XXX - Il faut fuir

1.8K 311 33
                                    

— NON ! Hurlé-je.

Je me précipite vers Andreï et Chloé cependant Jamésy me retient accompagné du Gouverneur de Dysteria. Je me débats, mais leur poigne me paraît bien ferme. Je sens mes yeux me brûler sans que je ne puisse le contenir et une rage bouillir en moi soudainement. Ce feu est en train de se réveiller et pourrait bien tout rayer sur son passage.

— Qu'est que... souffle Andreï.

Il se trouve à califourchon sur Chloé étalée sur le sol, les bras de part et d'autres de son corps, la bouche entrouverte et les yeux fixés sur le plafond. Je crois l'entendre respirer encore, un faible sifflement provenant de ses poumons. Andreï a les deux mains posées sur le poignard qui reposait dans son fourreau autour de ses hanches, et la lame du poignard est dissimulée dans la poitrine de Chloé, en plein milieu. Le sang coule tout seul, tâche son cou nu, son décolleté et imbibe sa robe pâle d'une couleur pourpre.

— Lâchez-moi ! Je vais le tuer ! Je vais le réduire en cendres ! M'exclamé-je.

— Tu ne peux pas ! Rétorque Jamésy. Ce n'est plus Lucius, tu le vois bien !

Je vois Andreï lâcher l'Objet Obscur et se recroqueviller contre le trône dans son dos, ses mains pleines de sang tremblantes.

— Qu'est-ce que j'ai fait...

Je me défait de leur étreinte brusquement et sans un regard pour eux, je me laisse tomber à genoux près de Chloé. Je surélève légèrement sa tête pour la poser contre moi. Elle lève lentement ses yeux vers moi, ses iris sont totalement rouges mais son teint vire au gris.

— Accroche-toi, ça va aller, tu verras, lui soufflé-je.

Elle n'a plus la force de lever ses bras, ses lèvres bougent mais aucun son n'en sort, elles sont teintées d'un rouge foncé, le sang noie sa bouche et sa gorge.

— Ce n'est... murmure-t-elle dans un sifflement. Ce n'est pas.... pas... de sa faute...

Je jette un regard en direction d'Andreï qui se balance d'avant en arrière, couvert du sang de celle qui était son amie. Lorsque je repose mes yeux sur elle, son visage est fixe, ses yeux ne sont plus traversés d'étincelles de vie et une larme aussi brillante qu'une perle glisse au coin de son œil.

— Ne me fais pas cela... soufflé-je la gorge serrée. Pitié... pas cela... je te pardonne, je te pardonne absolument tout tu entends ? Alors s'il te plaît, par pitié... pitié... non... ne me fais pas cela.

Je serre son corps inerte contre moi, sans pouvoir retenir mes larmes. Je tente tant bien que mal de ne pas faire entendre mes sanglots mais j'ai cette folle envie de hurler ma rage.

— Allez viens... souffle Jamésy à Andreï en l'aidant à se relever. Partons d'ici avant que Lucius ne fasse irruption.

— Pas Lucius... pas lui... répète Andreï. Je n'en peux plus...

— Ne t'en fais pas, je t'emmènerai loin de lui.

Lorsqu'ils passent devant moi, je détourne le regard et colle mon front contre celui de Chloé, sa peau est froide à présent.

— Tristan... nous devons partir, déclare Jamésy.

— Je te conseille de partir très loin avec ton petit prince. Si un jour je le croise... je le tue.

— Pardonne-moi Chloé... marmonne Andreï.

— Allez vous en ! Hurlé-je en les fusillant du regard.

Je vois rouge et lorsque j'ai crié, un grognement a résonné au fond de ma gorge ce qui semble les avoir surpris. Je suppose que mes yeux ont changé de couleur le temps d'un instant. Ils ne mettent pas longtemps à quitter les lieux. Alors je reste agenouillé gardant Chloé près de moi, comme si elle allait se réveiller.

— Tu ferais mieux de partir l'ami, déclare Tadëus.

— Je t'interdis de me dire quoi faire.

— Si tu ne pars pas, tu seras la prochaine victime de Lucius.

— Peut-être que ce sera toi, vociféré-je.

— Je ne pense pas, je vais m'occuper de... de Chloé. Je prendrai soin d'elle, je ferai appel à tous les meilleurs Guérisseurs et je trouverai le moyen de la ramener.

Je lève mes yeux vers lui. Ma vue est trouble à cause des larmes qui noient mes yeux. Je serre les mâchoires, je ne sais plus quoi faire, je suis lâche si je pars mais je suis trop dangereux si je reste.

— Fais moi confiance, je suis meurtri tout autant que toi mais... ici on apprend à ne pas montrer ce que nous ressentons, reprend le Gouverneur.

Je vois les tendons de son cou ressortir et ses mâchoires se serrer puis se desserrer, je suppose qu'il se contrôle bien mieux que moi en ce qui concerne ses émotions et son impulsivité. Je pose mes yeux sur le doux visage de Chloé. De ma main, je ferme ses yeux et dépose un baiser sur son front. Je reste un instant les lèvres posées sur son front et mon autre main entoure son bras.

Lorsque je me relève, je la dépose précautionneusement sur le sol. Ma main a laissé une trace de brûlure sur son bras nu mais Tadëus n'y prête pas attention.

Je m'avance vers lui tandis qu'il regarde par la fenêtre, l'air pensif. Dehors, de la fumée s'élève dans le ciel, la ville semble avoir été détruite mais les Ténèbres ont disparu, l'orage a cessé et le soleil se lève lentement. Dans la cour en contrebas, des dizaines de soldats sont morts, le corps coupé en deux, mutilé ou démembré...

— Je pars, déclaré-je.

Tadëus se retourne vers moi et presse amicalement mon épaule.

— Je comprends ta peine, je sais que tu aurais souhaité l'aider. Nous sommes tout deux des enfants de Lucius et que nous le voulions ou non, une part de nous ne peut le confronter.

Je pose ma main brûlante sur son bras que je repousse doucement. Tadëus n'a pas l'air d'une mauvaise personne même si je cerne parfaitement qui il est. Un homme imbu de lui-même, qui aime le pouvoir et la domination, le respect et la loyauté. Je ne peux pas le juger, je ne suis pas un sain, loin de là.

— Je ne suis plus un enfant de Lucius. Alors fais lui passer un message pour moi.

Je marque une pause et tente de contenir ma colère, je ne souhaite pas faire plus de dégâts qu'il n'y en a déjà.

— Dis-lui que  si je croise à nouveau son chemin un jour, il souffrira tellement qu'il se mettra à genoux devant moi, me suppliant de l'épargner. Et lorsqu'il le fera, je lui adresserai alors mon plus beau sourire afin que ce soit la dernière image qu'il voit et je le réduirai en cendres.

Tadëus me toise un long moment sans rétorquer quoi que ce soit. Je tourne les talons et je quitte la pièce laissant derrière moi une amie éternelle.

Où irai-je ? Que vais-je faire ? Vais-je reprendre ma vie de Changeur de Peaux vivant dans les bidonvilles ? Je pense plutôt naviguer de Nation en Nation, comme auparavant et peut-être chercher de nouvelles Nations, un autre règne, un autre morceau de notre monde.

Ce que je sais, c'est que je ne souhaite pas rester ici. Chaque terre que j'ai traversé avec Chloé me rappellera qui elle était et chaque fois que je poserai le pied à Panterm, Irondell, Corvil, Arkacia, Dystéria... cela me rappellera à quel point je souffre.

Chaque morceau de cette terre me rappellera Chloé et ce que je ressens pour elle.

Chaque Nation porte un souvenir précieux.

Et chaque souvenir me rappelle à quel point je l'aime.





(Restez aux aguets pour l'épilogue et le tome 3 qui arrivent bientôt !)

Invocatrice de l'Ombre T.2जहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें