L'argent au péril de la vie

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La fissure dans la poutre s'étendait de plus en plus, dans un bruit de rouille et de craquement. La poutre s'incurvait vers le sol, elle ne tarderait pas à se casser en deux, et à faire tomber les huit candidats qui se cramponnaient désespérément aux planches de métal.
Chifuyu se paralysa en constatant les faits, il se rapprochait de plus en plus du sol, dans un peu de temps il allait se retrouver, la tête à l'envers, et il savait d'avance qu'il ne pourrait pas changer de position.
Le jeune homme leva ses yeux vers les autres candidats, accrochés derrière Baji. Ils avaient aussi l'air paralysés, eux non plus n'avaient pas dû prévoir que la poutre allaient se casser. Et de ce que pouvait voir Chifuyu, si la poutre se cassait au milieu, elle se diviserait en deux morceaux, et du côté des autres candidats, ils allaient tous avoir la tête en bas.
— Chifuyu faut bouger, cria précipitamment Baji.
Le jeune homme ne voyait pas comment il pouvait changer de sens. S'il lâchait la prise de ses jambes autour des plaques de métal, il ne parviendrait pas à les relever pour s'y raccrocher une fois bien positionner. Le jeune homme sentait que ses abdominaux le brûlaient, tout comme ses autres membres, il ne pouvait plus compter sur son corps pour l'aider. Il ne savait même pas s'il était capable de descendre de la poutre.
— Chifuyu tu dois changer de sens, s'exclama Baji alors qu'un craquement sonore retentissait.
De l'autre côté, les joueurs avaient déjà commencés à changer de position, afin de ne pas avoir la tête vers le bas. Izana était déjà bien placé, il semblait aider le garçon à la cicatrice à changer de sens. Sanzu aussi était bien placé, se trouvant à l'extrémité de leur file, il avait dû avoir assez d'espace pour bouger aisément. Alors que ceux du milieu semblaient avoir plus de mal.
— CHIFUYU BOUGE, cria Baji dans ses oreilles.
Le jeune homme ne réagit pas. Son corps ne répondait plus, il était incapable de bouger. Chaque centimètre carré de corps était paralysé par la douleur, Chifuyu était incapable de faire quelque chose, même si son cerveau lui hurlait de changer de place, même si son cœur battait de nouveau avec puissance dans sa poitrine, même si la poutre craquelait de plus en plus et que le sol se rapprochait dangereusement, il était incapable de bouger.
— J'y arrive pas, murmura lentement Chifuyu. J'y arrive pas...
Porter Baji dans une mauvaise position, et le laisser s'accrocher à lui pour accéder aux plaques de métal de la poutre lui avait vraiment fait mal, ses poignets et ses mains tremblaient horriblement, son dos le brûlait à chaque fois que ses poumons se gonflaient d'air, les muscles de ses bras le tiraient tellement que Chifuyu ne pouvait plus les détendre. C'était pareil pour ses cuisses et ses mollets. La position qu'il avait adopté nécessitait d'utiliser tous son corps pour ne pas tomber de la poutre. Le jeune homme était endolori, bloqué, il avait l'impression qu'il ne pourrait plus jamais bouger de nouveau.
— CHIFUYU FAUT QUE TU BOUGES, cria Takemichi depuis l'autre côté de la salle.
— CHANGE DE POSITION, cria Hinata.
Chifuyu ne réagit pas, il ne put même pas tourner sa tête vers eux. C'était à peine s'il se rendait compte qu'on lui parlait.
Il allait mourir. Il était incapable de bouger, la poutre était presque cassée et Chifuyu ne tiendrait pas dans une position avec sa tête vers le bas. Il allait mourir en tombant.
Un craquement bien plus fort que les autres retentit, il déchira l'atmosphère, faisant relever la tête des masqués qui n'avaient pas encore remarqué leur situation, trop occupé à abattre les joueurs qui tombaient au sol. Un autre craquement retentit, la poutre fut parcourut d'un violent tremblement, elle s'incurva un peu plus vers le sol et ne bougea plus pendant un instant.
La respiration de Chifuyu se coupa, tout comme celles des autres joueurs. Pendant un instant, il n'y eut absolument aucun mouvement dans la salle de jeu, ni même aucune respiration.
Puis il y eut un autre craquement. Et la poutre se déchira en deux.
Chifuyu se retrouva brutalement projeté vers le bas, le bout de poutre auquel il était accroché fendit l'air à toute vitesse, dans un bruit de ferraille assourdissant, alors que les autres joueurs se mettaient à crier de peur.
Le jeune homme ferma étroitement les yeux, priant pour pouvoir tenir jusqu'à la fin du temps impartit dans cette position, mais son corps glissa soudainement contre le fer de la poutre, et Chifuyu vit avec horreur ses jambes se décoller de leur prise sans qu'il ne puisse rien faire. S'il tombait, il allait bousculer Baji et l'entraîner dans sa chute, il fallait absolument qu'il saute de lui même au sol.
La poutre se balançait toujours de droite à gauche à toute vitesse, si Chifuyu voulait se laisser tomber par terre, c'était maintenant ou jamais, quand la poutre avait encore de l'élan et qu'il ne risquait pas de toucher Baji en tombant.
Le jeune homme ferma les yeux une dernière fois, alors que son corps était inexorablement attiré vers le sol, qu'il glissait de plus en plus. Il tomberait dans tous les cas, alors mieux valait que Chifuyu le fasse lui-même. Dans un ultime effort, il puisa dans ses ressources, à la recherche d'une infime part de force qui pouvait lui rester, il parvint à faire bouger ses bras, et libéra sa prise sur la poutre.
Chifuyu entendit un hurlement, des cris lointains, qui semblaient venir de l'autre côté de la salle. Il reconnut vaguement la voix de Takemichi, peut-être même celle d'Hinata et Mikey. Peu importe après tout...
Son corps tomba dans le vide en silence, il avait l'impression que le vent qui sifflait à ses oreilles dans sa chute le faisait revivre, comme si son corps se libérait. Finalement, il aurait dû se laisser tomber plutôt, c'était tellement agréable...
Une main se referma soudainement sur le poignet de Chifuyu, le ramenant brutalement à la réalité, et le jeune homme se sentit violemment propulsé contre la paroi de la poutre. Le jeune homme hurla de douleur, il avait l'impression que son dos venait d'être réduit en miette, mais il était toujours suspendu dans le vide.
— Chifuyu je t'ai dit que t'avais pas intérêt à mourir, cria Baji en serrant ferment son poignet dans sa main.
Le jeune homme leva sa tête vers lui et le regarda sans y croire. Il n'était pas mort, Baji l'avait retenu...
— Lâche-moi, je vais t'entraîner dans ma chute, murmura faiblement Chifuyu.
Baji glissait contre la poutre. Ils allaient tous les deux mourir s'il ne le lâchait pas, s'il continuait, Chifuyu aurait fait tout ça pour rien, c'était hors de question.
— LÂCHE-MOI, cria-t-il en essayant de défaire la prise de Baji sur son poignet.
— Hors de question !
— LÂCHE-MOI ! PUTAIN LÂCHE-MOI !
Chifuyu frappa de toute ses forces la main de Baji, alors que son corps se balançait dans le vide, mais son allié tint bon sa prise. Le jeune homme enfonça alors ses ongles dans sa peau, sans savoir quoi faire d'autre, et griffa avec désespoir l'avant-bras de Baji, pour le forcer à le lâcher.
— ARRÊTE CHIFUYU, cria Baji, alors que sa main glissait sur le poignet du jeune homme.
— TU VEUX MOURIR BÊTEMENT ?
— JE NE TE LÂCHERAIS PAS !
   Chifuyu s'agitait autant qu'il pouvait, mais Baji faisait tout pour ne pas le lâcher, c'était presque comme s'il mettait plus de force pour tenir son poignet que pour se tenir à la poutre. Il était complètement stupide, il allait mourir bêtement si ça continuait, Chifuyu devait faire quelque chose.
   Le jeune homme serra les dents et tira d'un coup sec sur son poignet pour essayer de le libérer, les doigts de Baji glissaient, il pouvait l'obliger à le lâcher.
Mais Baji lâcha brusquement sa prise sur la poutre qui se balançait de plus en plus lentement dans le vide, Chifuyu écarquilla les yeux avec horreur et les deux jeunes hommes tombèrent dans le vide sous les cris de leurs amis.
   Chifuyu agita désespérément des bras et ses jambes dans le vide pour essayer de rattraper la poutre, mais elle s'éloignait déjà d'eux en se balançant, c'était peine perdu. Baji entoura son corps de ses bras pour le protéger dans la chute, et les deux jeunes hommes s'écrasèrent douloureusement au sol. 
   Ils roulèrent l'un sur l'autre un instant, en rentrant leur tête dans leur cou pour se protéger, avant de s'arrêter en percutant un cadavre, le souffle coupé. Chifuyu était coincé sous Baji, le choc de la chute résonnait dans tout son corps. Le jeune homme resta étendu contre le cadavre, une vive douleur s'emparant de son corps. Il était incapable de réagir, et Baji qui était au-dessus de lui ne bougeait plus non plus. Chifuyu n'arrivait plus à respirer, ni même à penser.
   Il ne ressentait plus que de la douleur, une douleur si forte qu'il ne pouvait plus la supporter. C'était comme si la chute avait suffit pour le tuer.
