𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐗𝐈

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     John m'avait raconté beaucoup de choses en l'espace d'une petite heure. Je l'avais simplement écouté, sans jamais l'interrompre. Mon corps s'était habitué au froid de cette pièce et j'avais presque oublié l'inconfortable sol sur lequel j'étais assise. Lorsque nos regards restaient ancrés un peu trop longtemps à mon goût, je baissais la tête, trop intimidée par l'intensité de ses yeux bleus. Je changeais parfois de position. Tantôt, ma colonne vertébrale était appuyée contre les barreaux, tantôt, c'était mon épaule qui prenait le relais. Plusieurs fois, j'avais songé qu'il serait mieux de poursuivre notre conversation dans le salon, près du feu. Si seulement cela avait été possible. Je regrettais amèrement la position de John dans cette affaire et la façon dont il l'avait évoqué, me faisait comprendre que c'était le cas pour lui aussi.  

"Il faut qu'on découvre le fin mot de cette histoire, m'annonça-t-il, Avant que je parte."

     J'étais complètement d'accord avec lui. Mais c'était plus difficile qu'à faire. Surtout si j'étais seule à mener l'enquête. John ne pouvait absolument rien faire à part attendre. Toutefois, je me doutais bien que c'était assez dur pour lui de rester ici, donc, je n'allais certainement pas le lui reprocher. Cela se voyait que c'était un homme fait pour l'action, loin de rester les bras croisés à attendre que ça se règle comme par enchantement. Sauf quand la situation l'empêchait de faire le nécessaire. En le regardant, je le voyais sur son visage qu'il était presque désolé de ne pouvoir rien faire. Il ne lui suffisait pas de me le dire, je le devinais bien assez.

"Je ferais tout mon possible pour obtenir le plus d'informations."

     John releva les yeux, plantant une nouvelle fois son regard dans le mien. Cette fois-ci, je décidai de le soutenir. De voir ce que cela me faisait de garder un certain contact visuel avec lui. Est-ce que j'allais ressentir quelque chose que je ne ressentais pas avec Federico ? Finalement, c'était à son tour de détourner le regard. Je sentais légèrement mes joues chauffer et mon souffle un peu court. Cependant, pour ne pas perdre l'intensité de ce moment, je tendis la main et pris la sienne. Les yeux rivés sur nos mains enlacées, nous étions incapables de dire quoi que ce soit. Comme si nous regardions quelque chose se construire malgré nous.

Le silence fut interrompu par le bruit de la porte qui menait au sous-sol. Ce fut un bruit qui aurait donné à n'importe qui, un froid dans le dos terrible. J'ignorais ce qu'il se passait, mais je me levai dans une précipitation qui ne laissait pas à John le temps de réagir. Je fus à peine levé, que je me tournai vers les escaliers pour y découvrir Federico. Son visage était rouge de colère, je voyais qu'il serrait les poings pour contenir cette rage, qui ne demandait qu'à exploser. Je sortais de la cage d'un pas lent. Prenant le soin de bien refermer la porte à clé, afin que Federico ne puisse pas s'approcher de John. Je rangeai alors la clé dans mon gant, mais Federico était bien trop occuper à assassiner John du regard pour le remarquer. Alors qu'il commençait à reprendre possession de lui-même, laissant sa colère un peu de côté, Federico souffla un bon coup, afin d'engager le dialogue.  

"Je suis monté jusqu'à ta chambre afin de m'assurer que tu allais bien, expliqua Federico, Mais elle était vide. J'ai trouvé ça vraiment très étrange. Alors j'ai cherché les femmes chargées de s'occuper de toi et je leur ai demandé si tu étais montée."

     Il reprit une forte inspiration. C'était la première fois que je le voyais dans cet état. Pour quelle raison se mettait-il dans un état pareil ? Était-il blessé dans son orgueil ? Il était bien trop sûr de lui quant à un avenir tissé dans son esprit à mes côtés. Ce n'était qu'une illusion. Un fantasme dont il ne pouvait se défaire puisqu'il était trop tard pour y songer aujourd'hui. Son seul objectif était de m'avoir. Voilà pourquoi il était tant en colère.

"Après ce renseignement, j'avais peur que tu sois partie pour essayer de retrouver ton père et Emilio. Après mûres réflexions, je me suis dit que c'était impossible. Tu ne t'aventurerais pas seule la nuit, sans savoir où chercher. Mais j'aurais préféré ça plutôt que de te trouver avec ce criminale."

