"Bien, maintenant que tu es là Emilio, nous allons pouvoir travailler.

Plus vite cela sera fait mon ami, plus vite nous rentrerons en Italie ! proclama Emilio.

Giuliana, ajouta mon père, Va en ville, mais laisse Federico t'accompagner. Je n'ai pas confiance en ces Anglais."

     En effet, cette méfiance n'était pas difficile à discerner. Je n'étais pas enchantée à l'idée d'avoir un chaperon, mais je m'y attendais. Alors je ferais avec. Je supposais que ce détail n'allait pas m'empêcher de discuter avec quelques personnes de Birmingham dans le but d'en apprendre plus sur les Peaky Blinders et John Shelby, un homme qui pour moi renfermait bien des mystères.

Mon père emmena Emilio en dehors du salon, prétendant devoir lui montrer quelque chose. Je me doutais bien que ce quelque chose était le reclus. J'évitais de me mettre en tête des idées de ce qu'ils pourraient bien faire de John Shelby. Mon père l'avait peut-être capturé pour des raisons que j'ignorais encore et que je comptais bien découvrir. Cependant, il s'agissait encore d'un être humain, la torture ne mènera à rien. Surtout, s'il avait face à lui, un homme qui avait connu bien des choses pires que la torture et qui ne flanchera pas.

Une fois que je fus prête, je me mis en route vers Birmingham et j'espérais revenir avec des réponses qui pourraient sauver plus d'une vie.

*prononcé en italien

Dans les yeux d'un Shelby || Tome I (en réécriture)Όπου ζουν οι ιστορίες. Ανακάλυψε τώρα