Chapitre 13 - L'arrondissement Sud

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À mon retour, j'ai la bonne surprise de constater que Tony nous a rejoints. Je le laisse installer sa tente parmi les nôtres puis j'explique à tous la mission de l'après-midi, sauf à Vitaly, chargé de surveiller le campement pendant notre absence. Je reste concis avec les autres, mais je partage les détails avec Spyke : l'animosité d'Angelo, et le SMS d'Andreï.

Cette opération me paraît facile et sans grand danger. Je connais le sud de Teneria, j'y étais chez moi pendant deux ans, je sais pertinemment que ce quartier constitue la plaque tournante du trafic d'armes et de drogues pour toute la région côtière. Toutefois, il sera nécessaire de prendre certaines précautions. On dit que les cordonniers sont les plus mal chaussés, mais l'adage ne s'applique pas aux trafiquants d'armes : eux sont généralement bien équipés.

Nous partons avec deux voitures : Spyke et Tony avec moi, Katia et Greg en surveillance. Andreï a raison, rien n'a vraiment changé en vingt ans. L'Arrondissement Sud est toujours un assemblage hétéroclite de bicoques peu entretenues, aux jardinets tassés les uns sur les autres, et de rues grises, se croisant au pied d'immeubles vétustes insalubres, voire carrément squattés. La misère est peu sensible à l'évolution.

Une fois parvenus à l'adresse indiquée, Spyke, Tony et moi remontons la rue. Je repère rapidement un groupe de quatre adolescents, appuyés contre un mur. Petits revendeurs pour le big boss Angelo Martini, et un peu de rab pour leur propre compte, si le pouvoir en place est aussi généreux que l'était le Grand Tsar.

Comme je l'ai fait un nombre incalculable de fois, ils tiennent leur bout de rue sale tel leur fief le plus précieux, tuant le temps en attendant le chaland. Dès que nous approchons d'eux, ils se décollent de leur mur décrépi pour nous barrer le passage, et le plus grand nous interpelle :

- Vous êtes qui, vous ? Vous cherchez quelque chose ?

Je fixe quelques instants le regard nerveux de ce garçon d'à peine seize ans, prêt à me sauter dessus comme un rottweiler à la moindre incartade, ou à prendre la fuite s'il réalise que le poisson est trop gros. Mon moi adulte se demande si j'avais l'air aussi péteux que lui, à l'époque. Je ne sais pas si le quotidien en bas de l'échelle est meilleur sous la coupe d'Andreï et d'Angelo. Quand j'avais son âge, le Tsar était notre dieu, ayant sur nous le droit de vie ou de mort. Et ses lieutenants étaient nos pères Noël tombés du ciel, distribuant les billets, la drogue, et les faux permis de conduire comme des friandises.

- Ça dépend, je lui réponds, tu as quelque chose à vendre ?

Il jette un œil vers ses trois collègues. Nous n'avons pas l'allure de ses clients habituels, et il sent bien qu'il y a quelque chose de bizarre.

- Qu'est-ce que tu veux ? De la blanche ? me demande-t-il finalement avec une expression de doute sur le visage.

- Plutôt un truc avec un chargeur et des balles.

Ses yeux se plissent de soupçon :

- Vous sortez d'où, vous ? Je vous ai jamais vus.

- Qu'est-ce que ça peut te foutre ? T'es pas flic. Est-ce que tu as ce que je cherche, ou est-ce que je dois m'adresser à quelqu'un d'autre ?

Il hésite, partagé entre sa méfiance qui a toutes les raisons d'être, et sa volonté de ne pas rater une affaire rentable.

- Attendez deux minutes, bougez pas.

Il s'éloigne pour discuter avec sa clique. La main à cinq centimètres de la crosse de son pistolet, Tony n'est pas tranquille, scrutant d'un air tendu toutes les fenêtres de la rue, sursautant au moindre bruit de moteur. Je sais que nous sommes observés par de multiples paires d'yeux, même si nous ne les voyons pas.

Pour un peu d'orWhere stories live. Discover now