37/ Dernier pub avant la fin du monde

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— Pourquoi tu ris comme une chèvre en manque ? demande Irène en essayant de se redresser.

— Doucement, doucement, Mlle Manoukian. Tenez, buvez ça, dit Nicole en lui tendant un verre d'eau, que la jeune femme avale d'un trait.

Conti lui tend un paquet de chips en lui faisant les gros yeux. Elle le prend et mange sans vergogne devant tout le monde. Elle crève de faim. Elle s'en rend compte maintenant.

— Et bien ! Voilà une aventure de plus ! Cette agence réserve de nombreuses surprises, dit Moreau en se relevant. En fait, j'ai moi aussi très faim et je sais que l'on m'attend. Mlle Manoukian, pourriez-vous réfléchir à notre proposition ce week-end ? Nous en reparlerons lundi. Je réalise que vouloir tout boucler en une journée était totalement stupide. M. Conti, je vous laisse fermer.

Conti accompagne son associée jusqu'à l'ascenseur pendant que Louisa aide Irène à se relever.

— Tu es prête ? On peut y aller.

— Oui. Et donc, pourquoi tu riais ?

— On en parle plus tard. Là, on s'en va.

— C'est regrettable, car moi aussi je suis curieux de savoir, dit alors Conti qui leur barre le passage.

Louisa regarde son amie, puis Conti. Elle sourit, ouvre la bouche, mais la referme aussitôt, pour finalement dire :

— Je préférerais parler dans un endroit où Irène pourra s'asseoir confortablement et où elle pourra manger correctement, répond Louisa avec un charmant sourire.

Non ! Elle n'a pas osé ? Si ! Elle l'a fait ! Aussi subtilement qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine, elle a suggéré à Conti de les emmener au restaurant ! Elle n'est pas croyable !

— Je passe, dit Irène. Vous n'aurez qu'à me faire un résumé de votre conversation lundi, dit-elle en se détachant de son amie pour sortir, mais Conti n'a pas bougé.

— Très bien. Je prends le côté droit. Vous, le gauche, dit-il finalement en s'adressant à Louisa tout sourire.

Et ils encadrent Irène qui n'a pas d'autre choix que de les suivre. Elle est trop fatiguée pour lutter. Ce qu'ils peuvent être énervants tous les deux !


Assise entre eux sur la banquette d'un pub plutôt tranquille pour une vendredi soir, Irène a l'impression d'être une gamine entre ses parents. Le canard disgracieux entre deux cygnes qui attend, avec peu d'espoir cependant, le moment où il changera lui aussi.

Sauf que cette période-là, elle l'a déjà vécue, et franchement, elle n'est pas trop friande de la nostalgie de l'adolescence, même si c'est la mode.

— Alors ce fou rire ? demande Conti

— Vous êtes conscient que c'est à Irène que vous avez proposé d'être chef d'équipe.

— Oui. Parfaitement.

— Et ça ne vous fait pas rire ?

— Elle est tout à fait capable de gérer une équipe.

Louisa éclate encore de rire.

— Ça j'en suis également sûre, mais ma puce, je crois que M. Conti, qui pense avoir cerné tout le monde avec beaucoup de précision, se trompe totalement sur toi.

— Mouais... mais ça ne m'étonne pas. À force d'ôter sa chemise à tout bout de champs, il a dû attraper un refroidissement du cerveau.

— Hé ! C'est qui le patron ici ? s'exclame-t-il en s'écartant d'Irène en ayant l'air faussement outré.

— Vous êtes le patron quand ça vous arrange...

— Non. Je suis le patron tout le temps. C'est juste que parfois, la plupart du temps, je suis un patron sympa. Très sympa, dit-il en mangeant une frite.

Irène sourit. Elle signe « Et un voisin envahissant ».

— Oui, ça aussi...

Louisa n'a pas compris, mais ne s'en formalise pas. Elle mange. Elle aussi a très faim. Cette semaine a été épuisante à plus d'un titre.

— Pourquoi être chef d'équipe serait si improbable ?

— Parce que je ne donne pas d'ordre. À personne. Jamais.

Le ton est catégorique.

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