Chapitre 28

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Le bas peuple célébrait le Hanami (fête du printemps) par les réjouissances culinaires ; l'alcool coulait à flot, ce soir, dans les auberges.

Assis en tailleur à la table extérieure d'un lieu animé, Takeshi et Naoki trinquaient au clair de lune. Les gobelets de saké se suivaient. La prochaine rasade arracha à Takeshi une grimace écœurée. Il ne comptait plus les verres, son ami n'avait assurément aucune pitié pour lui, et les braillards autour d'eux lui filaient la migraine.

Il palpa ses joues rouges, le regard vitreux.

— Décidément, tu es vraiment novice en tout, se moqua Naoki.

— Eh, que veux-tu dire par en tout ? s'offusqua le concerné en cognant son verre sur la table. Je devrais te corriger comme je l'ai fait hier, petit insolent.

— Hmm, sans façon, ricana Naoki dans une révérence moqueuse. J'ai peiné à réparer une côte, je ne souhaite pas renouveler l'expérience...

Takeshi contempla le fond de son gobelet et le termina d'une traite à contre-cœur avant de s'avachir sur la table.

— Avec toi, je vais rattraper toute une vie d'ivrogne que je ne jamais eue, geignit-il en prenant son front brûlant dans la main. Vous tous, vous allez m'achever...

— Il va falloir encore t'endurcir pour vivre chez nous, s'esclaffa Naoki. Allez, va donc dormir avant de sombrer ici et te faire détrousser. La lune est haute dans le ciel et tu ne ressembles déjà plus à rien.

— C'est faux, je ressemble toujours à quelque chose, quelle que soit la situation, sourit Takeshi en se redressant sur un hoquet, un rideau capillaire devant les yeux.

Il se fit violence pour se lever sans céder au vertige et passa une main dans sa tignasse décoiffée. Naoki rit de plus belle en le voyant chavirer de tous les côtés.

— Dépêche-toi de rentrer avant qu'une Kimura ne vienne s'occuper de ton cas...

Menace efficace. Takeshi se mit aussitôt en route comme si sa vie en dépendait, sous l'hilarité de son camarade.

Le retour était pénible ; le saké n'était pas son ami, contrairement aux friandises. Étourdi, il finit par tomber à genoux dans l'avenue déserte. Il se serait bien vu terminer sa nuit sur les pavés réchauffés par les températures pré-estivales – au bonheur des pillards. Ses paupières n'appelaient qu'à se fermer.

Il leva le menton vers la résidence, bien trop éloignée à son goût. Quelle était cette idée saugrenue de bâtir sa demeure sur de telles hauteurs ? Il resta un instant agenouillé, une main au front, en quête d'un regain de motivation.

— Et ça tient même pas l'alcool.

Cette voix goguenarde... Il tourna la tête sur la droite et vit quatre compagnons d'entraînement, également présents à l'auberge – ceux du groupe d'envieux. Parmi eux, Oji, le militaire le moins fréquentable de la caserne, et le plus aigri. Takeshi ricana, amusé par la lâcheté de ces hommes. Quinze ans au moins les séparaient et ils nourrissaient malgré tout envers lui une jalousie maladive. Il les fixa, narquois, la tête ballant sur ses épaules.

— Vous n'arrivez pas à m'avoir à la caserne alors vous attendez que je sois saoul ? Quel courage... Oji-san, toujours aussi décevant.

Il lui rit au nez. La fureur de l'aîné ne se fit pas escompter. Oji l'attrapa par le col et le plaqua au sol sur le dos.

— Et toi, toujours aussi agaçant, Takeshi-kun.

Le rictus du jeune homme s'élargit, soulignant l'outrecuidance dans sa voix sucrée.

Entre ombres et lumière T1: Le secret des DieuxTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon