Le chapiteau de lumières

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   Chifuyu déglutit avec difficulté, et enleva lentement ses chaussures. Ça y est. C'était le moment. Il fallait se lancer. Il n'avait qu'à suivre le chemin des autres joueurs, sauter sur les plaques de verre, et avancer. Avec un peu de chance, il n'aurait pas à devoir choisir entre deux plaques, il n'aurait pas à sauter sans savoir ce qui l'attendait, avec un peu de chance... il n'aurait pas à mourir.
   Le jeune homme évita de regarder le vide sous le pont, et regarda plutôt les joueurs qui avançaient sur les dalles transparentes. Draken se trouvait déjà sur le pont, au deuxième niveau, et à deux joueurs de lui, Kakucho et Izana continuaient d'avancer. Il y avait déjà trois morts.
Allez. C'était au tour de Chifuyu de monter sur le pont. Il regarda avec appréhension l'unique dalle de verre devant lui. De petites lumières vives brillaient dedans, on aurait presque dit des guirlandes de Noël...
Chifuyu prit son courage à deux mains et sauta sur la dalle. Le verre était froid, lisse, et assez fort pour supporter son poids. Le jeune homme se pencha légèrement sur le côté, et regarda le corps du premier joueur qui était tomber. Il baignait dans une marre rougeâtre, les membres tordus dans d'étranges positions. Son crâne semblait avoir éclaté contre le sol.
   Chifuyu détourna les yeux avec indifférence, et sauta sur la seconde dalle libre, laissant la place à Takemichi.
   Ils progressaient bien, avec seulement trois mort... pardon quatre mort (l'un d'eux venait de tomber dans le vide), ils avaient déjà parcourut sept dalles et... un quatrième joueur venait de mourir ? Mais alors...
   Chifuyu se pencha vivement et vit que c'était à présent Izana qui se trouvait en tête de fil. Et il restait encore huit dalles à franchir. Il n'avait aucune chance de s'en sortir.
   — Bon. Quand il faut y aller, dit Izana avec calme.
   — Non Izana attends je-
   Izana ne laissa pas Kakucho terminer, il sauta sur la plaque de verre à sa gauche, et Kakucho plaqua ses mains sur sa bouche avec peur. Mais rien ne se passa. Izana resta solidement ancré sur la dalle transparente, et se tourna vers son allié, rayonnant.
— Détends-toi ! Tout va bien, ajouta le jeune homme en penchant la tête sur le côté.
Kakucho baissa lentement ses mains de sa bouche, et regarda le longuement.
   — Ne t'avance plus, je vais passer devant toi, dit-il avec assurance.
   Izana rayonna et ria légèrement.
   — Reste en sûreté Kaku ! Je n'ai pas peur. Pour toi je peux le faire les yeux fermés, dit-il d'un air rassurant.
   — Pousse-toi.
   Chifuyu sursauta en remarquant que quelqu'un venait de sauter sur sa propre dalle de verre. Il se tourna vivement et se rendit compte que Sanzu se trouvait juste derrière lui. Mais comment était-il arrivé ici ? Sanzu était censé être le numéro quatorze, autrement dit le dernier. Pourquoi est-ce qu'il avait doublé tout le monde ?
— Pousse-toi, répéta-t-il d'un air absent.
Chifuyu se décala sans comprendre, et Sanzu lui passa devant, comme s'il n'existait pas. Il avança dans la file en continuant de demander aux joueurs de se pousser, et arriva en tête des joueurs. Il sauta sur la dalle de Kakucho, le faisant sursauter, mais encore une fois, il l'ignora.
— À quoi tu joues, demanda Izana en voyant Sanzu sauter près de lui.
— Je ne peux pas vous laisser mourir sans rien faire... Izana tu es celui qui mérite le plus de vivre, tu nous protèges tous depuis le début... Un mec comme moi peut pas mourir après toi, dit Sanzu d'une voix lointaine.
Ses yeux étaient vitreux, il ne regardait pas Izana pour lui parler, et à vrai dire, il n'avait pas l'air de penser vraiment ce qu'il disait. Ça sonnait plus comme un prétexte.
Sanzu n'avait jamais eu l'air aussi étranger à lui-même.
— Depuis quand tu penses ce genre de chose, lança Izana d'un air sarcastique. Qu'est-ce que tu fais vraiment là ?
— J'en ai marre de ce jeu, c'est d'un ennui... sans lui je n'ai plus de raison de rester, je ne peux plus m'amuser, murmura Sanzu d'un air air fantomatique. Ma vie sans lui n'a pas de sens...
Chifuyu avait presque l'impression que Sanzu était déjà partit. C'était comme si son corps était déjà vide, animé par une âme qui ne lui appartenait plus. La folie de son regard était voilée, mais pourtant elle était là, différente, et briller avec force. Sanzu n'était plus qu'un pantin sans fil, une poupée sans yeux, entier mais à la fois incomplet. Il était là, et pourtant il ne vivait pas. Il était vide...
— Sanzu, ne fais pas n'importe quoi et retourne derrière, dit Izana d'un air sévère.
— Je veux juste être avec Rindo, murmura Sanzu d'une voix impuissante.
— Non arrête, tu peux pas faire ça, Rindo est mort ! Sanzu il ne voudrait pas ça !
Sanzu l'ignora totalement. Il poussa légèrement Izana, alors qu'un sourire effrayant apparaissait sur sa bouche, et se pencha en avant. Il sauta d'un coup sur la dalle en face de lui, mais ne s'arrêta pas dessus. Il ne posa qu'un pied dessus, avant d'immédiatement sauter sur la plaque en diagonale dessus. Sanzu ne s'arrêta pas.
Tous les joueurs s'arrêtèrent de respirer durant quelque seconde, le temps se figea, alors que les sauts de Sanzu s'enchaînaient dans de petits bruits sourds.
Il sauta sur une première plaque.
Il enchaîna immédiatement sur une seconde dalle.
Il bondit sur une troisième plateforme.
Avant de briser le verre de la quatrième.
En à peine une seconde. Le verre de la quatrième plaque se craquela sous le poids du joueur, et explosa en morceau. L'expression euphorique de Sanzu eut le temps de disparaître en un quart de seconde. Il poussa un cri de surprise alors que la dalle s'ouvrait sous ses pieds, et tomba aussitôt dans le vide, sous les regards terrifiés des joueurs.
Sanzu disparu en quelques secondes, avant qu'un horrible craquement retentisse.
Izana se précipita sur les dalles de verre, en reproduisant le chemin exacte qu'il avait fait. À gauche. À droite. À droite. Et sauta ensuite sur la plaque libre devant lui. Kakucho le suivit immédiatement, ainsi que les autres joueurs derrière lui.
Chifuyu s'empressa de suivre Draken devant lui. Il vit Izana se pencher vers l'endroit où devait se trouver le corps de Sanzu, et il réprima un dégoût en fermant les yeux.
— Son crâne est ouvert, dit-il d'un air répugné.
— Qu'est-ce qui lui a pris, dit Kakucho d'une voix tremblante.
— Il a fait ça à cause de Rindo, lança Draken. Il l'a dit. Sans lui il s'ennuie.
— On s'en fou, avancez on a pas le temps, dit Baji derrière Chifuyu.
— Il a raison, dit Takemichi d'une voix mal assurée. Sanzu nous a fait gagner des cases, mais il faut quand même qu'on se dépêche.
— C'est vrai, dit Draken. Ne gâchons pas le temps qu'il nous a offert.
— Vous avez raison, murmura Izana. Je vais y aller.
— Non, s'écria soudainement Kakucho.
Il sauta près de son allié avec détermination, et Izana se tourna vers lui sans comprendre.
— Qu'est-ce que tu fais, demanda-t-il en perdant son air paisible.
— Si tu meurs, je meurs aussi, déclara Kakucho avec un regard dur.
— Retourne derrière moi, je ne veux pas que tu fasses n'importe quoi, dit Izana en restant calme.
— Non, je ne bougerais pas sans toi.
— Arrête de faire l'idiot. C'est pas un jeu, on parle de ta vie là. Retourne derrière et fais attention, dit Izana en essayant de pousser son allié vers la dalle précédente.
— Je refuse de te laisser partir sans moi !
— C'est pas à toi de décider pour ma vie, s'énerve Izana. Tu nous fais perdre du temps !
— C'est pas non plus à toi de décider pour ma vie, dit Kakucho en écartant le jeune homme de lui.
Izana fusilla Kakucho du regard, mais arrêta de lutter contre lui. Kakucho n'allait vraiment pas bouger, mais Izana non plus, puisqu'il ne voulait pas mettre en danger son allié. Mais alors, tous les joueurs étaient bloqués. Il ne restait plus que huit minutes, et même si les plaques pouvaient supporter le poids de trois joueurs, personne n'allait vouloir les dépasser. Sinon les joueurs l'auraient déjà fait...
— Izana, tu es tout ce que j'ai, dit Kakucho en prenant son visage entre ses mains. Si tu meurs, je n'aurais plus de raisons de vivre.
Kakucho posa son front sur celui de son allié, et ferma les yeux, l'invitant à faire de même. Izana dévisagea un instant Kakucho, dans ses yeux d'améthystes se reflétait une lumière bleue, qui jouait avec les reflets irisés de ses pupilles. Un bel éclat brillait, il regardait Kakucho comme s'il était la chose la plus précieuse qui puisse exister au monde.
Le jeune homme finit par fermer les yeux, alors que Kakucho entrelaçait sa main dans la sienne.
— On ne sera pas sauvés n'est-ce pas, murmura Izana d'une voix tremblante.
— Notre aventure s'arrête là, mais parce que c'est nous qui l'avons décidés. On quitte le jeu ensemble, d'accord ?
Izana renifla, et Chifuyu put voir le reflet violet d'une lumière briller un instant sur les larmes qui tombaient sur ses joues. Kakucho embrassa le front d'Izana pour lui donner du courage, et les deux jeunes hommes se tournèrent vers les deux plaques de verre qui les attendaient.
— Tout droit, demanda Kakucho.
— Oui.
— À trois alors.
Les deux joueurs se préparèrent à sauter, et Chifuyu vit leur main se serrer avec force. Son cœur se crispa dans sa poitrine, tout en s'accélérant progressivement, et il se mordit violemment la lèvre.
— Merci pour m'avoir aimé, murmura Izana d'une voix douce. Tu m'as offerte la plus belle vie possible.
— Je l'ai fait parce que tu étais, et est toujours mon paradis sur terre Izana. Merci d'avoir été ma raison de vivre, répondit Kakucho avec douceur.
Kakucho et Izana se regardèrent un instant avec intensité, sans plus rien dire. C'était comme si le temps ne comptait plus, comme s'il n'y avait plus qu'eux, les larmes d'Izana, leur main qui se tenait avec force, et le regard brûlant de Kakucho. Pour rien au monde Chifuyu n'aurait voulu les interrompre. Mais leur connexion se brisa au moment où ils tournèrent la tête. Et ils sautèrent sur la dalle de verre.
La plaque craqua immédiatement sous leur poids. Le verre vola dans les airs, reflétant les centaines de lumières du chapiteau, comme des milliers de petits miroirs qui volaient en éclats. Il n'y eut aucun cri, seul le bruit du verre qui explosait brisa le silence, alors qu'un froid glacial s'abattait sous le chapiteau. Les corps d'Izana et Kakucho tombèrent dans le vide, immobiles, comme s'ils étaient déjà partit. Leur main restèrent étroitement liées, leurs doigts entremêlés, et ils disparurent dans l'obscurité du vide.
C'était fini pour Izana et Kakucho.
Chifuyu détourna douloureusement les yeux, il refusait de regarder une seconde de plus l'endroit où c'était tenu les deux jeunes hommes. Il n'écouta pas le bruit de leur corps sur le sol, et se força à rester calme. Le jeu devait continuer.
   Les joueurs se remirent à avancer, comme si Izana et Kakucho n'étaient pas tombés dans le vide. Comme s'ils étaient juste partit, qu'ils avaient simplement quitté le jeu et qu'ils ne tarderaient pas à revenir. Comme si tout allait bien.
   Chifuyu s'avança sur la dalle de verre libre. Il ne restait plus que deux joueurs avant Draken.
   Le septième joueur s'élança. Un craquement retentit. Le verre se brisa. Et son corps tomba. Et le jeu continua.
   Le huitième joueur s'avança. Un nouveau saut. Une respiration saccadée. Pas de chute. Et le jeu continua. Il sauta de nouveau, confiant. Un bruit de fissure. Il disparut dans le vide. Et le jeu continua.
   Draken s'avança sur la plaque de verre libre, et s'arrêta un instant. Chifuyu mit du temps avant de se rendre compte qu'il n'y avait plus personne devant lui pour le protéger.
C'était à Draken de faire un choix entre les deux plaques de verre.
— Bon..., souffla Draken. J'ai absolument aucune idée de où il faut aller, déclara Draken en se tournant vers Chifuyu. Je suis désolé.
— Attends, dit précipitamment le jeune homme. Les verres n'ont pas la même couleur, il faut juste savoir lequel est le bon.
— Oui... mais on a pas le droit à l'erreur. Il reste encore trois cases à passer... Même si je réussi à trouver la bonne plaque une fois... je ne réussirais peut-être pas après.
— On peut peut-être trouver une solution, dit Chifuyu à toute vitesse. Si on réfléchit bien, qu'on fait les bon choix et que-
— Chifuyu, arrêta Draken avec calme. Tout va bien se passer. Ça ne dure que quelques secondes.
— Arrête, s'exclama Takemichi. Ne te sacrifie pas, on a juste à réfléchir et... et...
— Et on va trouver la bonne dalle, dit Baji pour lui venir en aide.
Draken sourit doucement, avant de baisser les yeux. Il se détourna légèrement du jeune homme et des joueurs restants, et soupira longuement. Il se baissa lentement, et posa ses coudes sur ses genoux.
— Tu aurais fait quoi à ma place, Mikey ?
Draken posa son menton sur ses mains et regarda longuement la dalle devant lui.
— J'ai l'impression de te voir dans le reflet des lumières sur le verre, dit Draken avec douceur. J'aurais adoré voir toutes ces belles lumières briller dans tes yeux noirs. Tu aurais trouvé ça super stylé... Toi je suis persuadé que tu aurais foncé tête baissée, droit devant. Tu ne te serais pas poser de question hein ? Tu aurais juste courus, comme Sanzu l'a fait, en ne pensant à rien d'autre qu'à la personne que tu aimais. À Emma... à ton frère... à Baji...
Draken releva un peu la tête, et la tourna légèrement vers sa droite, montrant qu'il s'adressait à présent à Chifuyu et les autres joueurs.
   — Il ne s'est jamais rien passé entre nous. Mikey ne voulait pas, raconta Draken à voix basse. Quand Emma était là, il voulait la protéger, et ensuite, il voulait protéger Baji. S'il laissait une relation trop grande s'établir entre nous, il savait que ça allait lui faire du mal pour la suite de l'aventure. J'ai respecté son choix, parce que je savais que je n'avais pas le droit de me mettre en travers de son chemin. Je ne dis pas ça pour toi Chifuyu, Baji doit être dans la même situation que Mikey, mais lui il t'a choisit toi et c'est son choix. Ce n'est pas pareil.
   Draken détourna de nouveau la tête.
   — Mikey me manque. Son sourire, son rire, sa façon de m'appeler, quand il se disputait avec toi Baji... Ça me manque tout ça. Ça ne fait que deux jours et pourtant j'ai l'impression que ça fait une éternité qu'il n'est plus là. Le temps n'est plus le même sans lui...
   Draken se releva, sans quitter la dalle en face de lui des yeux.
   — Alors je vais mourir comme lui hein ? Ça ne me dérange pas... je veux savoir ce que ça fait. Ressentir ce qu'il a vécu, juste pour voir. Je veux savoir s'il a eu mal, ou s'il est directement partit. Vous savez... je regrette. Je regrette vraiment... d'avoir laisser Mikey garder une distance entre nous deux...
   Draken se tourna une dernière fois vers Chifuyu et ses alliés, et leur fit un beau sourire.
   — Désolé de vous avoir fait perdre du temps ! Je ne voulais pas être aussi long... Bonne chance pour la suite. Moi je m'arrête ici.
   Chifuyu battit de paupière en acquiesçant douloureusement, ses cils firent voler des larmes dans le noir, et il renifla pour ne pas se mettre à pleurer. Draken les regarda une dernière fois, comme s'il les remerciait pour le laisser partir, et se détourna d'eux. Il sauta sur une case au hasard, devant lui. Et le verre se brisa.
   Son corps s'envola dans une cascade de verre, sans aucun autre bruit que le ruissellement des débris dans l'obscurité, qui reflétaient toujours les lumières du chapiteau. Draken tomba dans une pluie de lumières vives. Il avait rejoint Mikey.

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