12 | Connerie

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Je déglutis péniblement, appuyant plusieurs fois sur le bouton d'appel de l'ascenseur. Je sais ce que vous vous dites. Je suis au courant. Non, ça ne sert à rien. Il n'arrivera pas plus vite. Cependant je ne peux m'en empêcher car...

Putain de bordel de dieu de merde !

Voilà ce que moi, je me dis. Parce que ce que je ressens, à cet instant, dans ma poitrine... cette façon que mon cœur a de battre beaucoup trop rapidement... la manière dont mon souffle m'échappe... à quel point je peine à respirer...

Non !

Il n'est qu'à quelques mètres, sauf que je ne peux me résoudre à ce qu'il s'approche davantage.

— Laisse-moi Evan, supplié-je d'une voix tremblante.

Mon cerveau déconnecté me commande de fuir. Oui. Puisque cette émotion me submergeant tandis qu'il s'avance rapidement – silencieux et le regard sombre – c'est de la panique. Je suis affolée, terrifiée, terrorisée. C'est beaucoup de synonymes, je sais, mais j'ai besoin que vous saisissiez pleinement le contexte. Afin que vous compreniez – peut-être – la connerie que je m'apprête à faire. Parce que je balaye les alentours, avisant une porte étant probablement celle des escaliers pour vous, donc mes jambes décident de me porter directement vers elle. De son côté, ma petite voix intérieure tente de me prévenir que...

Tu n'as ni gants ni ancre, Taylor ! Arrête !

En général je lui réponds et nous débattons, vous avez dû vous en rendre compte. Parfois, j'admets même qu'elle a raison. C'est le cas maintenant – d'ailleurs – hélas je ne suis guère en état de l'écouter.

Comment en suis-je arrivée là ?!

Je veux m'échapper. Par cette issue. Peu n'importe où elle m'amènera et s'il me faut prendre un taxi, un train, un bateau ou un avion – un vaisseau spatial, après tout qui sait – pour rentrer. C'est une porte somme toute des plus banales. Elle ne possède aucun signe distinctif, se fondant dans le décor du couloir de l'immeuble d'Evan. Elle va pourtant – elle aussi – changer le cours de mon existence. Que foutais-je là, vous demandez-vous ? Un peu de patience, je vais vous l'expliquer. J'imagine que vous avez compris que j'ai un problème avec elles. Puisque je ne suis jamais sûre de ce que je vais trouver derrière et que c'est effrayant, vous en conviendrez. Pourtant, aujourd'hui, j'ai bien plus peur de lui. Alors j'attrape la poignée en métal cuivré, commence à ouvrir...

Ne fais pas ça !

Je savais que cet homme était vif, néanmoins il vient encore de me le prouver. Ses doigts saisissent mon poignet à l'instant où je franchis le seuil, donc il le fait avec moi. Sans un mot, il plaque son autre paume sur ma nuque, me tirant entre ses bras. Ses lèvres rejoignent les miennes alors qu'au même moment, le soleil m'éblouie. Non. Nous éblouie. Ce qui est un putain de problème puisqu'il est est vingt-et-une heures trente deux à New-York, le deux décembre. Il rompt ce baiser qu'il vient de m'imposer pour lever la tête, interpellé par l'inhabituelle luminosité. Mais comprenez que je ne peux le laisser faire.

Non !

Attrapant son visage entre mes mains pour l'embrasser à mon tour, je profite de sa surprise – incapable de vous assurer s'il est déstabilisé par mon geste ou ce qu'il a vu, par contre – pour nous faire revenir sur nos pas. Le plaquant brutalement au mur, j'approfondis cette étreinte du bout de ma langue, claquant derrière moi. Je pense – suppose, espère – que j'ai limité les dégâts, réfléchissant à ce que je vais pouvoir inventer lorsqu'il me demandera des comptes.

Pourquoi en suis-je arrivée là ?!

Peut-être vous posez-vous la question aussi ? J'aurais peut-être dû commencer par le début de la soirée. Pardonnez-moi, je manque parfois logique. Encore plus maintenant que j'ai perdu pied. Je vais remonter un peu plus loin, car il s'est passé un mois depuis le dernier chapitre après tout. Il y a un point important que je veux vous révéler sans tarder, cependant. Je suis tombée amoureuse d'Evan. Ne dites rien ! Je suis au courant d'à quel point je suis ridicule. J'ai fait l'inverse de ce que je devais et c'est pour cette raison que je viens de faire la pire des bêtises. Ce n'est même pas ce baiser, mais d'avoir ouvert cette saloperie de porte sans protection.

Bref Taylor, enchaîne.

Hum hum.

Après qu'il soit passé au bureau – lorsque j'ai oublié mon tube de transport au bar – nous nous sommes vus plusieurs fois par semaine pour l'organisation express du mariage de Carly et Joshua. Le lendemain, j'ai choisi prudemment de dormir chez mes amis – prétextant que mes vertiges provoqués par mon injection d'Emaglity étaient trop intenses – afin d'éviter un tête à tête avec lui. Finalement le vendredi, c'est bien ! Enfin plus ou moins car là, ma tête a beaucoup trop tourné pour que je maintienne cette affirmation.

J'aurais dû refuser cette soirée aussi !

Oui. Sur le mois venant de s'écouler, nous ne nous sommes rencontrés qu'en journée, avec pour seul objectif la planification de l'événement du printemps. Et que voulez-vous que je vous dise de plus ?! À quel point il est adorable ? Drôle, peut-être ? Vraiment attentionné ? C'est inutile, je suppose sans peine que vous l'avez compris depuis pas mal de temps.

J'ai craqué, c'est tout.

Prise au dépourvu par ce charme déconcertant... tandis qu'il ne me draguait même pas ouvertement, j'ai glissé. Après une bouchée de gâteau qu'il m'a fait manger à la petite cuillère dans un sourire espiègle, curieux de savoir si j'allais préférer la pistache ou la noisette. Me faisant rire à en avoir mal au ventre dans un magasin de costumes, m'offrant le plus improbable des défilés de nœuds papillons excentriques jamais créés pendant que Josh, stressé, essayait le sien – de smoking, jamais de la vie je ne le laisserai porter un truc pareil. Effleurant mon oreille de sa barbe naissante en se penchant derrière moi pour comparer les polices de caractère pour le faire-part, cherchant avec une moue perplexe la différence entre bodoni et garamond. En ouvrant chacune des portes croisant notre route dans un regard compréhensif – parce que l'architecte lui a raconté – sans poser la moindre question indiscrète ni l'ombre d'un jugement. Grimaçant chez le fleuriste, le nez dans un bouquet de Lys blancs – de toute façon Lyly veut des gypsophiles. Validant chacune de mes propositions en me rappelant le conseil de survie de son cousin pour me faire râler, puis affirmant que j'ai un goût excellent. Pour toutes ces raisons là – et d'autres encore – je suis tombée. Ce n'était pas très grave au fond, puisque malgré tout je maintenais cette distance entre nous, m'accrochant quelque peu désespérément au malentendu au sujet de Wyatt. Car qu'importe mes sentiments naissants, le danger, lui, demeurait. L'inquiétude dans les iris de ma meilleure amie, elle, grandissait au fil des jours, des heures, probablement même des minutes que nous passions ensemble. Je l'ai rassurée à chaque fois qu'elle m'a attirée à l'écart pour une piqûre de rappel, prétendant que ça irait. Qu'une fois le mariage passé, cela me passerait aussi. Que l'euphorie de l'événement me grisait, trompant mes émotions autant que mes sens. Cet état impossible ne durerait en aucun cas. Ces sentiments n'étaient en rien réels. Je sais qu'elle ne pouvait me croire, puisqu'elle devine toujours tout. Mais je ne changeais pas de discours un seul instant, refusant chaque soirée en prétextant être indisponible. Arguant travail, dîner en famille ou quelques affaires privées en réalité inexistantes avec la complicité de Lyly. Pour me convaincre. Afin de ne pas être tentée de l'attirer à l'intérieur de mon immeuble s'il se trouvait à nouveau devant. Alors comment me suis-je retrouvée dans cette catastrophique situation ? Je vous le donne en mille.

Oui.

J'ai accepté cette soirée chez lui. Celle dont l'invitation a été envoyée par texto de façon décontractée, promettant un moment de détente entre potes avant le dîner de fiançailles guindé et officiel du lendemain. C'était une erreur. Une putain de folie que j'aurais dû fuir sans hésiter. Sauf qu'à chaque fois, je vacillais davantage. Carly – en déplacement professionnel jusqu'au lendemain – n'a pu être en mesure de me contacter pour me raisonner à temps. Tout bon sens oublié, j'ai rejoint l'adresse partagée, me glissant dans l'ascenseur. Devant le bon numéro – quelque peu nerveuse – j'ai frappé. Au bout du compte – ce n'est qu'une fois de plus après tout – ce qui se trouvait derrière la porte, lorsqu'elle s'est ouverte, était très loin de ce que j'avais imaginé.

***

L'autre côté de la porteWhere stories live. Discover now