Chapitre 1

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Délicat et apaisant, le clapotis mélodieux de la rivière chatouillait les oreilles de Takeshi, éveillant la nostalgie de ses plus jeunes années, ce temps précieux durant lequel sa vie n'était pas encore synonyme de chaos. Assis en position de lotus sur le manteau de Dame nature, il peignait, par l'obscurité de ses habits, l'unique point sombre au tableau de verdure, à l'image de son existence dans la cité. Son pantalon aux nuances violines pendait de ses jambes dans un large drapé et les mèches de sa chevelure d'encre flânaient sur son visage doux, face à la brise printanière.

— Mon prince !

La voix fluette l'invita à se redresser. Sa longue tresse glissa dans son dos lorsqu'il se leva, guilleret.

— Fumei-san ! N'êtes-vous pas censée être à votre étal ?

— Vous n'êtes pas passé chercher vos dango, alors je vous les apporte moi-même, s'exclama la jeune pâtissière.

Touché par son geste, Takeshi accepta avec plaisir la brochette de pâte de riz sucrée que son amie lui tendait, puis se pencha pour récupérer le couvre-chef tressé en forme de bol conique qu'il portait à chaque (rares) balades dans la cité. Un chapeau tressé en paille de riz imposé par son père et chef de clan, censé cacher son fils aux yeux du monde tout en lui attirant les moqueries de la populace.

Takeshi quitta son petit havre de paix pour raccompagner Fumei à son commerce et retrouva l'atmosphère agitée de la ville. La cacophonie citadine grandissait à l'approche des quartiers animés, bordés de maisons à étage unique. Sous les charpentes extérieures s'alignaient de multiples étals aux toits en tissu. Des senteurs gourmandes imprégnèrent l'air, à peine la grande allée passante franchie.

— Que ferais-je sans vous, Fumei-san, sourit Takeshi en mordant à pleine bouche dans l'une des boules moelleuses, fardée de poudre de thé. Qu'ai-je fait pour mériter pareille dévotion ?

Elle épousseta sa jolie robe fuchsia avec un rictus contrarié.

— C'est là une bien piètre compensation si l'on considère le traitement que vous inflige le chef de clan. Comment peut-il...

Sa phrase se conclut par un grondement réprobateur.

— Je crois que malgré vingt et un ans passés à mes côtés, mon père ne me connaîtra jamais aussi bien que vous après seulement quelques semaines d'entrevues, ricana-t-il d'un air détaché.

La légèreté de son expression rieuse – coutumière – était loin de rassurer la jeune femme. Elle lui rendit une mine chagrine tout en se glissant derrière le présentoir de son échoppe.

— Je ne cesserai jamais de vous défendre, Takeshi-sama¹. Vous qui êtes si doux et généreux, personne n'a jamais reconnu votre bonté. Ils vous considèrent tous comme le fardeau du clan. Sont-ils donc tous idiots ?

L'implacable franchise de son amie amusa Takeshi. Il finit par pousser un petit soupir fatigué, lourd d'une vie de brimades et de réprimandes.

— Les citoyens sont simplement habitués à la haine que mon père nourrit pour moi depuis ma naissance, c'est l'unique sentiment auquel ils m'associent.

— Ce n'est pas une raison. Sans même connaître votre visage, les gens avaient déjà normalisé cette rage contre vous.

— Cette rage contre le monde entier vous voulez dire, gloussa-t-il.

Elle leva les yeux au ciel, lasse d'une réalité dont le peuple ne semblait plus se soucier ; des libertés, en général, que prenaient à leur guise les chefs de clan japonais – de désagréables conséquences engendrées avec elles. Et dans une boucle sans fin de violence revendiquée, les descendants des plus puissants asseyaient leur autorité sous l'insigne des dieux, bafouant toutes valeurs. La compassion était occultée depuis une éternité. Dans un monde régi par le pouvoir et l'avarice, le respect n'aurait su trouver sa place. Ainsi, les mécontents restaient libres d'aller se frotter à d'autres clans, quérir, à leurs risques et périls, une nouvelle terre plus ou moins accueillante...

Entre ombres et lumière T1: Le secret des DieuxWhere stories live. Discover now