     Incapable de répondre la moindre chose pour le moment, je me tournais un instant vers John. S'il avait des fusils à la place des yeux, Federico serait mort. Il n'appréciait pas la façon dont il me parlait et comment il le traitait. Je devinais qu'il regrettait de ne pas être en dehors de cette cage, mais cette affaire concernait uniquement Federico et moi-même. Il fallait que je convainque Federico de ne rien dire à mon père lorsqu'il reviendrait et la dernière chose que je souhaitais, était que John se retrouve encore plus dans le pétrin.

Je tentais de me rapprocher de Federico, d'un pas lent, dans le but de ne pas trop le brusquer. Il avait besoin de se calmer. J'arriverais peut-être à le persuader de l'innocence de John et il m'aiderait ainsi à trouver la faille dans cette histoire. Tout cela devait s'arrêter. Alors que je m'avançais, si j'avais eu un drapeau blanc, je l'aurais volontiers agité, Federico m'attrapa par le bras. Ses yeux me scrutaient remplis de haine et sa main se refermait avec fermeté sur mon bras. Une légère grimace qui traduisait la douleur que cela me procurait, se lisait sur mon visage, ce qui n'échappait pas à John.

"Je te conseille de la lâcher, menaça John.

Ferme là. Tu es enfermé, contente toi de croupir dans ta cage, répondit Federico sur le même ton."

     John s'était rapproché des barreaux de la cage et je pouvais voir à la façon dont il les serrait qu'il ne souhaitait qu'une chose : tuer Federico. Je tentais désespérément par des signes de tête, de lui faire comprendre qu'il devait arrêter. Mais il m'ignorait, préférant provoquer Federico.

"Rentre toi ça dans ta putain de tête, annonça John, Dès que je serais sorti d'ici, t'es un homme mort."

     Sans prendre la peine de répondre, bien qu'il ait entendu ces menaces de la manière la plus distincte possible, Federico qui ne m'avait pas lâcher, quitta le sous-sol, m'entrainant avec lui. Son emprise commençait à m'engourdir le bras, cette sensation était loin d'être la meilleure. Une fois que nous étions remontés, je le poussai de toutes mes forces qu'il s'éloigne de moi et me lâche enfin. Sans m'en rendre compte, des larmes coulaient le long de mes joues. J'étais terrifié par ce qu'il avait l'intention de faire.

Il me regardait avec dégoût et ce regard, je le lui rendais bien. De quel droit osait-il me traiter ainsi et s'en prendre à moi de la sorte. Mon père l'avait sauvé de la misère dans laquelle son propre père avait plongé sa famille. Grâce à mon père, il avait pu subvenir aux besoins de sa mère et de ses sœurs. Il avait pour objectif de veiller à ce que rien ne m'arrive en l'absence de mon père. Depuis toujours, je lui accordais une confiance intègre. Voilà, la façon dont il me l'a rendait. La façon dont il remerciait mon père.

"Qu'est-ce que ce chien t'a obligée à faire ?

Tu me parles de John Shelby ? demandai-je, Il ne m'a rien demandé. Je suis allée le voir de mon plein gré. Contrairement à toi, je n'ai subis aucune violence de sa part."

     Peu importe ce qu'il penserait de moi après tout ça. Ce n'était pas ce qui m'importait le plus. Fou de rage, il attrapa un verre et le lança contre un mur. Le bruit strident du verre qui éclata me fit sursauter. C'était la première fois que j'avais peur de Federico. Il était rongé par la jalousie.

"Tu ne vois pas que moi je suis amoureux de toi ? me demanda-t-il, Que je sacrifierais ma vie pour te protéger. Qu'espères-tu en te rapprochant cette pourriture d'Anglais ?

C'est ça qui te dérange ? Qu'il soit Anglais ? Tu es bloqué dans un fantasme Federico. À toi seul, tu t'es bâti un avenir qui n'a aucune chance d'exister."

     Mes mots étaient durs. J'en étais consciente et je ne prenais pas la peine de les peser. Il fallait qu'il comprenne. Je tenais à lui, mais je ne me voyais pas partager le reste de ma vie avec lui. C'était un ami précieux. Ma plus longue amitié, je l'avais partagée avec Federico. Et en l'espace de quelques minutes, il avait tout balayé à cause de ses paroles, de ses gestes, de son comportement. Comme si, on l'avait écrite et qu'il avait décidé de l'a jeté dans un feu, qu'il n'avait cessé de nourrir au fil du temps. Il aurait pu éteindre ce feu et on aurait continué d'être de simple amis l'un pour l'autre. Cependant, il en avait décidé autrement. Seul.

"La seule pourriture que je vois ici Federico, c'est toi."


Dans les yeux d'un Shelby || Tome I (en réécriture)Where stories live. Discover now