23 | La ville rose.

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Toulouse. Ne me demandez pas comment je suis arrivée là, car les heures précédents ma venue dans le jardin des plantes de la ville rose sont on ne peut plus floues. Mon cerveau s'est clairement déconnecté à la seconde où j'ai compris que quelque chose était arrivé à Evan, donc Carly – égale à elle-même – a pris les choses en main. Qu'importe son désir de nous voir nous éloigner, ce qu'elle a lu sur mon visage l'a vraisemblablement emporté sur le reste. Sur la sécurité. La raison. Parce que je ne pouvais plus respirer, en réalité. À quoi bon tenter de me garder loin de lui si cela devait me tuer ? Car avant même qu'elle n'ait parlé, sans que je ne sache encore ce qu'il s'était passé, j'avais déjà une paume plaquée sur ma poitrine, la couleur ayant quitté mes joues. Je cherchais désespérément mon souffle, la vue brouillée. Je ressentais la peur au-delà de toute rationalité. Et j'ai à peine entendu les paroles qui ont suivi, d'ailleurs. Travail... Balle... Bloc opératoire... Je ne suis pas du milieu médical, mais cela sonnait juste cataclysmique. Allait-il brutalement mourir alors que j'avais mis cette injuste distance entre nous ? Soudainement partir tandis que je lui mentais ? Me quitter le premier ? Mais d'une manière irréversible, irrévocable, implacable ? Ne le verrais-je plus jamais ? Alors la jolie brune m'a attiré dans le réconfort de ses bras en affirmant :

— Je réserve le premier vol, nous rentrons.

C'était de toute façon les seuls mots acceptables. Elle m'a trainé derrière elle jusqu'à notre chambre, a bouclé nos valises sous mon regard hagard, tout en maugréant vivement contre les compagnies aériennes affichant toutes complet jusqu'au lendemain. Au bout du compte, ses paumes ont attrapé mes joues, ses yeux ont longuement cherché à accrocher les miens, et tandis qu'elle échouait à établir un contact, elle a finalement dit :

— Nous allons prendre le train.

Là, j'aurais dû réagir n'est-ce pas ? Le voyage de Paris à New-York ne se fait clairement pas par voie ferroviaire. Mais je me suis contentée de la suivre, en état de choc, sans réaliser ce qu'elle préparait. Voilà pourquoi à dix-neuf heures onze, je me retrouve à côté du banc vert où ma meilleure amie m'avait expliqué il y a quelques semaines pourquoi je devais me méfier d'Evan. Parce qu'aussi charmant soit-il, il est aussi un agent du bureau d'investigation fédéral.

***

— Assieds-toi, me commande-t-elle avec cette fermeté qu'elle n'emploie que rarement. Je dois m'assurer que Joshua n'est pas à la maison.

Qu'est-ce que ça change ? Nous sommes de l'autre côté du globe.

Mais j'obéis quand même instinctivement, fixant mon attention éparpillée sur le sol. Le bout de mes chaussures joue quelques instants à dessiner des motifs dans le sable humide, puis je me redresse en entendant les éclats de voix d'enfants qui s'amusent. Je les contemple un instant en train de descendre un toboggan avant de regarder mes mains et de reconnaître enfin le bois coloré sur lequel elles sont appuyées. Donc quand je tourne la tête en me reconnectant brutalement au monde, je sais déjà ce que je vais voir. Cette porte là. Un peu à l'écart de l'aire de jeux, je suppose qu'il s'agit de celle d'une petite remise de jardinier dont la serrure cassée n'a visiblement toujours pas été réparée. Je ne peux qu'extrapoler car en réalité, j'ignore ce qu'il y a derrière, pour vous. Moi, c'est la salle de bain de mes amis que je vais y trouver. Je réalise que je suis dans le sud de la France, mais plus qu'à quelques minutes de lui.

Evan.

Saisissant ma valise sans être capable de me raisonner, je me lève et commence à m'avancer vers elle.

— Hey, Tay ! intervient Carly en m'interceptant à temps. Juste une seconde chérie.

Puis elle consulte et range son téléphone dans une moue satisfaite.

L'autre côté de la porteWhere stories live. Discover now