   Au-dessus de lui, Baji se mit à bouger lentement, en respirant bruyamment, et réussit à s'enlever de son corps.
   — Chifuyu, cria Baji d'une voix lointaine.
   Le jeune homme ne parvint pas à répondre. Ses yeux grands ouverts étaient couverts d'un voile brumeux, il n'arrivait pas à voir ce qu'il se passait autour de lui. Des corps semblaient se laisser tomber des poutres, des silhouettes roses s'ordonnaient en rang, des personnes se précipitaient entre elles, d'autres couraient avec horreur vers des participants déjà morts. Chifuyu voyait tout flou, la douleur vibrait dans son esprit, quelque chose de chaud coulait de sa tempe et de ses lèvres.
   — Chifuyu !
   Le jeune homme sentit deux mains l'attraper avec force et le secouer pour le faire réagir.
   — Ça va, s'exclama Baji en se penchant au-dessus de lui avec inquiétude.
   — On va mourir, murmura Chifuyu sans comprendre.
   — Non ! Le jeu est terminé, on va rester en vie, répondit Baji en se forçant à sourire pour rassurer Chifuyu. Le jeu s'est terminé quand on est tombé, avant qu'on touche le sol !
   — ... Où sont les autres... ?
   — Ils vont bien, assura Baji. Regarde.
   Il tourna doucement la tête de Chifuyu sur le côté et le jeune homme put voir que tous ses alliés étaient descendus des constructions de l'air de jeu. Takemichi soutenait Hinata contre lui, et les deux se dirigeaient vers Baji et Chifuyu, suivit de Draken, qui portait sur son dos Mikey, qui devait être incapable de marcher, et de Emma.
Un peu plus loin, l'équipe de Senju aussi était au sol. Senju était allongée par terre, les yeux fermées, sa poitrine se soulevant à toute vitesse. Son frère le plus âgé se trouvait près d'elle, il se tenait l'épaule avec une expression crispée. À côté, Izana était penché vers lui, ses mains posées sur son épaule, comme s'il s'apprêtait à lui remettre en place, alors que son ami que Chifuyu ne connaissait pas le regardait d'un air confiant. Et un peu peu plus loin, Sanzu était déjà devant un masqué, il soutenait Rindo contre lui, et le frère de celui-ci se tenait près d'eux.
   Tous les joueurs encore en vie avaient l'air en très mauvais état.
   — C'était chaud, dit Draken en arrivant. Un peu plus et tu serais mort Chifuyu.
   — Qu'est-ce qui t'as pris de lâcher la poutre, s'exclama Takemichi d'une voix tremblante.
   — Je ne pouvais plus tenir, répondit le jeune homme à voix basse.
   Il sentait du sang couler de sa tempe et dans sa bouche. Il avait dû se mordre la lèvre en tombant au sol...
   — L'essentiel c'est qu'on s'en soit tous sortit, souffla Hinata.
   — Oui, on a eu de la chance, dit Mikey avec fatigue.
   — On a surtout eu de la chance de ne pas s'être retrouvé sur la même construction que le gars qui a poussé les autres au sol, répliqua Emma d'une voix cassée. Il a même poussé sa sœur...
   — Tu la connaissais, demanda Draken.
   — Non... mais c'est horrible de faire ça à quelqu'un, encore plus à son propre frère.
   Personne ne répondit rien. Chifuyu chercha du regard Taiju, et il le trouva adossé contre un mur, les bras croisés, les yeux fermés. La fille qui était intervenue tout à l'heure, c'était peut-être sa sœur, il y avait un air de ressemblance, était inerte au sol, et un garçon au cheveux bleus la serrait en pleurant dans ses bras. Probablement son frère.
   — À tous les joueurs, félicitations, vous venez de passer le second tour ! À présent, veuillez, s'il vous plaît, suivre les instructions donnés par nos employés et regagner votre dortoir, dit la voix dans les enceintes.
Les soldats masqués s'avancèrent d'un pas chacun, faisant comprendre aux joueurs qu'ils devaient de nouveau former une file devant eux.
— Partons immédiatement d'ici, dit Hinata avec dégoût.
— Je ne peux pas bouger, dit Chifuyu sans réussir à se lever.
— Je vais te porter, déclara Baji.
Il passa ses bras dans le dos et sous les cuisses de Chifuyu, et le souleva facilement, pour venir le serrer contre son torse. Baji se releva et suivit ensuite Draken jusque dans une file.
Chifuyu ferma les yeux sans pouvoir s'en empêcher, et laissa sa tête tomber contre la poitrine de son allié. Plus aucun de ses membres ne lui répondaient, il sentait que son corps était bien trop affaibli pour bouger. Le jeune homme avait puisé dans toutes ses forces, si bien qu'il avait utilisé une quantité d'énergie trop grande par rapport à celle dont il disposait. Il se sentait meurtri et exténué, la pression qu'avait exercé la peur sur son cœur se relâchait doucement, alors que la fatigue l'envahissait rapidement.
Chifuyu était tant à bout de force qu'il n'arrivait plus à penser. Il n'avait plus la force de réfléchir, la moindre pensée lui donnait l'impression de l'épuiser encore plus qu'il ne l'était déjà. Il avait besoin de dormir.
Le jeune homme entendit vaguement la voix de Baji, puis celle de Mikey et de Takemichi, mais elles paraissaient déjà lointaines, effacées, comme étouffées par des murs qui se dresseraient entre eux.
Chifuyu somnolait sans pouvoir résister à la fatigue qui l'accablait. Même en ouvrant les yeux, ses paupières se refermaient aussitôt, et sa tête ne parvenait plus à se détacher de la poitrine de Baji, qui lui donnait l'impression d'être contre une oreiller.
— Chifuyu, murmura Baji. On est arrivé.
Le jeune homme gémit faiblement mais il n'ouvrit pas les yeux.
— T'as mal quelque part ?
— Partout, souffla Chifuyu d'une voix presque inaudible.
   — Je te dépose dans ton lit.
   Le jeune homme ouvrit les yeux avec lenteur, alors que Baji l'étendait doucement sur le matelas dur de son lit.
   — Merci, murmura faiblement Chifuyu.
   Le jeune homme soupira de soulagement. Le matelas était dur, son oreiller aussi, mais ça lui faisait bien de s'allonger un peu et de détendre son corps.
   — Viens avec moi, dit-il en tirant légèrement la manche de Baji.
   Baji ne se fit pas prier pour venir. Il vint immédiatement s'allonger à ses côtés et enleva leurs chaussures pour les laisser tomber au pied du lit, avant de s'étendre près de Chifuyu. Le jeune homme souleva le bras de son allié pour passer en dessous et se blottit contre lui sans réfléchir. Il posa de nouveau sa tête sur la poitrine de Baji, sans même être gêné de son geste.
   — T'es plus confortable comme oreiller, dit simplement Chifuyu.
   — Fais-toi plaisir.
   Chifuyu ferma les yeux en passant un bras autour de la taille de Baji.
   C'était étrange, en temps normal, jamais il n'aurait fait ça avec une personne qu'il ne connaissait que depuis quatre jours, pas même avec un ami. Chifuyu n'était pas du genre à faire n'importe quoi avec n'importe qui, il était plutôt du genre à fuir toute relation qui s'éloignait un peu trop du statut d'amitié, même s'il adorait chercher quelqu'un avec qui sortir.
   Mais avec Baji, c'était différent. Ce n'était pas différent comme dans un roman d'amour, où les deux protagonistes tombaient amoureux l'un de l'autre au premier regard, et étaient forcés de vivre un amour impossible. Non ce n'était pas ça.
   Chifuyu n'était pas stupide, et il sentait parfaitement que Baji et lui étaient mutuellement attirés l'un vers l'autre. C'était inutile de le nier, la tension entre eux était trop palpable, trop électrique pour qu'ils ne fassent comme si de rien était. D'ailleurs, Chifuyu n'avait pas envie de faire semblant.
   Il ne savait pas vraiment quoi, mais le jeune homme sentait qu'il y avait quelque chose avec Baji, qui faisait qu'avec lui il pouvait agir de la manière qu'il voulait. Il pouvait se blottir de cette façon dans ses bras, s'entourer de sa chaleur pour se rassurer, sans avoir à craindre de situation gênante.
   Dès qu'il l'avait revu dans le jeu, Chifuyu avait immédiatement sentit qu'une relation existait déjà entre lui et Baji. C'était comme s'ils se connaissaient depuis des années, où comme s'ils n'avaient commencés à vivre qu'au moment où leur regard s'était croisé.
   Leur façon de se comporter l'un envers l'autre, leurs regards, comment Baji protégeait naturellement Chifuyu, comment Chifuyu se démenait pour sauver Baji, quand ils avaient collés leur main l'une contre l'autre dans le lit, les caresses de Baji sur Chifuyu. Il y avait quelque chose entre eux, quelque chose d'attrayant, brûlant, presque visible.
   Et Chifuyu commençait à vraiment aimer ce quelque chose. Cette relation étrange lui plaisait, au final, qu'il connaisse Baji depuis quatre ans ou quatre jours, est-ce que cela changeait vraiment quelque chose ? Ici le temps était suspendu, le passé n'existait plus et une nouvelle vie débutait, la menace de mort imminente faisait que les liens devenaient puissant en un instant, alors pourquoi Chifuyu chercherait à briser celui qui l'unissait à Baji...

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