43/ Faire face

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Comment Conti devine que quelque chose ne va pas ? Enzo, le stagiaire est parti en courant vers le couloir où se trouvent les divers distributeurs de boissons et de nourriture. Il ne voit les cheveux d'aucune de ses collaboratrices préférées. À savoir Irène et Louisa. Aucun bruit ne lui parvient de leurs bureaux, ce qui n'est jamais arrivé jusqu'à présent. Il se lève. Mais à peine a-t-il franchi le pas de la porte de son bureau qu'un doigt surgit sur le côté de la cloison d'Irène, l'arrêtant tout à fait.

C'est une injonction à ne pas intervenir. Et elle vient de Louisa. Doigts longs et fins, Ongles manucurés et colorés. Il reste là, à ne pas savoir quoi faire. Il est chef après tout, il pourrait s'imposer, mais quelque chose lui dit que ça ne serait pas la meilleure solution. Pas s'il veut garder Irène Manoukian dans l'équipe. Et il veut la garder. Giorgia a raison, il a un gros faible pour elle. D'où son comportement ouvertement provocateur. Mais il sait aussi que l'aborder de manière conventionnelle n'aurait aucun résultat. Alors pour le moment, il tourne autour du pot.


Irène est choquée. Elle comprend ce que lui dit Louisa. Elle comprend chaque mot sorti de sa bouche. Elle comprend que son amie a raison. Et pourtant...

Pourtant, son cœur est toujours lourd d'avoir perdu Paolo, de n'avoir pas pu éviter de le perdre. Elle n'avait rien vu venir, et il s'était tué seul dans la nuit froide en s'injectant une dose massive de drogue après avoir bu plus que de raison.

Ensuite, il y avait eu les reproches. D'abord à peine voilés, puis franchement revendiqués par l'ensemble de la famille et des amis. Paolo n'ayant laissé aucune lettre, il était facile de spéculer sur les raisons de son geste. Et spéculer, ça ils avaient su faire ! Tous ! Et la seule conclusion qu'ils avaient trouvée, c'était de la rendre coupable, elle, Irène.

Vincente avait conclu qu'il serait préférable qu'elle quitte l'entreprise familiale pour aller voir ailleurs. Elle avait courbé le dos et avait obéi.

Puis, Lorenzo s'était assuré que tout son entourage proche sache bien ce qu'on lui reprochait. Ses soi-disant amis lui avaient tourné le dos.

Alessio s'était simplement réfugié dans le silence dont il était maître, du fait de son handicap.

Quant à leur mère, la volcanique Giovanna Balestracci - oui, elle avait repris son nom de jeune fille après la fuite de son époux -, elle s'était contentée de la chasser de la maison sans un mot. Irène avait retrouvé ses quelques affaires jetées en vrac sur le gazon mal entretenu devant la maison. La jeune femme avait eu de la chance que sa mère ne les lui ait pas mis directement dans la benne à ordures, ou donné au premier venu.

C'est à ce moment-là qu'elle avait « changé de chaussure ». Louisa l'y avait aidé en lui enjoignant de la rejoindre à Paris. Avait-elle eu le choix ? Pas vraiment. Le sud ne voulait plus d'elle, et elle ne voulait plus du sud.

À son arrivée, elle était ravagée. Mais une petite flamme s'était maintenue. Cette petite flamme que Louisa a entretenue patiemment. Cette petite flamme qui lutte bravement depuis plus de deux ans contre les doutes et la méfiance d'Irène. Cette petite flamme qui se maintient malgré les coups durs et les coups au cœur. Surtout les coups au cœur.

Foncièrement, Irène Manoukian n'est pas malheureuse. Elle a eu très mal et souffre encore. Mais beaucoup moins. Elle prend la vie comme elle vient et ne s'encombre pas de savoir si elle a sa place dans le grand tout de l'univers. Elle y est, point barre.

Et pourtant... elle est tétanisée par ce que vient de dire sa meilleure amie. Pourquoi ?

Peut-être, parce que la petite flamme est en train de devenir brasier, qu'elle enfle à vue d'œil, et qu'Irène a peur de ne pas la contenir. Or, ne pas la contenir veut dire enfin envisager l'avenir comme autre chose qu'une succession d'échecs amoureux et de seconds rôles professionnels. ça lui fait peur. Non. ça la terrorise.

Ça lui rappelle quelque chose cette propension à rester dans la défaite. Cazzo ! Sa putain de bordel de famille à la con !

Fenêtre avec vueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant