Chapitre 3

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Kayleigh


Lorsque les circonstances et une détermination inébranlable vous rendent affectivement indépendante, comme c'est mon cas, vous apprenez rapidement diverses compétences essentielles. Cuisiner, par exemple. Fini les petits plats préparés par maman que l'on récupère dans des récipients en plastique le dimanche. Posséder une petite caisse à outils est également crucial. J'ai acquis l'art d'utiliser un tournevis, mais surtout un pistolet à colle chaude. Ça c'est pratique, je ne cloue pas, je ne visse pas, je colle. Je suis devenue tellement bonne que j'envisage de faire une vidéo sur tik-tok. La couture. Là aussi, j'ai essayé la colle chaude, ça ne fonctionne pas sur tout. Les ourlets, c'est non, les rideaux c'est oui. Les semelles dans les chaussures aussi. Les bretelles de soutien-gorge, ça dépend du bonnet. Sur du A, ça va, sur du G, ça ne tiendra pas longtemps. Je ne dis pas ça parce que j'ai testé, Je me considère chanceuse de ne pas être dotée d'une poitrine démesurée. Mon dos me pose déjà suffisamment de problèmes. Attention, je ne prétends pas non plus porter une taille de bonnet A. Je ne cherche pas à dénigrer, c'est d'ailleurs assez mignon. Mon ex semblait d'ailleurs apprécier la taille de mes seins... jusqu'à ce qu'il aille voir ailleurs. Je ne me plains pas d'être célibataire, au contraire il y a de nombreux avantages. Je peux dormir n'importe où dans le lit, et même m'étaler en étoile de mer au milieu. Le couvercle des toilettes reste toujours baissé. Je choisis ce que je veux regarder à la télévision. La vaisselle et le ménage sont faits. Si j'ai envie d'être de mauvaise humeur lorsque les Anglais sont là, eh bien je suis de mauvaise humeur. Si l'envie me prend d'engloutir tout un pot de glace Häagen-Dazs au Baileys, eh bien je n'ai à rendre de comptes à personne.

J'ai vingt-sept ans et ma vie me semblait satisfaisante jusque-là. Je sais, c'est un peu étrange, mais aujourd'hui je réalise qu'il me manque quelque chose. Non, pas un partenaire – je suis vaccinée contre ça, j'ai même mon passeport vaccinal et un code QR pour prouver ma protection. Une relation avec une femme ? Eh bien, je n'ai pas vraiment essayé récemment, du moins pas depuis le collège. J'ai essayé d'avoir des plantes vertes, mais elles n'ont pas survécu. Un chat ? Eh bien, un jour il est sorti par le balcon et n'est jamais revenu. Un poisson rouge ? Je ne vois pas l'intérêt, comment le câliner ? Un chien ? Malheureusement, le propriétaire ne le permet pas. J'étais là, en train de réfléchir à tout cela, quand la réponse m'a frappée comme un astéroïde – du genre de celui qui a causé l'extinction des dinosaures – un matin au réveil.

Je veux avoir un enfant.

Bam ! C'est une idée qui décoiffe !

Je crois que cela comblerait mon besoin de présence. Si j'ai envie de partager mon lit avec quelqu'un, j'aurai mon enfant. Si j'ai besoin de me défouler sur quelqu'un, j'aurai mon enfant. Pour les tâches ménagères, à l'avenir, j'aurai mon enfant. Je ne vois que des avantages. Bien sûr, il y a des inconvénients. Les couches à changer... beurk. Les crises en pleine nuit, les biberons. Mes seins qui vont grossir. Les vergetures. Les dépenses pour les vêtements et les jouets. Idéalement, ce serait bien d'avoir un enfant déjà propre – cela serait plus pratique.

J'en étais là dans mon cheminement, dressant une liste des avantages et des inconvénients d'élever un enfant seule, en étudiant les coûts par rapport aux aides familiales et aux déductions fiscales dont je pourrais bénéficier. Sur le plan financier, je n'étais pas tout à fait certaine d'être gagnante, mais du point de vue familial et social, cela semblait être une excellente idée. Il y avait tant de dessins animés que je pourrais regarder avec lui ou elle, et chanter des chansons de Disney. Honnêtement, je ne voyais que des côtés positifs !

J'ai un peu déchanté quand l'administration m'a fait comprendre qu'à mon âge et avec mon physique, je pouvais très bien trouver un donneur de sperme pour me foutre en cloque, et ce n'importe où, si médicalement parlant tout était fonctionnel chez moi. Je crois qu'ils n'avaient pas saisi la partie "j'en veux un, toute seule". Ça m'a énervé un petit peu, pendant quelques jours. J'ai retravaillé mon plan d'affaires, rassemblé tous mes documents bancaires pour prouver ma solvabilité, pris des photos et enregistré une vidéo de mon appartement, du quartier, en indiquant où se trouvait l'école, et j'ai imprimé des statistiques sur la criminalité. Pourtant, on m'a refusé l'adoption en invoquant ma situation personnelle. Ils ont une dent contre les célibataires, surtout si elles sont mignonnes.

La solution m'est apparue un mardi, pendant la pause café, presque comme une apparition mariale sur une tranche de pain tout juste sortie du grille-pain.

Je suis pâtissière, et j'ai ouvert un commerce en partenariat avec un boulanger que j'ai rencontré lors de ma formation. Nous avons découvert que nous avions des points communs : il est un lève-tôt, contrairement à moi ; il aime rentrer tôt chez lui, tandis que cela m'importe peu. C'était comme une équation parfaite. Le matin, il gère l'activité jusqu'à midi, et ensuite, le magasin m'appartient jusqu'à la fermeture. Nous avons rapidement repensé notre concept initial de boulangerie-pâtisserie classique pour y ajouter un espace dédié aux salades, sandwichs, pizzas et quiches. Résultat : souvent, pour ne pas dire tous les jours, mon commerce devient le point de rendez-vous des autres commerçants du quartier et des bavardages entre voisins.

Je savourais mon chocolat chaud, grignotant un croissant parfaitement feuilleté, laissant des miettes s'éparpiller sur le comptoir et le sol. Soudain, j'entendis ma voisine, propriétaire d'une librairie, engagée dans une discussion animée avec un livreur. Un sujet qui suscite des passions à travers le monde, une question existentielle, voire LA question existentielle de notre temps : faut-il dire "pain au chocolat" ou "chocolatine" ? Le débat s'annonçait enflammé, presque épique. La guerre de Troie ? Le débarquement de 1944 ? Une promenade dans le parc à côté de cela. Je tendais l'oreille aux arguments, tous semblaient solides, les thèses bien construites. Le vote du public trancha en faveur de la chocolatine. Le livreur, vaincu, ne se laissa pas démonter et contesta la décision, demandant un second tour, qui lui fut accordé pour sa prochaine livraison dans le quartier. Je regardais Karianne avec un sourire complice alors qu'elle se joignait à moi, visiblement satisfaite de sa victoire. Et je comprenais tout à fait son sentiment.

« Dis donc, Kari, est-ce que tu envisagerais d'adopter un enfant avec moi ?" demandais-je alors qu'elle s'asseyait, lui faisant cracher sa gorgée de café sur mon croissant, mon chemisier et mon téléphone.

« Non, mais, ça ne va pas, Kayleigh ? »

J'avoue que présenté comme ça, elle pouvait trouver ma demande étrange. Il manquait une mise en contexte. Essuyant mon téléphone et repoussant mon croissant désormais imbibé de postillons de café, je regardais mon ex-chemisier blanc, maintenant moucheté, attendant d'expliquer mon plan pour tenter de rattraper son dégât. Karianne ne se montra pas aussi compréhensive que je l'avais imaginé, même si nous nous entendons bien toutes les deux. Je ne dirais pas que nous sommes des amies proches, mais elle est celle qui s'en rapproche le plus. Nous sommes voisines de commerce depuis deux ans, c'est presque une amie, non ? J'ai écouté ses arguments et j'admets qu'elle tenait un point essentiel. Son mari avait probablement son mot à dire. Mais elle m'a remercié d'avoir pensé à elle. Je pensais tenir quelque chose pour coincer l'administration, un couple de femmes voulant adopter un enfant. C'était une stratégie solide. S'ils refusaient, je pouvais les poursuivre en justice pour discrimination. Il ne me restait plus qu'à trouver une autre complice. Le problème, c'est que je ne voyais personne d'autre. Je regardais tous les autres commerçants, et aucune ne semblait à la hauteur. Je voulais adopter uniquement avec Karianne pour une simple et bonne raison : elle est plutôt attirante et cultivée. Je sais, c'est psychologique, mais je veux que la personne avec qui j'aurais un enfant soit au moins présentable. Elle n'aurait aucun rôle dans le choix ou l'éducation de mon enfant, ni même à vivre avec moi, du moins, sauf pendant un temps, le temps de signer la vente, euh non, la location, non, l'adoption, c'est ça, l'adoption – je vais finir par y arriver–, mais j'ai envie de quelqu'un de bien, même si ce n'est que pour le côté administratif.

C'est ainsi que j'ai passé le mois d'octobre, à la recherche de la partenaire idéale : pas trop jeune, pas trop âgée, éduquée, bien dans sa peau. J'ai discrètement posé des questions autour de moi lorsque j'avais un bon candidat en vue, mais la caissière au supermarché m'a regardée d'un air étrange avant de chercher un agent de sécurité du regard, ce qui m'a poussée à faire mes courses ailleurs. Dans un magasin de vêtements, quand la vendeuse a proposé que nous sortions ensemble d'abord, c'est elle qui m'a prise par surprise et a fait capoter la situation. La policière qui vérifiait les passeports vaccinaux sur la terrasse d'un café m'a attirée, probablement à cause de son côté autoritaire ou peut-être de son arme, mais avec ses collègues autour, je me suis bien gardée de lui poser la question. J'avais tout mon temps, ce n'était pas grave. Je me suis fixé une période de douze mois, jusqu'au prochain Noël, pour avoir un enfant. C'était décidé, et rien ni personne ne pouvait se mettre en travers de mon chemin.

Cupidon ne doit plus avoir de flèches ou il ne m'a jamais vue !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant