Chapitre 7

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Kayleigh


Je me réveille en ayant dormi comme un chat, c'est-à-dire en boule, au chaud, longtemps. M'étirant en faisant craquer tout mon squelette, je me traîne en bâillant jusqu'à la cuisine, me faisant couler un café serré pour me remettre les idées en place. C'est la douche glacée qui se chargera du reste, le chauffe-eau faisant des siennes. Je lâche un cri de surprise quand l'eau froide me tire de ma catatonie matinale. En grognant, je m'installe dans mon canapé, bien au chaud dans mon pyjama épais, profitant d'un bref instant de repos. La journée de la veille m'a épuisée. Voir tous ces enfants déguisés a complètement drainé mon énergie. Certains costumes étaient vraiment bien faits, on voit les parents qui ont du budget et ceux qui sont créatifs. Mais tous étaient contents de leurs sucreries. C'est l'avantage d'habiter dans un quartier où l'on connaît ses voisins, ça crée des liens. Il y a peu de problèmes dans le quartier, bon ça arrive quand même, c'est normal, c'est humain. Mais nous ne sommes pas dans un quartier à problèmes, avec un taux de criminalité élevé. Alors, les enfants sont bien élevés chez nous. Mais ce sont des vampires. Ils m'ont complètement épuisée.

Allumant la télévision, j'écoutais distraitement les informations jusqu'à entendre la nouvelle du cadeau de mère Nature. Il a neigé ! J'aime la neige, j'ai toujours trouvé ça beau. J'allais faire du ski et de la luge quand j'étais petite, j'adorais ça, jusqu'au jour où je me suis cassé une jambe. Depuis, le ski et moi, nous ne sommes plus du tout copains. La luge, ça va encore, mais à mon âge, j'ai l'impression de me ridiculiser, mais c'est beau. Je me lève pour ouvrir les rideaux et regarder la fine pellicule blanche qui recouvre la rue et les toits. Les voitures coincées, qui n'ont pas pu partir à cause du minuscule centimètre de neige au sol. C'est vraiment beau. Blanc, froid, mouillé.

Mouillé !

Alors, je n'étais peut-être pas la plus attentive dans certains cours à l'école, mais s'il y a une chose que je sais c'est que du carton et de l'eau, ça ne va pas bien ensemble. Je me prépare, m'habillant chaudement, avant de rejoindre l'arrière de mon commerce. Le tas de cartons n'est plus là. Je suis virtuellement une éclaireuse chez les scouts, je suis capable de reconnaître 98,3 traces d'animaux dans la même flaque d'eau, mais là je ne vois pas de traces de pas de petite pointure, tout a fondu. Remontant ma rue, je m'arrête à l'association, mais ils n'ont jamais vu Héloïse ni même entendu parler d'elle. Je poursuis un peu, m'engageant dans les couloirs du métro, mais je ne la vois nulle part. Je prie pour qu'elle soit à l'abri et qu'elle aille bien. Je ne peux pas aller voir la police, je n'ai aucune information à part sa taille, la couleur de sa peau, de ses yeux, et un prénom, à condition que ce soit véritablement le sien. Est-ce que je peux déclarer disparue une sans-abri que je n'ai croisée que brièvement ? Ce n'est pas comme si elle squattait l'arrière de mon commerce depuis des semaines ou des mois.


Un peu plus de deux semaines se sont écoulées, je n'ai jamais revu Héloïse. Je commence à archiver sa rencontre dans un coin de ma mémoire. Mon travail est de plus en plus prenant avec toutes les commandes pour les fêtes qui affluent. Cela fait deux ans que nous n'avons pas vraiment célébré Noël et le Nouvel An, mais cette année, le monde semble déterminé à se rattraper. Quelques entreprises ont passé des commandes pour notre service traiteur. En collaboration avec Yasmina du restaurant algérien, nous avons mis au point un menu chaud-froid. C'est une première pour elle, mais elle est ravie de cette expérience et de l'opportunité de générer un peu de revenus. Les deux dernières années ont été difficiles pour elle aussi, alors chaque opportunité compte. Ça renforce un peu plus notre amitié et son intégration parmi nous, ce n'est pas négligeable non plus. Avec notre association non officielle des commerçants du quartier, nous avons décidé de l'encourager et de réserver chez elle pour faire un repas tous ensemble. L'équipe de Mia étant la plus nombreuse, nous avons donc la moitié de son restaurant juste pour nous. Et, si à la fin tout le monde est parti le ventre plein, les papilles comblées, c'est moi qui ai eu le droit au câlin. Elle n'est pas bête, Yasmina, elle sait qui tient le quartier soudé. Avant que je parte, elle m'a arrêtée en me prenant le bras et m'a demandé si nous pouvions discuter après les fêtes pour envisager un service de traiteur conjoint. L'idée est prometteuse, étant donné les contrats que nous venons de réaliser. Du point de vue financier, cela semble également avantageux, et je suis sûre qu'Aaron serait enthousiaste. Alors que je l'embrassais pour lui dire au revoir, j'ai promis que nous nous retrouverions dans la première semaine de janvier pour élaborer un menu, calculer les coûts et planifier notre stratégie commerciale.

Plus tard, en fin d'après-midi, l'un de ses fils, Saïd, est venu me rendre visite, tout timide, avec un bouquet de fleurs à la main. J'ai été momentanément surprise, car c'était la première fois que l'on m'offrait des fleurs, et apparemment, lui aussi. Quand il m'a expliqué que c'était de la part de sa mère pour me remercier de la journée, j'ai su que je m'étais vraiment fait une amie. J'espérais simplement qu'elle ne prévoyait pas de me caser avec l'un de ses enfants, histoire de gagner le pari.

En fin de journée, je n'ai aucun reste, tout a été vendu, je rentre donc chez moi avec un sourire aux lèvres, tenant mon bouquet de fleurs fraîches. En marchant dans la rue, je remarque que quelques hommes et femmes me sourient. Tout le monde doit penser que je viens d'être satisfaite sexuellement ou que je suis sur le point de l'être. Si seulement c'était le cas ! Mais ça me motive. Ce soir, ce sera film romantique et verre de vin. Je suis complètement perdue dans mes pensées que je ne remarque pas que l'on me suit. Je m'arrête devant une agence immobilière, regardant avec effarement le prix des appartements à vendre, et surtout la dimension.

Je ne serais jamais propriétaire.

Le coût est astronomique pour quelque chose de plus petit que ce que j'ai, c'est ridicule. Je ne me plains pas, j'ai eu de la chance de tomber sur cet appartement. Ce n'est pas le plus chic, le plus luxueux, je n'ai pas une vue extraordinaire, mais c'est chez moi, j'ai réussi à faire de l'intérieur un cocon agréable. Pianotant mon code, je me retourne, sentant une présence dans mon dos, pivotant rapidement, je constate qu'il n'y a personne, mais j'ai la désagréable sensation que l'on m'épie. Ce qui est ridicule, je n'ai pas d'ennemis, ni d'ex, enfin ça, c'est depuis un moment déjà. Refermant la porte derrière moi, je prends mon courrier et rentre chez moi, soufflant enfin. Comme je n'ai qu'une parole, je commence ma soirée romantique avec un verre de vin avant de me changer. Installée dans mon canapé, je vais regarder LE film sentimental par excellence, j'en mouille déjà mon pantalon de pyjama. Le générique à peine commencé, je frissonne. De voir C-3PO et R2D2 se chamailler, sachant qu'ils vont se rabibocher et se perdre de nouveau me touche tellement. Ces deux-là ont transcendé leur statut de simples androïdes pour éprouver des sentiments amicaux, fraternels. R2D2 est clairement une femme. Obstinée, courageuse, débrouillarde, elle a toujours le dernier mot. Si Star Wars n'est pas une romance, je ne m'y connais pas ! Même la musique me tire des larmes !

Je me sens bien quand je vais me coucher, légèrement alcoolisée, je sombre comme une masse, ne sachant pas que le lendemain je serai d'une humeur massacrante. En sortant de chez moi, je découvre que la ville a commencé à installer les décorations de Noël sur les lampadaires, y compris ceux de ma rue, juste au-dessus de mon magasin. Je reconnais le côté pratique de disposer d'un éclairage supplémentaire, mais est-il vraiment nécessaire d'opter pour des étoiles, des flocons de neige ou de petits sapins décoratifs ? Mon humeur déjà maussade ne s'améliore pas en voyant ces ornements kitsch envahir la rue.

Cupidon ne doit plus avoir de flèches ou il ne m'a jamais vue !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant