XVIII - C'est une histoire de famille

3K 377 44
                                    

— Je m'appelle Andreï... je m'appelle Andreï...

Il ne cesse de le répéter depuis des jours, sauf quand il dort. C'est comme s'il avait subi un lavage de cerveau. Il est là, mais à la fois absent. Ses yeux sont terriblement cernés, ses lèvres desséchées, des taches sont même apparues sur son visage. Il semble lutter. Je doute qu'il ne soit pas conscient de ce qu'il se passe.

— Je m'appelle...

Il fixe devant lui, devant Tristan qui le fait avancer. Nous enjambons des hautes herbes, ici, la verdure grandit. Cela fait près de deux semaines que nous marchons, nous avons pu être hébergé par quelques marginaux plutôt généreux, nous avons pu manger mais nous tentons de ne nous arrêter que très rarement, afin de ne pas être traqués.

— Racontez-nous quelque chose qui vous a marqué, votre altesse, souffle Jamésy.

— Quelque chose qui m'a marqué...

Je ne dis rien, j'avance les bras ballants. Mes pieds sont abîmés, douloureux et je ne parle même pas des muscles de mes jambes, fébriles et tendus.

— Je me rappelle une fois, j'étais encore très jeune. J'avais désobéis aux ordres de mon père et ma mère, j'étais sorti hors du palais et j'avais arpenté les rues de Panterm. Personne ne savait qui j'étais et j'appréciais pouvoir découvrir le monde extérieur. Je me rappelle être entré dans une maison où une femme pétrissait du pain, elle m'avait même tendu un morceau d'un pain encore tout frais. Seigneur... comme il était bon... meilleur que celui du palais...

J'esquisse un faible sourire. Je me rappelle de mon père et moi, pétrissant le pain, concoctant des tartes, mettant à cuir la viande dans nos grandes cuisines... Je chantais et lui dansait, parfois, avec un seul regard, nous nous comprenions. Cependant, mon sourire disparaît lorsque la réalité me revient en plein visage : ce n'est pas mon père.

— Et ensuite ? Insiste Jamésy.

— Le petit prince ne va pas non plus nous raconter toute sa vie, on a bien mieux à faire, grommelle Tristan.

— J'essaie simplement de le faire revenir à lui.

— Je suis avec vous, rétorque Andrei.

Je relève la tête et lui jette un regard. Il s'arrête, alors Tristan aussi et le pousse légèrement pour qu'il avance, cependant, il demeure immobile puis tourne la tête vers moi.

— C'est flou dans ma tête mais... je revois cette femme pendue...

— Esmeralda... marmonné-je.

— Je revois les Ombres Obscures, je me revois te poursuivre, te voir t'éloigner sur un bateau avec Theodoro et... où est-il ?

— Il est mort, grogne Tristan.

Andrei reste un instant immobile.

— Toutes les personnes qui m'approchent meurent... soufflé-je.

Il me fixe de longues secondes, je suppose qu'il songe à son père. Évidemment, je ne suis pas un exemple. À cause de moi, sa famille a été décimée.

— Je sais tout de toi, Chloé... dit-il tout doucement.

Mon coeur rate un battement et je déglutis difficilement.

— Je sais qui tu es, ce qu'il te veut et ce que tu deviendras...

— C'est lui qui est en train d'empoisonner ton esprit ! me défends-je.

— Je l'espère...

Il marque une pause et relève le menton.

— Sinon, nous devrons te tuer.

Invocatrice de l'Ombre T.2Where stories live. Discover now