30 | Désabusée.

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J'ai l'estomac noué. Vous vous en doutez probablement mais je suis familière avec cette sensation. Rien d'étonnant, n'est-ce pas, lorsqu'on cache un secret d'une telle envergure ? Aurais-je dû le révéler à tous ? Dès le départ ? Que se serait-il passé à votre avis ? Serais-je toujours en liberté ? Enfermée ? Morte ? Peut-être que quelqu'un aurait pu m'expliquer comment je parviens à voyager à travers le monde juste en ouvrant des portes ? Le gouvernement aurait-il décidé de m'exploiter ? De faire des recherches ? Y a-t-il d'autres personnes comme moi ? Des expériences sont-elles déjà en cours ? Est-il possible de me faire redevenir normale ? Me rendre une vie où je n'ai plus peur de poser mes doigts sur une poignée ? Où lorsque je suis censée entrer dans une salle de bain, je ne me retrouve pas dans une cuisine en Chine ou un jardin en Australie ? Néanmoins je pense pouvoir m'estimer heureuse de n'avoir jamais rencontré âme qui vive dans les logements visités. Et c'est vrai que j'ai parfois eu envie de comprendre le fonctionnement de cet étrange pouvoir que j'ai développé. Enfin, non. Pas vraiment en réalité. Souvenez-vous que je n'ai rien de téméraire. C'est plutôt la pétillante Carly qui avait envie d'explorer le sujet. Mais nous ne l'avons fait que pour apprendre à contourner cette étrange malédiction, parce que j'avais trop peur pour envisager les choses autrement. Je voulais juste être ordinaire, vous savez ? Retrouver ma vie d'avant – mais sans Fred, soyons d'accord –. Construire ma carrière. Être heureuse. Discrète. Celle que j'aurais dû être. Et pendant un an, j'ai réussi. Franchement ? Je pense même pouvoir dire que je l'ai fait à la perfection. Je n'avais commis aucun impair avant de le rencontrer.

Evan Northwood.

Je cherche encore comment le contrôle a pu m'échapper. À moi qui ai grandi en apprenant à le garder sans cesse. La fille de Miranda Davis, reine de la maîtrise. J'ai toujours su paraître, vous le savez. Me contenir. Sembler parfaite. Mais face à lui, j'ai perdu pied. J'étais foutue dès la première seconde, vous l'aviez remarqué. Ai-je eu raison de lui demander de partir ? Est-il sérieusement possible d'envisager d'accorder ma confiance, désormais ? Je crois que oui. Ça vous étonne ? Il m'a piégé pour me faire comprendre qu'il savait, certes... Mais il l'avait réalisé il y a des semaines sans que je n'ai été en danger depuis. Ensuite qu'a-t-il fait ? Oui. Il a tenté de me rassurer sur ses intentions. M'a parlé de sentiments avec cette allure de celui qui n'a rien à cacher. Et bordel de dieu, je l'ai cru. Était-ce parce que je le veux ou car c'est vrai ? Quoi qu'il en soit, il s'en est allé. Après mon injonction, il s'est contenté d'un bref hochement du menton, l'air grave, puis s'est levé pour me rejoindre. Ses doigts ont effleuré mon épaule sans me toucher réellement pendant que je retenais mes larmes en me détournant, incapable de lui faire face. Consciente qu'il ne lui faudrait que quelques mots pour me faire changer d'avis. Désabusée de l'aimer à ce point.

— Alors je serais là vendredi soir avec le dîner, a-t-il soufflé en ouvrant la porte.

Pardonnez-moi, mais je n'ai pas de mots assez justes. Je suppose qu'il n'en existe pas de suffisamment forts pour vous décrire ce qui a remué dans le fond de mon ventre à cet instant. Il y avait autant de douleur que d'amour, je dirais. Et putain, je voulais le retenir tout comme le voir partir. Sauf que par dessus tout, j'avais peur. Pour de multiples raisons. Totalement incohérentes. Illogiques. Contradictoires. Puisque je craignais qu'il me trahisse mais aussi de le perdre. Incapable de choisir mon camp. Je suis quand même restée immobile, faussement impassible. Les leçons de ma mère portaient leurs fruits une fois encore. Sauf que lorsqu'il est entré dans l'ascenseur... Qu'il m'a contemplé avec son regard sincère. Que ce sourire – parfait – s'est dessiné sur ses lèvres... J'ai vacillé. À peine ai-je fais un pas que sa main s'est avancée pour empêcher la cabine de se refermer. Ses bras se sont ouverts afin de m'accueillir dans une lente inspiration qui sentait bon la compréhension tandis que je sanglotais, agrippée à sa nuque.

L'autre côté de la porteWhere stories live. Discover now