32 | Bête

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Il est parti sans se départir de son insupportable suffisance, me souhaitant un agréable week-end. Cynique. Froid. Sans pitié. Inhumain.

Va te faire foutre.

Cela étant dit, si j'avais su ce qui allait suivre, j'aurais sans aucun doute été plus encline à considérer son offre – juste le temps de sortir de là. Sauf je suis arrogante moi aussi et cela n'aura rien apporté de bon. Quoi que... à la réflexion, je ne suis pas sûre que mon comportement ait eu le pouvoir de changer quoi que ce soit. Je pense que même Fred n'aurait pu réussir à modifier les projets de l'agent du FBI, qu'importe combien il est talentueux – voilà une qualité que je ne peux lui enlever. Ai-je été naïve ? Il semblerait que je puisse affirmer que c'est le cas. Crédule. Idiote. J'ai stupidement laissé l'accusation d'espionnage industriel me soulager de ma crainte de voir mon secret éventé, ce qui était probablement...

Bête.

Est-il logique que je me traite d'imbécile quand bien même je n'aurais rien pu altérer ? Je veux dire, Thimoty Allen savait pertinemment ce qu'il comptait faire. Alors dois-je m'accuser d'être – en partie, peut-être – responsable ? Lorsque la porte s'est refermée après la sortie de Frédéric et que je contemplais à nouveau le miroir, drapée de l'attitude des Davis, de quoi avais-je l'air ?

Bête.

Je sais que vous vous posez des questions. Que votre envie principale est que j'en vienne au fait. Pardonnez-moi de tourner autour du pot, s'il vous plaît. Vous parler c'est admettre, en quelque sorte. Je ne suis pas encore prête. L'angoisse me tétanise, à cet instant. Mon cœur – à force de se briser puis de reprendre espoir – n'est plus que l'ombre de lui-même, me chuchotant qu'il n'en peut plus. Sûrement parce que je suis...

Bête.

Croyez-moi, c'est vraiment ce à quoi je ressemble. L'homme en costume sombre a refait son entrée quelques secondes plus tard puis lors de la minute suivante, la raison de la méfiance observée dans ses traits est devenue limpide. Faussement impassible, il m'a demandé de me mettre debout pour lui présenter mes poignets. J'ai d'abord levé un regard incrédule avant de comprendre enfin. La panique m'envahissant, je l'ai refoulée avec talent.

— Est-ce nécessaire agent Allen ? ai-je grondé, affichant ce port altier hérité de mon père.

— Procédure habituelle.

— Pourquoi maintenant ? ai-je insisté, feignant l'incompréhension.

En réalité, je savais. Je venais de prendre conscience que tout ce qu'il s'était passé jusque là n'était qu'une mise en scène. Une fausse excuse. Et de ne rien avoir vu venir... de m'être laissée bernée même si je n'aurais rien pu rectifier... je me suis trouvée...

Bête.

— Nous vous transférons dans un lieu plus adapté, mademoiselle Davis, a-t-il expliqué.

— Et vous pensez que me menotter est nécessaire ? Je suis architecte, non braqueur de banque ni tueur en série ! me suis-je agacée dans l'unique but de le provoquer.

Dis-le !

Mon cœur meurtri se fendant une nouvelle fois, je voulais qu'il avoue. Qu'il pose les mots que je devinais. Pour tout vous dire, le parfum amer de la trahison flottait à nouveau. Son âpreté avait empli la pièce, m'empêchant de l'ignorer. L'amertume dans ma bouche ne venait pas uniquement de la bile s'agitant au creux de mon estomac alors que je réfrénais nausée, peur, effroi. Jetant un autre coup d'œil à la vitre en pensant à Evan, je me suis sentie si...

Bête.

L'agent fédéral m'a fait le cadeau de couper court au suspense. Après que le cliquetis du métal froid placé sur ma peau se soit fait entendre... pendant que je maintenais le contact visuel en rassemblant les lambeaux de mon courage, m'accrochant désespérément à ma façade, mon jeu d'actrice... il a attrapé mon coude, m'entraînant dans ses pas. Sans violence, mais avec une fermeté accentuant le nœud présent dans ma gorge. Lorsqu'il s'est arrêté devant la porte, la contemplant silencieusement quelques secondes, j'ai refoulé mes larmes.

— Nous savons tous les deux avec quelle facilité vous pourriez vous enfuir, a-t-il lâché sans me regarder.

Heureusement qu'il ne l'a pas fait, d'ailleurs, car j'ai vacillé avant de me rattraper. Mes yeux m'ont trahie, sauf que personne n'aura eu l'occasion de le voir. Même si je ne pouvais plus respirer. Bien que la douleur m'ait foudroyée... j'étais droite. Et qu'importe à quel point je me semblais...

Bête.

— Je ne comprends pas comment je pourrais vous échapper, agent Allen, ai-je prétendu, affichant la plus belle mine ingénue que vous pouvez imaginer.

Il n'a pas répondu, se contentant de poser ses doigts sur la poignée avant d'ouvrir, me tirant pour me forcer à le suivre. J'étais incapable de réfléchir. Je pense aussi que d'une certaine façon j'étais brutalement résignée, voyez-vous ? Comme si la révélation de mon secret n'était nullement suffisante, j'avais aussi le cœur brisé. Il n'y a aucun hasard, n'est-ce pas ? Tomber amoureuse d'un agent du FBI... lui dévoiler cette capacité étrange par accident... Suis-je en droit de me demander s'il y a eu quelque chose de vrai entre nous ? J'ai envie de croire que oui, puisqu'il semblait s'intéresser sincèrement à moi avant l'incident stupide ayant conduit à l'explosion de la vérité. C'est ridicule, je le sais. De me raccrocher vainement à cet espoir qu'il n'ait pas été qu'indifférent. Car peu importe que je l'ai attiré au début ou non, cela n'a rien changé après tout. Ça n'a pas été suffisant pour le convaincre de me protéger. Alors une fois encore, je me sens si...

Bête.

Je vous ai dit que c'est ce à quoi je ressemble aussi. Ça y est, venons en au fait. Tôt ou tard il me faut affronter la réalité, n'est-ce pas ? Sachez que je n'ai rien vu du trajet en fourgon ayant suivi, encadrée par deux hommes lourdement armés. Je n'ai pas bougé le moindre muscle, ayant l'impression d'avoir été plongée dans une saloperie de thriller policier et psychologique risquant d'arrêter définitivement mon pouls. Je n'ai nulle véritable temporalité à vous donner, néanmoins je crois que nous sommes vite arrivés à destination – bien que j'ignore laquelle est-ce. J'ai été contrainte à me changer, donc c'est vêtue d'une blouse de patiente de l'hôpital que je me tiens debout devant une porte. Honnêtement, je ressemble à une...

Bête.

Oui. Depuis le départ, je n'essaie guère de vous faire comprendre que j'ai l'allure d'une idiote. Non. Même si c'est ainsi que je me sens intérieurement, je suis égale à moi-même pour le reste. Le poids de l'éducation, dites-vous. Qu'importe la tenue, mon menton reste haut et je respire l'élégance à défaut de l'air qui lui, n'alimente plus mes poumons tant ma poitrine est comprimée par la peur. Des électrodes placées sur mon crâne, c'est à un putain d'animal de laboratoire que je ressemble. Devant cette cloison aussi blanche que les murs vides m'entourant, il ne m'est aucunement difficile de comprendre ce qu'ils peuvent ressentir. C'est affreux, vraiment. Cela ne devrait pas exister. Aucun être vivant ne devrait se sentir si vulnérable. Exposé. En danger. Mes pieds sont nus sur le carrelage froid et la lumière des néons me fait mal aux yeux. J'imagine que l'intensité de l'éclairage les aide à mieux m'observer à travers la vitre. Ils sont du bon côté, eux. Moi, je ne vois rien. La poignée vient de bouger, de grincer alors je me fige, le souffle court. J'ignore à quoi m'attendre, pour tout vous dire. Qu'y a-t-il de l'autre côté de cette porte là ?

Putain. De. Bordel. De. Dieu. De. Merde.

Sachez que ces dernières secondes, j'ai imaginé une quantité innombrables de possibilités... Mais pas celle-là. En aucun cas. J'expire brutalement, incrédule, perdant inexorablement la façade que je devais absolument garder. Maintenant qu'elle s'est fracassée sur le sol, volant en un millier d'éclats... puis-je encore la récupérer ?

***

L'autre côté de la porteDove le storie prendono vita. Scoprilo ora