Chapitre 2

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Kyo 'Je cours' (voir média)

TW : harcèlement, homophobie

En réalité, Jaemin a perdu bien plus que ça ce jour d'été, mais il ne l'a découvert qu'en rentrant chez lui, après un week-end horrible et un trajet en voiture infernal. A peine avait-il pu se connecter à Internet que la haine avait commencé à pleuvoir. Tout le monde connaissait son secret, et tout le monde le détestait. Ceux qu'il pensait être ses amis ont commencé à lui cracher dessus, et il recevait même des messages d'inconnus. Il ne le savait pas encore, mais Shotaro avait révélé son secret à son insu, faisant croire à tous qu'il l'avait forcé à sortir avec lui.

La fin des vacances d'été fut horrible, mais l'année de 3e fut bien pire. Il n'a plus d'ami, plus un seul, tous ont retourné leur veste en apprenant qu'il était différent, même ceux qui se vantaient d'être ouvert d'esprit. Il entend plein de choses qui blessent, mais qui semblent ne choquer que lui. Tout le monde voit mais personne ne parle. Comme si c'était normal. Est-ce donc normal de haïr l'amour ?

Chaque jour se ressemble. Il se lève sans un bruit, pour ne pas s'attirer les foudres de ses géniteurs qui ont au moins la bienséance de l'accueillir chez eux jusqu'à sa majorité. Il se prépare, se déplaçant de pièce en pièce à la manière d'une ombre. C'est ce qu'il est, l'ombre du Jaemin joyeux et plein de vie d'il y a à peine quelques mois. Il ne se nourrit que d'un fruit attrapé dans la corbeille et il court hors de la maison, un sac sur le dos, avant que son père ne se lève. Il ne prend plus le bus, peuplé d'animaux qui se rient de lui comme des hyènes, qui le guettent comme des vautours, qui grognent comme des chiens sur son passage, qui crachent comme des chats lorsqu'il s'approche.

C'est en traînant des pieds qu'il arrive au collège. Quand il est devant la grille, il n'a qu'une envie, prendre ses jambes à son cou et courir, fuir, loin, très loin. Mais il rassemble son courage et s'aventure dans la cour, la tête baissée, espérant passer inaperçu le temps de rejoindre la salle de classe. Le matin est le moment le plus simple, parce que chacun est encore un peu fatigué, occupé à se saluer et à raconter les potins de la veille. Personne ne prête attention à lui et il atteint le point nommé sans encombre.

Mais une fois que ses camarades sont entrés en classe, l'enfer commence. D'abord des regards, plus ou moins discret. Parfois juste des œillades, d'autres de longs instants à se faire fixer comme un morceau de viande, à se faire jauger. Surtout, garder la tête baissée, pour ne pas les croiser, pour ne pas risquer de voir des gestes ou des mimiques inappropriées. Il est seul contre tous et il n'a personne à qui le dire.

Et puis peu à peu, s'il ose regarder autre chose que sa table ou répondre à une question, même contre son gré, les murmures s'installent. Ce ne sont que des rumeurs, inaudibles pour ceux qu'elles ne concernent ou n'intéressent pas. Mais pour lui c'est un bourdonnement incessant, un sifflement qui l'empêche de se concentrer quoique ce soit d'autre. Il ne sait pas exactement ce qui se dit mais il le devine. Ses camarades sont cruels, ils n'hésitent pas à parler de ce qu'ils ne savent pas, de ce qu'ils ont cru entendre, par l'une ou l'autre de leurs connaissances.

Les travaux de groupes sont un enfer, personne ne veut de lui, à aucun prix, et il supplie presque pour travailler seul. Il en a les capacités nécessaires, donc il y est autorisé la plupart du temps, mais quand ce n'est pas le cas, ses partenaires l'ignorent, le rabaissent ou lui posent d'abaissantes questions sur sa « condition de tarlouze ». Ils se taisent et font semblant de l'apprécier lorsque le professeur est proche, mais dès qu'il tourne le dos, les visages se ferment, les grimaces se forment.

Mais ce n'est pas le pire. Quand la pause arrive, il faut qu'il s'éclipse, le plus vite possible. Il faut qu'il court, pour se cacher avant que quelqu'un ne le regarde, avant que quelqu'un ne l'insulte, avant que quelqu'un ne l'attrape. Il se réfugie derrière le local à vélo, où personne ne va jamais, à part parfois les autres rejetés. Mais même eux le rejettent. Il n'est pas compagnon d'infortune, qu'importe qu'il subisse le même traitement qu'eux. Lui il aime les hommes, eux ils ont au moins une normalité.

Parfois, à la pause du déjeuner, ou bien à la sortie du collège, il se fait intercepter, avant d'avoir eu le temps de courir, ou parce qu'il s'essouffle. C'est toujours les mêmes. Et c'est d'autant plus douloureux. Jisung, Yangyang, Seungmin, Félix, Hyunjin. Ses amis d'avant. Ses amis de sa première vie, avant que le monde ne s'écroule devant ses yeux d'enfants. Le schéma est toujours le même. Hyunjin, qui court plus vite que les autres, plus vite que lui, le pourchasse un peu, lui lançant des menaces d'un ton moqueur. Puis il accélère et l'attrape par le col pour l'arrêter. Les autres le rejoignent et le tire dans un coin, à l'abri des regards.

« Alors le PD ?! Tu pensais pouvoir t'enfuir ? »

Jaemin fait non de la tête, les yeux baissés sur ses chaussures. Il est bousculé, poussé, jeté au sol sous les rires. Le même type de rire que celui de ce cousin. Le rire fou qui résonne, qui fait écho, encore et toujours, sans jamais s'arrêter, le rire qui hante à tout jamais. Quand il est par terre, ils ne prennent même pas la peine de se baisser. Ils lui donnent des coups de point dans le ventre, en répétant les mêmes insultes, les mêmes menaces, celles qu'on leur a appris quand on leur a expliqué la différence entre leur amour et le sien.

Il pleure, se recroqueville, tentant d'échapper à leur haine, mais cela ne fait que renforcer leurs rires et leurs coups, cela ne fait qu'attiser leur colère.

« Tu es bien une pédale tiens, à chialer comme une merde ! »

Shotaro est là aussi. Il assiste toujours à ce genre de scène. Il est toujours avec eux. Mais il ne prend jamais part à rien. Il ne murmure jamais, il n'insulte jamais, il ne frappe jamais. Mais il regarde, il observe, d'un regard toujours neutre, sans émotion. Il ne dit jamais rien, ni pour ni contre aucun des « camps ». Il détourne le regard quand Jaemin tente de le croiser. Il le détourne aussi lorsqu'il se met à se tordre sous les coups, à supplier. Lorsqu'il ne peut plus respirer.

« Excuse toi pour ce que t'as fait à Shotaro sale pute !

- A-Arrêtez, je vous en supplie...

- Si tu veux ouvrir ta grande gueule de suceur, fait le pour t'excuser !

- Je suis désolé... Je suis désolé ! »

Et alors, quand il a prononcé ces excuses, les mêmes à chaque fois, ses harceleurs arrêtent et font demi-tour, abandonnant son pauvre corps torturé, se dépêchant pour ne pas rater les bus. Ils ne lui jettent pas un regard, même pas Shotaro qui est de toute façon parti devant. Il attend, pour être sur qu'ils sont loin et ils se relève en chancelant pour être rentré à temps chez lui, pour faire ses devoirs, manger quelque chose et dormir avant la journée suivante, priant pour ne pas croiser son père et risquer pire.

Singing : HappierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant