Chapitre 38 - Poussière

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Au troisième retour, nous sommes dans la salle forte lorsqu'Andreï s'adresse à nous par l'intermédiaire du talkie :

– Andreï à Ryan. Prêt pour le final ?

Je sursaute en entendant sa voix qui ne nous a pas parlé depuis que nous l'avons quitté devant la chambre secrète de Nikolaï. A-t-il réussi sa part du plan ? Qu'ont-ils fait du Tsar ?

— Ryan, prêt, lui répond-il

— Andreï à toutes les équipes. Repliez-vous. Évacuez la zone. Dix minutes.

Nous regardons avec une pointe de déception les coffres qui n'ont pas eu le temps d'être ouverts. Il y aurait encore tellement à gagner là-dedans. Pourquoi Andreï pense-t-il que nous ne pouvons pas contenir cette deuxième vague d'attaquants ? Mais Ryan applique les ordres à la lettre. Il se tourne vers tous ceux présents dans la pièce :

— Dernier chargement les mecs, tout doit disparaître avant le grand boum. Et ne vous attardez pas dans le coin, surtout, fait-il en remplissant lui-même un sac, à l'instar de son cousin.

Je donne aux miens la consigne de se replier vers le van et Spyke et moi quittons la chambre forte. Alors que nous sommes tout près du couloir qui nous ramènera vers la sortie, des coups de feu retentissent à l'intérieur. Nous restons à couvert dans la salle de billard, prêts à réagir à toute intrusion, mais il n'y a plus aucun bruit. Lorsque nous passons prudemment la porte, un homme est à demi assis contre le mur, la respiration saccadée, grièvement touché à la cuisse. Je ne peux pas retenir une grimace de revanche : c'est Angelo.

D'une main, il comprime fortement sa blessure et de l'autre, il tente d'extraire une trousse médicale hors d'une poche de son sac à dos. Sur le parquet gisent trois corps : son coéquipier qui remplissait leurs sacs d'argent, et deux hommes de Nikolaï. Lorsqu'il nous voit, Angelo délaisse l'idée du kit d'urgence pour saisir son arme, mais sa main tremblante et poisseuse de sang glisse sur la poignée.

— Touche pas à ça ! je le préviens fermement.

Il reporte sa deuxième main sur la compression de sa blessure et fixe avec des yeux enragés mon fusil pointé sur lui, conscient d'avoir perdu la partie. Les mâchoires résolument serrées, il ne me demandera pas d'aide. Jusqu'à la mort.

Je pourrais le laisser là se vider de son sang. Je pourrais le tuer et prendre son sac. À ma place, Andreï tirerait. Une part de moi ne souhaite qu'une chose : appuyer sur la détente. Spyke approuverait, sans aucun doute.

Cette part de moi, c'est celle qui se repaît du sang qui coule, celle qui se délecte du craquement des os quand mes poings frappent. C'est celle qui a égorgé Rick sur la place centrale de Faucon, celle qui a planté un crayon de papier à travers la main de Falco, celle qui a épluché au couteau la peau de Dennis en l'écoutant hurler. C'est celle de la vengeance, œil pour œil et dent pour dent, qui mène à l'ultraviolence et à la terreur, celle dont j'ai voulu me débarrasser en fuyant la côte il y a longtemps. C'est l'extase de se sentir plus puissant que la mort elle-même en décidant du dernier souffle d'un homme.

J'entends du mouvement dans les autres pièces de la villa. Tous les hommes encore sur présents sont en train de quitter la zone. Je pose de nouveau les yeux sur Angelo qui perd du sang à vue d'œil. Je ne suis pas Andreï.

J'abaisse mon fusil, le laissant pendre sur sa sangle, je me penche vers lui et tire de son sac ce qu'il essayait d'attraper lui-même : un garrot. Il se laisse faire sans broncher pendant que j'entoure sa cuisse et que je serre le tourniquet. Il ne dit rien non plus lorsque je lui confisque ses armes et tous ses moyens de communication. Je tends mon sac à Spyke.

— Lève-toi !

J'impose le mouvement à Angelo en passant mon bras sous son aisselle, et il s'agrippe à moi comme à une bouée de sauvetage, avec un grognement étouffé de douleur lorsqu'il se redresse sur sa jambe valide. De sa main libre, il parvient malgré tout à hisser son énorme sac sur son épaule. Je le soutiens tant que je peux tandis qu'il s'accroche à ma veste d'une main résolue, et cramponne fermement son sac de l'autre, et nous entamons une laborieuse progression vers la porte de sortie. Mais nous avançons beaucoup trop lentement, chaque pas semble lui coûter l'impossible. Nous sommes toujours à l'intérieur de la maison, et ensuite, il nous reste plusieurs dizaines de mètres à parcourir en terrain découvert jusqu'au van. À certains moments, il pèse tellement sur mon épaule que seule sa respiration de plus en plus rapide m'assure qu'il est encore vivant. Je ne pourrai jamais le traîner de la sorte jusqu'au bout.

Pour un peu d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant