Chapitre 33 - Assaut

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Je sais d'expérience que même les plans les plus millimétrés ne se déroulent jamais exactement comme prévu — surtout les plans les plus millimétrés. Yohan m'oppose régulièrement que ce n'est pas une raison pour ne pas en faire. Nous ne sommes pas encore partis de notre campement que cette soirée me le confirme. Alors que notre convoi démarre pour se rendre au point de ralliement indiqué par Andreï, un quatre-quatre s'arrête devant le van pour me barrer la route : c'est Tony. Je lance un regard furibond au Trappeur. C'est lui qui l'a rappelé, évidemment, et qui l'a informé de nos mouvements sans m'en parler.

Tony sort de sa voiture et je descends du van. Spyke quitte également son pick-up pour se planter à côté de moi, les bras croisés sur sa poitrine d'un air menaçant. Katia reste invisible, mais elle est sur ses gardes, dans l'ombre. En revanche, Greg va résolument rejoindre Tony, face à moi, avec une expression déterminée, et il me dit :

— Tony fait partie de la mission. Il vient avec nous, ou bien vous irez sans moi.

Voilà donc ce que cachait son mutisme de ces derniers jours. Spyke se retient d'intervenir, mais je sais bien ce qu'il pense : à ma place, il leur conseillerait à tous les deux d'aller se faire foutre. Moi, je m'adresse au principal intéressé :

— Pourquoi est-ce que tu es revenu ?

— J'ai travaillé pour toi parce que tu m'as promis une grosse opération. Je veux ma part.

— Tu ne manques pas d'air, pour quelqu'un qui m'a attaqué en pleine nuit !

— Non, toi tu m'as attaqué. Moi, j'ai seulement voulu récupérer ce qui m'appartient.

Je l'observe un instant, interloqué par la présence d'esprit de sa réplique. En me repassant mentalement la scène, je me dis qu'il n'a pas totalement tort. Je ne m'abaisserai pas à implorer le Trappeur de changer d'avis. « Rassemble tes hommes », m'a dit Andreï. D'un sac rangé dans le pick-up, je sors le petit carnet noir. Sa compilation de renseignements écrits a beau être une dangereuse bombe à retardement, elle m'a bien servi à mieux comprendre les liens entre les différents acteurs de cette guerre. Je le tends à Tony qui s'en saisit, mais je ne lâche pas l'autre extrémité. Il a l'intelligence de ne pas tirer.

— Mes ordres d'abord, ceux de Spyke ensuite, ceux de Katia en troisième, ton initiative personnelle jamais. Est-ce que c'est gravé dans ta tête ?

— Oui, chef, me répond-il.

Je ne lâche toujours pas.

— Et pour toi Trappeur ? C'est clair ?

— Pour moi, ça l'a toujours été, Jack.

— Alors en route, dis-je en ouvrant mes doigts.

**********

Avant de rejoindre Andreï, je laisse les voitures de Spyke et de Tony garées dans la forêt, à plusieurs centaines de mètres de la villa. Ainsi, nous pouvons toujours y retrourner rapidement à pied en cas de problème, mais seul le fourgon nous servira de transport sur le terrain. C'est Greg qui prend le volant, et nous nous rendons au point de ralliement indiqué.

Tous réunis, nous formons une section commando d'une quarantaine d'hommes. J'observe mes alliés d'un soir. Le groupe d'Andreï se compose d'hommes de diverses origines. Si une partie est bien originaire de Teneria, d'autres sont plus certainement d'anciens camarades mercenaires qu'il a ralliés à sa propre cause. En revanche, les hommes d'Angelo et de Nino semblent tous sortis du même moule, vêtus de noir de la tête aux pieds, le teint hâlé et le regard sombre : la force armée du Quartier Sud, la milice de l'ombre qui remet à égalité les trafiquants, les opportunistes et les simples habitants, celle qui entre chez toi sans frapper pour décider de ton espérance de vie.

Pour un peu d'orWhere stories live. Discover now