38. Ton nain préféré ?

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Il fait si beau, c'est parfait pour se promener le long des quais. Théo est surexcité que je lui offre une glace, ça fait dix minutes qu'il énumère tous les parfums possibles et essaie de me convaincre qu'il a droit à quatre boules et demi puisqu'il a quatre ans et demi. Il n'en démord pas et je ne suis pas d'accord car il n'aura plus faim pour le dîner et puis ça fait beaucoup pour son petit estomac. Il se balance en tenant ma main et celle de Rob.

Parfois, les yeux de Rob rencontrent les miens. Chaque fois, ça me fait sourire et lorsque je m'en rends compte, je me détourne, observant les bateaux mouches et leurs passagers. Jay et Stella sont un peu plus loin, à se chamailler sur je ne sais quel sujet. Une petite camionnette noire est garée non loin, c'est celle du glacier que j'avais repéré sur mon application pomme-d'amour.com. Théo s'y précipite pour choisir avant tout le monde, nous laissant tous les deux.

Je n'avais pas revu Rob depuis la séance photo où il m'avait ignorée et j'aimerai lui poser plein de question, finalement c'est lui qui me devance.

— Je te dois des excuses, Blanche. Pour la séance photo. Mon frère et moi, on ne s'entend pas très bien. C'est même carrément conflictuel.

— Roxanne m'en a un peu parlé.

— Je ne souhaite pas que tu sois impliquée dans nos querelles, mais j'ai besoin de savoir si tu comptes encore travailler pour lui longtemps.

— J'ai besoin d'argent et j'aime bien être avec Théo, je hausse les épaules. De toute façon, ta relation avec Matthias ne me concerne pas. Il est mon juste patron et tu es...

J'hésite... Il est quoi, exactement ?

— Ton nain préféré ? suggère-t-il.

— On va dire ça.

Il me sourit et je l'imite sans pouvoir m'en empêcher. Nous continuons à marcher, un peu gêné, un peu heureux, un peu plus proches.

Arrivée devant le glacier, je sors mon porte-monnaie quand j'entends une voix que je pourrais à présent reconnaître entre mille.

— Alors, Théo ? Ton vœu s'est réalisé ? demande la sorcière, accoudée au comptoir de la camionnette.

— J'ai eu mon dragon ! s'exclame-t-il en me pointant du doigt. Maintenant, je voudrais une glace, s'il te plaît.

— T'as été sage ? elle hausse un sourcil.

— Vous vendez des glaces, maintenant ? j'hallucine totalement.

— Mais combien de métiers a-t-elle ? souffle Rob, bouche-bée, juste à côté de moi.

— Tu la connais aussi ? je murmure.

—La boîte pour laquelle je travaille organise une soirée avec plusieurs partenaires dont Pomme-d'amour.com. C'est leur...

— ...responsable communication, je complète.

On se regarde en hochant la tête, aussi surpris qu'amusés.

— Dites, vous commandez ? J'ai d'autre chats à fouetter, moi.

— T'as pas le droit de fouetter des chats, s'insurge Théo. C'est mal !

— Je ne suis pas une gentille, je suis une sorcière ! dit-elle en lui tendant un cornet. Mais on en reparlera plus tard, quand tu seras grand. Va voir les bateaux pendant que je discute avec ton dragon.

Théo part sans demander son reste : il a eu trois boules et ne va pas leur laisser le temps de fondre.

— Qu'est-ce que vous faites ici ? je demande en payant pour Théo.

— Et toi ? elle me tend un cornet. Tu n'es pas encore rentrée chez toi, je me trompe ?

Le souvenir du message de Fred me revient en mémoire et, soudain, je n'ai plus du tout envie de manger de glace dont je tiens si fermement le cornet qu'il va finir par partir en miettes.

— Non, je soupire.

— Et toi, elle tend à Rob une glace au chocolat. Toujours au même point avec ton frère ?

— Je ne viendrai pas à votre soirée, je me contente d'aider à son organisation. N'insistez pas !

Devant mon air abattu, Rob me prend par la main et nous nous éloignons de la camionnette.

— Blanche, ça va ?

Je secoue la tête. Non, pas du tout !

Je suis lâche... et paniquée. Revoir Fred ne m'enchante pas. Que dois-je faire ? Lui hurler dessus ? L'ignorer ? Lui donner rendez-vous pour nous expliquer ? Je suis si en colère. Cela fait des jours et j'ai toujours la même boule dans la gorge. Je me sens toujours aussi nulle.

Devant mon silence, Rob s'assoit avec moi sur un banc et nous regardons Théo saluer les bateaux, sa glace fond d'un côté et il sourit, insouciant.

— Tu veux m'en parler ? demande Rob.

— Je suis trop minable.

— Non, tu ne l'es pas ! Tu te sens peut-être nulle, mais tu ne l'es pas.

— Qu'est-ce que t'en sais ?

— Je le sais : je te vois. Je vois bien comment tu essaies de t'en sortir toute seule, comment tu te donnes du mal à travailler avec mon frère, à t'occuper de Théo, comment tu es une bonne amie avec Roxanne et Stella, et t'arrive même à gérer Jay !

— Pfff, OK pour Jay ! je souris en coin.

— Et ça me prouve que tu n'es pas nulle, tu es même quelqu'un de très bien. Qu'est-ce qui te tracasse autant ?

— Je ne suis pas si gentille, tu sais ? J'ai (je pose la main sur mon plexus) tant de rancœur. J'ai envie de hurler et même de frapper ceux qui m'ont fait du mal. Je veux me venger, mais c'est sans fin et si inutile. Cela ne va pas me rendre plus heureuse ni changer quoique ce soit. Pourtant...

— Pourtant, c'est ce que tu ressens et tu n'y peux rien. Mais tu t'en veux quand même, n'est-ce pas ?

— Comment le sais-tu ?

— C'est un peu ce que je ressens pour mon frère. Un jour, je te dirai pourquoi, mais en attendant crois-moi : tu es une bonne personne. Si tant est que tu puisses croire une personne aussi retorse que moi.

— J'y suis forcée.

— Pourquoi ?

— C'est toi, mon nain préféré après tout.

Et bercée par le clapotis de la Seine et les bavardages des passants, Rob me sourit et mon cœur s'allège un peu.

Blanche-Neige OnlineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant