Blanche-Neige Online

26. Princesse en haillons

En réalité, ce que mon nain-employeur appelle « tenue de shooting » relève davantage du déguisement de soubrette pour jeune Gothic Lolita. À la vue des rubans noirs, du jupon bouffant et de la coiffe en dentelle blanche façon serre-tête, j'hésite entre le rire et les larmes.

Je voudrais demander si c'est pour une caméra cachée, mais je me résigne.

Me voilà donc en tenue en train de monter l'escalier, le rouge aux joues, tout en priant pour figurer en petit dans un coin de photo et pas sur une campagne publicitaire gigantesque. Si mes camarades de la fac me voient dans cet état, ma réputation de fille discrète en prendra un coup !

Mon patron a toujours l'oreille vissée au téléphone quand il sort d'un bureau et m'indique d'aller au fond du couloir :

— Voyez avec le photographe si tout est prêt.

J'entre dans la salle en évitant de justesse des fils électriques et des câbles d'ordinateur qui jonchent le sol. De la musique rock accompagne bruyamment mon chemin et ne me permet pas de m'annoncer à qui que ce soit. La pièce est immense mais relativement sombre à cause d'épais rideaux qui ne laissent pas filtrer la lumière de ce midi ensoleillé.

Un immense paravent, dressé au milieu de la salle, m'empêche de voir ce qui se passe derrière. Je penche la tête sur le côté, j'aperçois des vêtements sur le sol et j'entends des gloussements de femmes. Deux filles rient et se collent à un garçon qui sourit et balaie de la main une mèche rebelle sur son front. Je reconnais sa silhouette d'ici.

Rob !

Oh, non ! Je me redresse et me cache derrière le paravent. Non, non, non ! Pourvu qu'il ne m'ait pas vue. Pas ici. Pas quand je suis habillée comme ça ! Je n'assumerai pas le ridicule. Il faut que je me sauve, vite. Tout de suite.

Il ne t'a pas vue, calme-toi ! murmure une voix dans ma tête. Et puis ces filles détournent son l'attention. Elles sont magnifiques ! Oh ! Attends, pourquoi je pense à ça, je suis jalouse ou quoi ? Il fait ce qu'il veut, je m'en moque !

— T'es déguisée en quoi, cette fois ? Tu es passée de Bob l'Eponge à servante ?

Je lève les yeux. Jay, hilare, me bloque la sortie. Argh ! Il ne manquait plus que lui.

— T'es fan de cosplay ? Remarque, il me semble que Blanche-Neige fait aussi le ménage chez les nains dans le conte de fées, dit-il en ôtant la coiffe de mes cheveux.

— Rends-moi ça !

— Pas avant d'avoir pris une beeeeeeeelle photo de toi dans ton costume. Ça va en faire des jalouses sur Pomme- d'amour !

Il dégaine son téléphone.

— Oh ! Toi je vais te...

— Tu vas quoi ? rit-il en levant mon serre-tête à bout de bras afin de le mettre hors de ma portée. Tu me chanteras une chanson de Disney pour me punir ?

— Quoi ? Non, mais ça ne va pas, jamais de la vie !

— Allez, un effort, princesse ! Vas-y, appelle les écureuils du quartier pour faire la vaisselle, rit-il en me prenant en photo.

— C'est ton cerveau qui doit être nettoyé en priorité ! répliqué-je en tentant de saisir son téléphone.

— Dans ce cas, j'envoie cette jolie photo de toi sur le Net. Tu vas être une célébrité chez les princesses en haillons !

— C'est quoi ces cris ?

Jay se fige et je baisse les yeux, gênée de mon accoutrement et de la situation face au sérieux de mon patron qui nous regarde d'un air pincé en croisant les bras.

— Jay, dit-il d'un ton monocorde, tu peux nous laisser travailler ? Et on ne prend pas de photo de quelqu'un sans son accord. Tu veux une leçon sur le consentement et le droit à l'image ?

— Arrête de jouer au prof ! grimace-t-il en me rendant mon serre-tête.

Je me balance d'un pied sur l'autre. Comment partir discrètement à présent, sans que Rob ne me voit ?

— Veuillez me suivre, mademoiselle !

— Moi, mais...

Voilà pour aujourd'hui, j'espère que ça vous a plu ... (ou pas du tout?)